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Opinions, Idées et Débats des Sénégalais

La Place

Un temps d’épouvante et de haine, des langues fourchues. Les voici rivés aux camps qu’ils se sont assignés. Des manipulations, des calomnies, des insultes… comme armes pour signer une victoire d’une meute convaincue qu’il n’y a pas un combat autre que le leur, un horizon différent, une mobilisation plus urgente… La politique politicienne qui habille le pays les priverait de lumière que leurs yeux se sont adaptés au noir. Ne voyant plus que des ténèbres. Des volontés d’en découdre se mouvant dans une obscurité, renversant tout dans un mélange d’enthousiasme et de désespoir. S’engager dans une épreuve dont une mort serait la seule issue. Une prière d’adieu psalmodiée dans une incohérence. Leurs dernières volontés : une imploration à vivre encore un instant, encore un petit moment pour être de la fête, détruire l’avenir qu’ils ont promis, la réalisation de cet autre monde pour lequel ils se sont engagés. Inspirant une terreur tant qu’ils la redoutent. Trop et pas assez pour vendre l’espoir… le désespoir.

Ils avaient l’instant dont le moment semble devenir son contradicteur. Des silences assourdissants grondent. Un tonnerre de mots, un orage qui éclate. Des interpellations, des appels à une préservation d’une stabilité. Par tous temps, en toutes situations où s’est trouvé le pays, des populations, nanties de leur dévouement patriotique, instruites par l’histoire des luttes héroïques jusqu’ici menées, ont fait de la stabilité un impératif et ont œuvré à des solutions ayant permis au jeu politique ou politicien de traverser le feu, sortir des soubresauts. Des expériences et des acquis de luttes démocratiques raisonnablement menées. Elles ont généré des alternances et vont engendrer d’autres changements fruits de la raison, de l’expérience et de la patience.

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Sortir des évidences et des spirales vindicatives

Dans Passion de liberté, Abdoulaye Bathily, évoquant une audience avec Nelson Mandela (p. 316), écrit : « S’adressant directement à moi, il me demanda : « How my friend, president Diouf ? » Je lui répondis que le président Diouf allait bien. Et je poursuivis, un tantinet provocateur « D’ailleurs je vais me présenter contre lui à la prochaine élection présidentielle, en février 1993, et je le battrai à coup sûr ; et je réaliserai le souhait d’alternance du peuple sénégalais. Quoiqu’il eût la gentillesse de me souhaiter bonne chance, pour autant, il ne manqua pas de me rappeler avec insistance, ce que le président Diouf avait fait pour soutenir leur cause. Et puis il ajouta ces paroles de sagesse, et de réalisme : « Voyons, camarades, dans nos jugements des phénomènes et des situations, il faut prendre en compte les perspectives où on se place. Vous, en tant qu’opposant de Diouf, vous insistez sur ce qui fait avancer votre cause. Il en est de même pour nous. »

« Prendre en compte les perspectives où on se place. » Certainement sortir du « brouhaha des évidences et des spirales vindicatives ». Cheminer courageusement vers l’équilibre. Méditons ces mots de Jean Birnbaum dans Le courage de la nuance : « (…) l’éthique intransigeante de la mesure, Camus l’a empruntée à Athènes, (…) dans la culture grecque qu’il chérit et dont il a retenu une méfiance à l’égard de la démesure, un souci de la limite : limite posée à la fatuité des esprits qui croient tout savoir, comme à la violence des militants qui se croient tout permis. Mais une telle éthique n’a rien d’abstrait, c’est l’expérience qui lui donne forme et force. À commencer par la pauvreté, que Camus a connue enfant : « Je n’ai pas appris la liberté dans Marx. Il est vrai : je l’ai apprise dans la misère. Mais la plupart d’entre vous ne savent pas ce que ce mot veut dire », lancera-t-il aux intellectuels bourgeois, et autres spécialistes du progrès, qui s’autorisent à parler au nom du prolétariat, mais dont l’éloge enflammé du peuple cache mal un glacial dédain. « De la flatterie la plus dégoûtante au mépris ingénu, il est difficile de savoir ce qui, dans ces homélies, est le plus insultant », tranche-t-il dans sa belle préface à La Maison du peuple, le célèbre roman de Louis Guilloux. »

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Rêver ou réussir à gouverner « un peuple roi » comme celui du Sénégal, c’est être contraint à la lucidité, à la mesure… Et c’est là où des politiques et autres politiciens se fourvoient. Un vivre ensemble est un chantier de tous les jours. Trouver à chaque instant le « secret de l’obéissance volontaire ». Une équation presque insoluble pour des partis ou des coalitions sans âme. Un assemblage où se côtoient des gens dont les idées sont souvent opposées, un magma d’où vont monter des luttes de lignes et ou d’intérêts. Des problèmes particuliers ayant conduit les uns et les autres à être ensemble. Personne n’acceptant d’être exclu de la fête ou d’être lésé dans le partage. Comme des gamins qui ont cotisé pour une réjouissance collective.







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