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Crise Économique Mondiale Et Changement De Paradigmes

Comment parler de l’actualité économique sans évoquer la situation mondiale créée par la guerre russo-ukrainienne dont les conséquences sont la désorganisation de la mondialisation avec laquelle « tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » ? Le temps semble être au « sauve qui peut » général dans lequel les Etats se rappellent qu’ils sont souverains à l’intérieur de leurs frontières. Les pays d’Europe dépendant fortement de la Russie en matière d’approvisionnement agricole et énergétique sont en crise. Cette crise est majeure en ce qu’elle a révélé que la Russie et l’Ukraine étaient en réalité les pays « clés » de l’approvisionnement d’une économie mondiale industrielle hautement interconnectée, en matières premières énergétiques stratégiques (pétrole, gaz, charbon, engrais), en produits alimentaires de base essentiels pour l’Europe et aussi le Moyen et le Proche Orient (blé, maïs) sans compter l’Afrique.

La Russie, qui est vitale à l’Allemagne au plan énergétique, vient de décider de couper le gaz à la Pologne et à la Bulgarie faute pour ces derniers de respecter la règle du paiement de leurs importations en rouble ou en or qu’elle a décrétée. La Russie apparaît ainsi comme étant présentement en position de force dans son rapport économique aux pays d’Europe qui forment avec les USA la coalition soutenant l’Ukraine. Et ce malgré les sanctions économiques qui lui ont été infligées par le camp occidental. A croire que cette situation avait été mal évaluée lors de la prise de ces sanctions sans précédent dans l’histoire. L’ouverture du marché mondial régulateur des économies cède la place à la tentation des Etats pour des politiques économiques et monétaires souveraines.

La Russie œuvre à ramener par la fenêtre l’étalon or comme pivot des systèmes de paiements internationaux à la place du dollar. La Chine et les autres pays d’Asie se concertent dans le cadre d’organisations ad hoc pour trouver leurs propres solutions à la fluidité des chaînes d’approvisionnement énergétiques et en matières industrielles et sécuriser leurs systèmes de paiements. Avec la crise énergétique générée par ce conflit russo-ukrainien, jamais la tentation n’a été aussi grande de la remise en cause d’un système monétaire et financier international basé sur le dollar. Frederick William Engdahl, spécialiste en pétrole et géopolitique et auteur du livre « A Century of War : Anglo-American Oil Politics and the New World Order » prévoit une catastrophe mondiale imminente suite à la décision de la Commission Européenne d’interdire en Europe, l’importation de toute forme d’énergie russe, le diesel en particulier. « Tout ce qui entre et sort d’une usine utilise du diesel » dit-on, de sorte que le link est vite fait entre l’évolution du coût du diesel et celui du PIB. Faute de diesel, énergie essentielle à la bonne marche de l’industrie, toute la chaîne d’approvisionnement est gelée. Or, « l’Europe importe environ 70 % de son diesel de Russie et 76 % de tous ses véhicules routiers (voitures, camions) utilisent du diesel ».

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Cette hausse en spirale des produits énergétiques fossiles survient dans un contexte où l’éolien et le solaire ne peuvent les remplacer au pied levé. La crise démarrée avec un conflit militaire menace sérieusement l’état d’une économie mondiale déjà secouée par les effets du COVID sur la chaîne d’approvisionnement mondiale. La pandémie ayant entrainé une crise économique et alimentaire sans précédent. Frappés par la même crise et faute de ressources financières propres, les pays d’Afrique comptent davantage sur leur capacité à s’endetter. De ce fait les interventions souveraines des Etats africains sur les marchés obligataires pour boucler leurs budgets ou pour réajuster leurs échéances de dettes, se multiplient.

Ces subventions aux prix des produits alimentaires et pétroliers qui plombent les trésoreries des Etats !

Les bailleurs de fonds multilatéraux alertent d’ailleurs sur cette tentation de financer par de la dette les déficits budgétaires qui vont être creusés par les indispensables subventions en faveur de l’alimentation des populations.

Au Sénégal, le gouvernement vient d’annoncer le blocage des prix de vente des carburants dans les stations-service et autres lieux dédiés, ce qui induit nécessairement une politique de subvention. Le ministre des Finances et du Budget avait déjà annoncé courant avril au Parlement que l’Etat avait engagé 557 milliards de francs CFA pour « alléger le panier de la ménagère », afin d’éviter une hausse généralisée des prix. La question qui vient à l’esprit est celle de savoir la durée de consommation énergétique et alimentaire que les diverses subventions vont couvrir les hausses de prix, et la capacité budgétaire à financer celles-ci sur un exercice. Cela est d’autant plus important que certains spécialistes parlent d’une guerre dont la fin n’est pas prévue avant fin 2023.

