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Avons-nous Besoin De Saisir La Cour Constitutionnelle ?

Avons-nous Besoin De Saisir La Cour Constitutionnelle ?

Les récents prolongements de l’adoption, en plénière, par l’Assemblée nationale du projet de loi n° 04/2022 sont l’illustration parfaite d’une « arme parlementaire » tendant à transposer, à bon droit, le débat parlementaire de l’Hémicycle vers le Temple de Thémis. C’est certes un bon exutoire démocratique, mais il serait tout aussi intéressant de documenter la démarche pour éviter que la saisine soit finalement une simple ruse. Et que le Conseil constitutionnel ne soit pas, en dernier ressort, voué aux gémonies, parce que toujours livré, en définitive, au jugement d’une certaine opinion publique savamment embrouillée.

C’est pourquoi, il s’impose, en l’occurrence, d’exposer les implications juridiques et politiques de la mise en cause, devant le recours au Conseil constitutionnel, du projet de loi en question.

I/ Les irrecevabilités opposables au droit d’amendement parlementaire

L’amendement est une prérogative reconnue au Parle­mentaire de proposer une modification à un projet de loi initialement présenté. En cela, il doit être pleinement respecté pour assurer aux débats parlementaires tout leur caractère démocratique. A chaque étape de la procédure législative, il est libre d’exercice, sous réserve des limitations formellement posées par la Constitution elle-même, littéralement reprises par le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale (RIAN).

Mais pour que nul n’en ignore au Sénégal, l’amendement obéit à un régime dont les contours sont lisiblement fixés par la Constitution du 22 janvier 2001, modifiée et la loi organique n° 2002-20 du 15 mai 2002 portant Règlement intérieur de l’Assemblée nationale, modifiée. En effet, un projet ou proposition d’amendement est soumis à des condi­tions de recevabilité, lesquelles sont, à bon droit, soit d’ordre législatif soit d’ordre financier.

Le premier cas de figure s’applique s’il apparaît, au cours de la procédure légis­lative, qu’un amendement n’est pas du domaine de la loi. Dans ce cas précis, le Premier ministre et les autres membres du Gouver­nement peuvent opposer l’irrecevabilité. En cas de désac­cord, le Conseil constitutionnel, à la demande du Président de la République, de l’Assemblée nationale ou du Premier Ministre,  statue dans les huit (08) jours (article 83 de la Constitution et 60 alinéa et 7 du RIAN).

Le second cas de figure prévoit que les amendements, formulés par les députés, à l’image des propositions, ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge pu­blique, à moins que ces propositions ou amendements ne soient assortis de propositions de recettes compensatri­ces (articles 82 alinéa 2 de la Constitution et 60 alinéa 6 du RIAN). C’est  là une disposition constitutionnelle visant à encadrer les initiatives dépensières de l’Assemblée nationale. Elle forme, en permanence, ce que l’Arrêt n° 06/CC/MC du 28 juillet 2020 de la Cour constitution­nelle du Niger qualifie d’ « objectif constitutionnel de bon usage des res­sources publiques » s’imposant au législa­teur.

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A l’analyse, il est donné de constater, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel sénégalais, que les restrictions au droit d’initiative parlementaire – tel que la proposition d’amendement -sont généralement l’objet d’une interprétation stricte. Elle préconise que ce droit constitutionnel puisse s’exercer sans limite dans le domaine législatif défini, mais dans le « respect des restric­tions imposées par les articles 77, 82 et 83 de la Cons­titution » (Décision n° 84/2001-Affaires n° 3/C/2001 et 4/C/2001 – Affaires n° 3 et 4/C/2001 du 11 décembre 2001 relative à la loi n° 09-2001 du 21 novembre 2001 instituant, à titre transitoire, des délégations spéciales). Ce sont là, les seules digues qui, en principe, se dressent à l’encontre du droit d’amendement consacré au profit du parlementaire. Par voie de conséquence, un recours contre l’amendement parlementaire ne saurait être opérant que dans ces deux situations qualifiées respectivement d’irrecevabilité législative et d’irrecevabilité financière.

Dès lors, même si l’on se met dans la posture légitime d’exercer un droit constitutionnellement garanti, il peut sembler néanmoins hasardeux ou du moins aléatoire de solliciter le Conseil constitutionnel pour contester une proposition d’amendement sur le fondement de l’égalité des partis politiques devant le suffrage des citoyens.

II/ L’illusion démocratique du scrutin proportionnel sur « la liste nationale »

L’appréciation critique du système électoral sénégalais s’impose au sujet du scrutin proportionnel adossé à une liste nationale.

Sans doute, les vicissitudes électorales ont amené à penser qu’un Parlementaire multicolore est l’expression d’une respiration démocratique. L’on sait que cette panacée politique s’inscrivait dans un processus démocratique. Mais en réalité, il s’est tout simplement agi de barioler la représentation nationale, donnant l’illusion d’un démonopolisation de la représentation parlementaire.

La conséquence est politiquement expressive : la compétition vers le plus fort reste pour figurer au Parlement. Et il en résulte une conséquence pour la structuration du débat parlementaire : une faible minorité face à une forte majorité, entraînant une crispation permanente du dialogue politique institutionnalisé. D’ailleurs, le consensus électoral est, de manière générale,  toujours négocié dans des instances ad hoc, entre des partis politiques autrement coalisés ou étiquetés (la mouvance présidentielle ou majorité, l’opposition, les non-alignés, les indépendants, etc., bref l’imagination est féconde).

