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Urgence SignalÉe D’un Changement De Cap Économique

Urgence SignalÉe D’un Changement De Cap Économique

Cette chronique, nous l’entamons avec notre analyse propre des résultats des élections locales de ce mois de janvier qui vient de s’écouler. A notre humble avis, les populations urbaines, les jeunes en particulier, ont exprimé, à l’occasion, leur opposition à la politique, surtout économique, menée par le président Macky Sall. Ce dernier l’avait lui-même subodoré lorsqu’il imputait les évènements de mars 2021 à l’expression du mécontentement de la jeunesse en butte à un chômage persistant, reconnaissant par là même l’inefficacité de son plan de développement, le PSE (Plan Sénégal Emergent).

Rappelons que sa réaction immédiate avait été d’annoncer un nouveau programme/Emploi de 450 milliards de Fcfa sur 3 ans (pour l’auto emploi) et le recrutement de 65 000 jeunes, sur l’ensemble du territoire national, dans les activités d’éducation, de reforestation, de reboisement, d’hygiène publique, de sécurité, d’entretien routier et de pavage des villes, entre autres pour un budget évalué à 80 milliards de FCFA.

Hélas, rien n’y a fait ! Malgré ces promesses, le résultat des urnes locales vient signaler la persistance de l’insatisfaction notamment des jeunesses urbaines.

Cette fois, les analystes du Président lui ont servi pour explication que sa coalition avait gagné puisqu’ayant engrangé, au final, plus de collectivités territoriales que l’opposition, et que le mécontentement relevé tenait essentiellement à d’autres questions sociétales concernant tout le tissu social, en particulier le rejet de la proposition de loi pour la criminalisation de l’homosexualité.

Cela n’est pas notre analyse. Pour nous, les résultats des élections locales traduisent une victoire de l’opposition, de YAW en particulier, dans les villes « poids lourds » (Dakar, Thiès, Ziguinchor), obtenue au détriment de ténors de la coalition au pouvoir.

Les scores obtenus par la coalition YAW sont considérés comme victorieux en ce qu’ils annoncent, si la tendance devait être confirmée, une victoire possible aux législatives, mais surtout à l’élection présidentielle de 2024, dont les suffrages ne se rapportent plus à des territoires pris individuellement, mais à un ensemble globalisé dans lequel ces villes ou régions, auxquelles s’ajoute la métropole de Touba, pèsent d’un poids déterminant en termes de suffrages.

De mon point de vue, ces résultats constituent un nouveau message envoyé par la jeunesse d’un Sénégal dont les moins de 20 ans représentent 52 % de la population.

Un « coup d’Etat jeune » !

Derrière les rideaux de cette victoire de YAW, se profile un « coup d’Etat jeune » que symbolise le fringant nouveau maire de Yoff, âgé tout juste de 33 ans, qui explique avec beaucoup de maturité avoir déjà 15 ans d’activité politique à son crédit.

A partir de cette élection, je crois qu’on devra s’attendre à davantage d’implication des jeunes dans la gestion de la cité.

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Le lien avec notre chronique économique est que cette irruption de la jeunesse dans le landernau politique, une irruption que l’on remarque dans les débats télévisés et les réseaux sociaux, marque une volonté pour cette couche de prise en charge de ses propres problèmes. En particulier celui de l’emploi que le PSE n’est pas arrivé à résoudre.

N’oublions pas que le président de la République, qui a déjà 10 ans de gouvernance derrière lui, était attendu sur la réalisation de sa promesse de créer 500 000 emplois lors de son premier mandat.

Cette remise en cause de l’actuelle politique économique sonne donc le temps du bilan du PSE. Le Sénégal s’est lourdement endettée durant la phase 1 de ce plan pour l’érection d’infrastructures “structurantes “, et on est à présent dans la 2ème phase où le secteur privé est sensé prendre la relève pour lancer les grandes activités créatrices de richesses et d’emplois.

Le choc du COVID a entraîné la mise en place d’un programme intermédiaire, le PAP 2A.

Le financement du PAP 2A a été estimé par les autorités à 22,4 milliards d’euros, soient 14.700 milliards de FCFA sur 3 ans (2022/2024), prévus pour être couverts par le secteur privé à hauteur de 4.770 milliards FCFA (8,5 milliards de dollars), et les institutions financières internationales pour 9.942 milliards de FCFA (17,7 milliards de dollars).

Conçu pour être réalisé en mode accéléré, les autorités présentent ce PAP 2A comme un programme de révision du modèle de développement économique « actuel », auquel sera substitué un autre modèle basé sur la transformation des matières premières locale et la promotion de l’entreprise sénégalaise.

Au regard de l’étroitesse du temps imparti (2022/2024), il urge que les réformes permettant d’atteindre ces objectifs soient entreprises dans les meilleurs délais. Ces réformes doivent s’attaquer aux obstacles au développement économique.

ils sont connus et ont pour noms : un marché intérieur faible, une monnaie, le franc CFA, arrimé à l’euro structurellement fort, ce qui constitue un obstacle à la compétitivité à l’export, un secteur privé faible, en particulier du fait d’une politique de crédit du système bancaire et financier répressive à l’égard des PME/PMI, des ressources minières pas ou peu transformées et exportées à l’état brut, une agriculture peu capitalisée, peu protégée et dépendante de la pluie dans un contexte mondial d’agricultures occidentales lourdement subventionnées, un secteur informel considéré comme résiduel alors qu’il est le principal employeur du pays.

Nous insistons sur la question du financement des Petites et Moyennes entreprises, qui est fondamentale dans la stratégie de promotion du secteur privé.