La hausse des prix des produits alimentaires, importés pour une large part, se vit au quotidien au Sénégal, par exemple dans des enseignes comme Auchan ayant bâti leur communication sur le « moindre prix » et où on constate aujourd’hui des files d’attente de plus en plus clairsemées. Des voix autorisées s’élèvent pour inviter à l’import substitution, oubliant que bâtir une autre politique industrielle souveraine ne se réalise pas du jour au lendemain et implique l’absolue nécessité d’une large concertation avec le secteur privé, les institutions de financement et les institutions d’accompagnement tant dans l’agriculture que dans l’industrie. Dans le secteur de la boulangerie, des expériences avaient été menées en son temps pour fabriquer un pain mélangeant farine de blé et farine de mil suite à des tests menés par l’ISRA.

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C’était le fameux « pamiblé ». Faute de volonté politique, l’Etat avait mis fin à cette expérience riche en perspectives de souveraineté alimentaire, en cédant aux caprices du consommateur sénégalais ayant depuis toujours une préférence pour les produits importés. Le slogan du « consommer sénégalais » reste toujours inopérant par manque d’adhésion des populations il est vrai mal informées des enjeux. L’exemple doit venir « d’en haut » ; il faut que la préférence soit ouvertement accordée à la consommation de « ce que nous produisons » plutôt qu’à ce que les paysans d’autres pays produisent.

Les ménagères sénégalaises préfèreront toujours cuisiner avec la tomate concentrée chimique importée et faiblement transformée, plutôt qu’avec celle combinant tomate fraîche cultivée par nos braves cultivateurs et « concentré » importé. Résultat : nos braves cuisinières ne savent pas que ce choix opéré met sur la paille les cultivateurs de la vallée. Cela, il faudrait que l’on puisse le leur dire ! Le « patriotisme économique » devrait intégrer le volet communication qui est indispensable à sa mise en oeuvre. Il en va des chaussures de Ngaye Mékhé comme du sucre de Richard Toll dont la sensibilité et le jeu des intérêts qui l’entourent semblent fermer la porte à toute négociation multipartite centrée avant tout sur l’intérêt national. Aujourd’hui, la compétitivité économique de notre pays sur les marchés extérieurs n’existe pas.

Le coût des facteurs comme l’énergie, les transports et un taux de change monétaire défavorable ont détruit la base industrielle constituée avant l’ouverture économique tous azimuts du début des années 80. Le focus devrait, dans ce contexte, être porté sur la récupération du marché intérieur par des mesures de protection afin de favoriser l’émergence de PME agro-industrielles, sources d’emploi et de « know how ». L’importation ne nécessite pas de masse salariale d’envergure et, à la limite, beaucoup de services y relatifs peuvent être externalisés.

En dehors des banques qui ouvrent les crédits documentaires, et l’Etat via les droits et taxes, le consommateur final est le principal bénéficiaire de l’opération. Le secteur du sucre devrait s’inspirer de celui du ciment qui a enregistré la création de deux unités supplémentaires après Sococim, à savoir les Ciments du Sahel et Dangote. On annonce d’ailleurs l’ouverture d’une quatrième cimenterie, à capitaux marocains celle-là.

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En toutes hypothèses, le dialogue devrait prévaloir entre l’Etat et les acteurs du sucre sur la base d’une orientation claire au plan industriel sur le fondement de laquelle d’autres initiatives pourraient voir le jour dans d’autres secteurs. La souveraineté mise en avant ne saurait, bien entendu, être atteinte sans des initiatives hardies en matière de création de banques locales dédiées à l’investissement PME. Le retrait des grandes enseignes bancaires, à relier à l’atonie économique actuelle et à la rareté de l’investissement étranger sans négliger l’agressivité des banques africaines, doit être comblé par l’arrivée d’établissements financiers de type nouveau, combinant ressources humaines spécialisées au plan technique, et expertes en gestion et en accompagnement d’entreprises.

La crise russo-ukrainienne doit être le phénomène déclencheur d’une remise à plat de notre politique économique jusque-là marquée par la désindustrialisation et le chômage, le déficit structurel de la balance commerciale du fait du « tout à l’import », même s’il présente l’avantage de générer des recettes fiscales pour l’Etat. Le mythe d’un taux de croissance qui, en réalité, ne génère pas d’endogénéité économique est un leurre. Le taux de croissance de notre pays, arboré comme le signe d’une émergence future, est généralement tiré par les investissements dans les infrastructures, les BTP, ou le secteur des mines où les exportations sont relatives à des matières non ou faiblement transformées.

Dans le secteur des mines, la faible valeur ajoutée locale générée n’est pas en mesure d’enclencher et de nourrir un processus de transformation structurelle qui ne saurait s’opérer sans remise dans le circuit des plus-values dégagées. Le secteur des services, qui en est la colonne vertébrale, est dominé par des activités traditionnelles comme les banques et les assurances, alors qu’ailleurs on investit avec bonheur dans les nouvelles technologies, les industries créatives pour asseoir de nouvelles bases économiques.

La situation exige, plus que par le passé, de nouvelles orientations, cette fois consensuelles pour que tous les Sénégalais se sentent réellement impliqués. L’urgence est signalée dans cette période internationale très chahutée où tous les pays du monde cherchent la voie d’un meilleur devenir dans une configuration de crise multiforme sans précédent.







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