En tout état de cause, force est de reconnaître que des arguments donnent de relativiser les vertus démocratiques jusque-là prêtée au scrutin proportionnel sur la liste nationale ainsi amalgamé à l’article L. 150 alinéa premier du projet de loi : « Les députés à l’Assemblée nationale sont élus à raison de 112 députés dont quatre-vingt-dix-sept (97) pour l’intérieur du pays et quinze (15) députés pour l’extérieur au scrutin majoritaire à un tour dans le ressort du département et « cinquante-trois (53) députés au scrutin proportionnel sur la liste nationale ».

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Pourtant, il convient de se rendre à l’évidence que la référence au scrutin proportionnel sur la liste nationale comme garant de l’égalité des partis politiques en matière de représentation n’est pas souhaitable. Ainsi, il pourrait être difficilement compréhensible de vouloir faire prospérer tout moyen tiré de la violation d’un quelconque principe fondamental, surtout lorsqu’il tend à faire annuler l’amendement consacrant le rétrécissement du scrutin proportionnel à l’effet d’éviter l’augmentation du nombre de députés à l’Assemblée nationale. A l’appui, les arguments peuvent être de trois ordres au moins.

En premier lieu, la question qu’il conviendrait d’agiter aujourd’hui est sans conteste celle de la nécessaire rationalisation de la vie politique : l’importante question qui devrait bien entendue être  envisagée en dehors de toute velléité d’atteinte à la liberté politique. Aux yeux de certains, la représentation proportionnelle paraît être le système le plus favorable à la représentation de la diversité des opinions. La présence aux organes de l’Etat des diverses tendances politiques est ainsi assurée par un système de translation. Cela favorise une représentation certes mosaï­que mais plus fidèle aux choix diversement exprimés par les électeurs. L’équité de la représentation l’emporte néces­sairement sur l’efficacité parlementaire. Assurément, la liste proportionnelle est une sorte de prime réservée au parti politique qui, détenant les rênes du pouvoir, est censé être le mieux implémenté sur le territoire national. Elle nourrit l’illusion de mieux satisfaire aux exigences de la démocratie et est, pour cette raison, contestable. Au fond, « c’est une croyance populaire, mais fausse, de penser qu’un Parlement élu à la proportionnelle est celui qui reflète, de façon plus ou moins exacte, les aspirations du Peuple » (Karl Popper).

En deuxième lieu, le paysage politique sénégalais s’est foncièrement transformé. La compétition électorale est de plus en plus animée par des partis politiques sous la bannière de coalitions. Ce qui préfigure la constitution de blocs politiques solides aspirant à une représentation significative plutôt que simplement chevillée autour d’intérêts contingents.

En troisième lieu, la perspective comparée nous donne des raisons  d’humilité. D’autres expériences parlementaires, sans scrutin proportionnel sur la liste nationale, prospèrent en Afrique de l’ouest francophone. C’est alors à juste raison que ce mode de scrutin n’est pas en vogue dans certains Etats. A titre illustratif, on s’en limite, brièvement, à l’évocation des exemples malien, béninois et ivoirien.

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Au Mali, le législateur malien confie aux candidats qui arrivent en tête, sans tenir compte des  suffrages  recueillis  par  leurs  concurrents,  le  soin  de  représenter  l’ensemble  d’une circonscription. Mais, pour être élu au premier tour, il faut recueillir un nombre de voix égal au moins à la majorité absolue. Il s’agit d’un scrutin majoritaire à deux tours. Nul n’est élu au premier tour du scrutin s’il n’a pas réuni la majorité absolue des suffrages exprimés.

Au Bénin, le territoire national  est partitionné en 24 circonscriptions électorales et seules les listes ayant recueilli au moins 10% des suffrages valablement exprimés ou plan national, sont éligibles à l’attribution des sièges. Il est procédé, au profit des listes éligibles, à une première attribution 85 sièges selon le système du quotient électoral : le nombre de suffrages valablement exprimés est divisé par le nombre de sièges à pourvoir pour obtenir le quotient électoral de la circonscription électorale. Le nombre de voix obtenues par chaque liste est divisé par ce quotient électoral et le résultat  donne le nombre de sièges à attribuer à la liste. Les sièges restants sont attribués selon la règle de la plus forte moyenne. Sans préjudice de l’élection des femmes à la première attribution, une seconde attribution est faite à raison d’un siège exclusivement réservé aux femmes par circonscription électorale. Ce siège est attribué à la liste ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages valablement exprimés dont la circonscription électorale parmi les listes éligibles de la circonscription, au profit de la  candidate présentée à ce titre.

Toutes choses qui sont propres à déconstruire l’illusion  que le scrutin proportionnel sur la liste nationale est absolument un standard démocratique.

Enfin en côte d’Ivoire, l’élection des députés à l’Assemblée nationale a lieu, dans chaque circonscription électorale, au suffrage universel direct et au scrutin majoritaire à un tour. Les députés sont élus au scrutin de liste majoritaire bloquée à un tour, sans vote préférentiel ni panachage.

Au vu de ce qui précède, la réduction du nombre de députés proportionnellement élus sur une liste nationale ne devrait, de quelque manière que ce soit, inspirer un recours fondé sur l’atteinte à la démocratie, la rupture d’égalité entre les partis politiques ou la dénaturation de la représentation nationale. L’office des sept (07) sages de la rue Saint-Jean XXIII nous dira !







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