A entendre des membres du gouvernement et certains responsables de l’Alliance pour la République (Apr) sommer le chef de l’Etat de se présenter, de gré ou de force, à l’élection présidentielle de février 2024; affirmer qu’ils sont déterminés à le jeter dans l’arène, mains et poings liés, on se dit qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans ce pays. Elu au suffrage universel, clé de voûte des institutions, le chef de l’État ne saurait être un «otage» encore moins «prisonnier» de lobbyistes autoproclamés.
Au-delà de l’irrespect teinté d’arrogance, focalisés sur leurs intérêts personnels, ceux et celles qui déroulent une telle approche se démasquent en réalité, en mettant tout simplement à nu un égoïsme prébendier. Et c’est là précisément, dans ce rapport au pouvoir perçu comme le moyen le plus rapide et le plus sûr de « ne plus avoir de soucis d’argent » que gît le mal sénégalais.
Faut-il alors rappeler que de l’indépendance à nos jours, l’une des batailles épiques a été d’asseoir une démocratie digne de ce nom. Des générations successives s’y sont employées corps et âmes avec le dessein de voir la liberté d’expression, la liberté de vote, la reddition des comptes avoir droit de cité.
Toutefois, alors qu’il aura fallu 40 ans pour accoucher de la première alternance politique, force est de constater comme le montre toutes ces drôles de combines visant à chaque fois à allonger le mandat présidentiel et à mettre l’assemblée nationale au pas, que la démocratie peine encore à se poser, à s’approfondir et à s’enraciner.
La priorité donnée ainsi à la captation du pouvoir ne saurait cependant masquer les enjeux fondamentaux auxquels le Sénégal est confronté. En atteste la désespérance marquée de la jeunesse qui s’échine, en toute connaissance de cause, à vouloir partir coûte que coûte, pour s’extirper de la galère qui plombe ses attentes, quitte à disparaître dans les profondeurs océanes; à s’écrouler, exténués, assoiffés, sur le sable brûlant et hostile du désert.
Quand la détresse s’exprime ainsi, propulsée par une pulsion suicidaire, c’est qu’on n’a plus rien à attendre de la vie. Que cela continue de plus belle, 60 ans après l’indépendance, devrait assurément interpeller sur notre mode de gouvernance, d’autant plus qu’aucun secteur n’est épargné. Ni l’école devenue une fabrique à chômeurs. Ni le secteur agricole soumis à la spéculation foncière et à une production en souffrance faute de transformation et de moyens de conservation. Sans compter toutes ces inquiétudes autour de l’évacuation sanitaire qui sont l’expression d’une défiance criante vis-à-vis du système sanitaire local. C’est dire l’urgence à revenir aux fondamentaux pour se connecter aux besoins d’excellence qui travaillent la société, taraudent nombre de Sénégalais, comme en témoigne le nouvel engouement autour du football national.
Loin d’avoir surgies ex-nihilo, toutes ces victoires engrangées dernièrement ( Can 2022. Chan 2023. U20 2023) sont plutôt ancrées dans le terreau fertile de l’effort soutenu. Fruit d’un lent, minutieux et patient travail de formation, elles consacrent une vision bâtie sur l’édification d’une confiance en soi autour d’entraîneurs locaux qui ont désormais contribué à désinstaller dans la tête de nombre de Sénégalais l’appel à un « sorcier blanc » pour espérer la victoire. Il aura fallu la venue de Aliou Cissé, le soutien de la fédération, de l’Etat, une politique axée sur la formation, pour décrocher le graal, arriver enfin à des résultats probants.
Aussi convient-il maintenant de faire ruisseler tout cela sur l’ensemble des autres agrégats. Cela est d’autant plus impérieux que ces victoires, à travers l’engouement qu’elles suscitent, boostent au plan psychologique, réconcilient avec l’estime de soi et expriment avec force la soif furieuse de réussite. Aucun atavisme donc sinon que le possible se nourrit précisément d’une exemplarité qui incombe à tous et à toutes, et au premier chef aux élites qui dirigent ou qui aspirent à diriger le pays. Si prompts à se défausser sur les autres, cause de tous les malheurs, elles feraient mieux d’opérer un retour critique sur ces années d’indépendance, s’inspirer des figures majeures de notre histoire commune.
A l’image de Tierno Souleymane Baal, initiateur de la Révolution torodo, qui au 18e siècle, avait fustigé la corruption, l’impunité, l’enrichissement, le népotisme, la dévolution monarchique du pouvoir. Ainsi avait-il lancé cette invite à ses fidèles : « Détrônez tout imâm dont vous voyez la fortune s’accroître et confisquez l’ensemble de ses biens; combattez le et expulsez le s’il s’entête ».
Et d’ajouter: « Choisissez toujours un homme savant et travailleur; fondez-vous toujours sur le critère d’aptitude ». Par ces recommandations fortes, il s’inscrivait déjà en porte-à-faux avec certaines pratiques d’aujourd’hui. Celles qui s’asseoient sur la bonne gouvernance, promeuvent l’appartenance partisane pour les postes de responsabilité, encourageant ainsi l’idée selon laquelle le pouvoir est un moyen d’amasser une puissance financière aux fins d’entretenir une clientèle politique captive tout en se mettant à l’abri du besoin.
Et voilà qu’on continue de s’éloigner de ces modèles inspirants. En lieu et place on nous promet un « mortal combat » sur fond d’affaires privées et de supposés complots d’Etat qui polluent l’atmosphère politique et nous éloignent des questions substantielles. Comment contenir l’hyper-présidentialisme, l’Etat patrimonial ? Comment rendre effective l’édification d’un Etat impartial? Quel avenir pour la jeunesse, les femmes? A quelques encablures de l’élection présidentielle, point de débats sur un ensemble de maux qui minent la démocratie sénégalaise. En lieu et place le bruit et la fureur. Et c’est bien dommage car le pays mérite mieux