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Ce Qui Reste Des Restes SuprÊmes

Ce Qui Reste Des Restes SuprÊmes

Je crois qu’avec Restes suprêmes, œuvre présentée au Musée des civilisations noires, Dorcy Rugamba a produit le chef d’œuvre de cette Biennale. La dernière création du metteur en scène rwandais, le jeu des acteurs, la scénographie et la réinvention des codes régissant le public du théâtre, m’ont beaucoup ému.

Restes suprêmes est l’histoire d’un jeune visiteur africain à l’Africa Museum, nouveau nom politiquement correct de l’ancien Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren, symbole de la spoliation de l’Afrique qu’a été l’entreprise coloniale. Il est alpagué par un masque Punu qui entreprend de l’initier et de le confronter à l’histoire douloureuse qui a enfanté ce lieu. Commence un itinéraire en quatre étapes, qui est un enchevêtrement de temps et de lieux, comme métaphore du chemin parcouru par le masque enlevé de sa terre pour être exposé dans un musée colonial.

Malang Sonko est ouvert à l’histoire des siens par le masque au milieu d’une forêt de bambous dans une pièce du musée. Le masque est interprété par une Nathalie Vairac bouleversante de puissance et de talent. Elle a habité ce rôle avec une justesse exceptionnelle. Ensuite, le voyage du jeune homme se poursuit dans le cabinet de curiosités d’un scientifique illuminé qui, au milieu de cranes, d’ossements, de plantes et de cartes, véhicule toutes les théories racistes possibles sur la base d’une pseudo scientificité.

Le jeune impétrant arrive ensuite au salon du Général Storms, officier belge à la retraite, nostalgique de la période coloniale où on pouvait chasser l’éléphant et démembrer des corps de rois africains. Cette balade mémorielle s’achève en Afrique où le jeune visiteur retrouve ses racines et complète son initiation aux rites et aux mythes de ses ancêtres.

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Le public, aux premières loges de ce narratif, est appelé à se déchausser à la fin et à pénétrer dans le quatrième espace, lieu de départ du masque, peint comme terre refuge symbole du sol sacré des ancêtres. Restes suprêmes est un rappel des restes de la civilisation africaine profanée, mais aussi des restes humains qui font écho aux ossements africains transportés dans les valises des conquérants coloniaux, à destination des scientifiques aux fins de leurs expériences racistes. Que nous dit Dorcy Rugamba ?

Il est essentiel de continuer à interroger la place de l’art africain dans la conception euro-centrée du monde. Aussi le rôle de l’Africain lui-même dans la perpétuation de cette vision euro-centrée. L’Europe n’arrive toujours à penser du dehors, elle s’insère à nouveau dans les récits qui ne sont pas les siens et s’arroge une centralité malgré son décrochage théorique et ses impasses épistémiques liées à sa myopie vis-àvis de tout ce qui est hors d’elle. «Il est impossible de décoloniser une institution coloniale», dit Dorcy Rugamba.

Son œuvre est une contribution au débat sur la restitution des objets du patrimoine africain spoliés par l’Europe et emprisonnés dans ses musées. Ces objets enlevés de leurs lieux sont désincarnés, voire dévitalisés, car arrachés à leur terre et dépossédés de leur force créatrice et réparatrice, de leur musicalité, de leur esthétique et de leur spiritualité.

Amputés de leur sens et de leur signification profonde, ils sont désacralisés et réduits au rang d’objets exotiques et compilés – ils disent «exposés»- dans des galeries et affublés du titre d’arts primitifs puis d’arts premiers par des ethnologues aux motivations douteuses.

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La pièce de Dorcy Rugamba nous reconnecte à une matière vivante, à ce que Felwine Sarr appelle «des étages spirituels de cultures capturés dans une entreprise de classification, de domestication, de domination et d’objectivation du monde».

Le penseur sénégalais, figure de la restitution du patrimoine africain par la France, ajoute : «L’Europe moderne à partir du 15ème siècle étend ses tentacules, tue le monde, prend les autres cultures, les muséalise, les exotise et neutralise toute l’interrogation fondamentale qu’est la rencontre de l’autre. Le fait de mettre les cultures de l’autre dans des miroirs et des musées les a rendues silencieuses.» Le masque, pièce maîtresse de l’œuvre, prend la parole et quitte ce silence oppressant dans lequel l’entreprise coloniale, l’a enfermé, en le muséifiant. Il guide le public, qui suit ses pérégrinations comme on suivrait une histoire en invité inattendu, dans le temps au travers d’une parole forte, qui résonne et nous ouvre à l’indicible.

En s’adressant à son jeune initié, le masque nous parle et nous invite à chercher dans les «restes» le fil inaltérable entre les vivants et les morts, entre le passé, le présent et le futur. Présenter les Restes suprêmes à Dakar, dans le cadre de cette Biennale, relève d’un grand sens éthique et esthétique.

Cette œuvre plastique et performative est une allégorie du sens de cette Biennale dont la survie est toujours interrogée, mais qui, cette année, après l’épisode douloureuse de la pandémie, montre sa force de liant en reconnectant l’Afrique à ses diasporas et à toutes celles et ceux avec qui elle aspire à faire monde. C’est ce qui restera des Restes suprêmes.

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