Mettre en place de véritables instruments de financement des PME/PMI !

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Compte tenu de l’inadaptation des banques au financement du risque PME, notre crédo est la création d’institutions financières ciblant des secteurs d’activités identifiés comme porteurs de croissance. Ce serait là une solution à l’éviction financière dont souffrent les petites et moyennes entreprises pour leur développement, les entreprises du secteur informel, de l’artisanat en particulier. Ces PME/PMI doivent bénéficier d’un encadrement technique, commercial et financier via des centres de coaching avec des professionnels au fait des techniques de production, de marketing, d’organisation et de gestion financière d’entreprise.

Les institutions de microfinance actuelles, instituées depuis 1995, n’ont pas su mobiliser les volumes de financement nécessaires, ni se spécialiser ; de ce fait, elles fonctionnent comme des banques à une échelle plus réduite, avec en sus des organes dirigeants peu opérationnels, en particulier les organes de crédit et de contrôle. L’annonce récente par le président de la BAD de la création d’une Banque pour l’Entreprenariat et l’Investissement pour les jeunes africains lors de sa visite du 27 janvier courant à Dakar, va dans le sens souhaité.

Espérons seulement qu’au Sénégal, les instruments et les ressources humaines d’accompagnement multiforme au profit des porteurs de projets auront été préalablement mis en place. Il est symbolique que cette déclaration du président de la BAD ait été faite dans les locaux de la DER, ce qui pose la question de la restructuration de cette institution dans le sens d’une meilleure appréciation du risque mais aussi de la gestion suivie d’un portefeuille client étendu. Pour en revenir au PSE, toute stratégie de transformation structurelle de l’économie devrait, à notre sens, s’attaquer à la résolution des problèmes évoqués ci-dessus. Il faut constater pour le regretter qu’en 8 ans de PSE, aucune réforme d’envergure n’a été engagée pour changer le modèle économique en question. Aujourd’hui, invoquer le PSE dans notre pays est assimilé à une sorte d’incantation ayant pour objectif de couper court aux revendications sociales immédiates en les différant à un futur indéterminé.

A notre avis, le président Macky Sall s’est trompé en faisant du PSE un instrument de politique publique dépourvu d’efficacité, parce que ne s’attaquant pas à la levée des obstacles structurels à un développement économique endogène, créateur d’emplois. L’autre erreur du président Macky Sall aura été de considérer comme non indispensable l’appropriation de son plan d’émergence prévue pour 2035, par le peuple et ses représentants dans tous les compartiments de la société (partis politiques, société civile, associations de jeunes et de femmes etc.).

Le réveil de la jeunesse africaine

Ce faisant, il laisse le soin à ses successeurs de mettre en œuvre leurs propres plans de développement et leur financement, tout en assumant la charge d’une dette qu’ils n’auraient pas, eux-mêmes, contractée.

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Le développement du Sénégal ne saurait dépendre que des seuls facteurs endogènes. Il ne saurait se concevoir en solo, en dehors des espaces naturels que constituent la sous-région et l’Afrique. Comme déjà dit, l’Afrique va atteindre en 2050 deux milliards d’individus, ce qui représente un marché intérieur apte à impulser des activités économiques à une échelle comparable à celle constatée dans les pays asiatiques. Cela induit la nécessaire mise en œuvre de politiques économiques complémentaires, basées sur la spécialisation, et de politiques monétaires adaptées aux visions de développement locales et régionales.

Les pays occidentaux ainsi que les institutions financières internationales doivent aussi jouer leur partition. L’Occident doit abandonner sa vision dépassée d’une Afrique « réservoir de matières premières » qui prévaut encore malgré les signes évidents de rupture de la jeunesse africaine d’avec ce mode opératoire, facteur principal d’arriération économique. L’exploitation brute des matières du sous-sol riche en ressources minières, sans transformation locale (même partielle), n’est pas conciliable avec le développement industriel de nos pays. L’Occident doit revisiter les voies de satisfaction de ses intérêts bien compris, dans le cadre d’une Afrique industrialisée ajoutant une nouvelle valeur à la richesse mondiale.

La balkanisation en petits Etats est devenue inopérante dans un contexte marqué par l’insécurité du fait de la prolifération des armes mais aussi de l’éveil d’une jeunesse africaine consciente, décomplexée parce qu’en lien en temps réel avec la jeunesse du monde. Une jeunesse africaine qui a de grandes ambitions pour son continent. La question ethnique, autrefois agitée pour diviser, subit la loi de l’internet, nouveau lieu codé de communication des jeunes et de formation de ceux-ci à une citoyenneté nouvelle, et des sociétés civiles africaines prônant la solidarité sur l’étendue du continent.

De plus en plus, les jeunes d’Occident, interpelés via les réseaux sociaux, se désolidarisent des formes d’exploitation mises en œuvre par les multinationales, ce qui plonge leurs dirigeants politiques dans un inconfort politique croissant, en particulier en France où la dénonciation de la Françafrique prend de plus en plus d’ampleur.

À y regarder de près, il ne s’agit pas essentiellement de l’intérêt des peuples occidentaux, mais davantage de ceux de grands groupes industriels enfermés dans un système où les agences de notation et la bourse, pilier de l’économie libérale, règnent en maîtres.

Une chose est sûre : le partage de Berlin connaît ses derniers soubresauts en Afrique. La jeunesse qui embarque pour la Méditerranée au péril de sa vie, celle qui évolue dans la société civile et dans les partis politiques a à cœur de ne plus laisser faire.

Abdoul Aly Kane







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