Le dialogue de Diamniadio, convoqué par le président de la République pour statuer sur la date de l’Élection présidentielle, est tout sauf national. 17 des 19 candidats retenus par le Conseil constitutionnel et l’écrasante majorité des Organisations de la Société Civile (OSC) ont refusé d’y participer. Même, certains des recalés du parrainage ont dit niet à l’appel du chef de l’État. Seuls les partisans de Macky Sall dans « Benno Bokk Yakar » (BBY), quelques laudateurs (des marabouts politiciens, des Chefs traditionnels qui vivent sur le dos de l’État, un soi-disant représentant de la société civile casé à l’OFNAC) et quelques personnes dignes de confiance, comme le représentant des laïcs de l’église catholique qui a ouvertement exprimé l’opinion de l’église en faveur du respect de la décision du Conseil constitutionnel (CC) sans que le Président en tienne compte dans sa synthèse, ont participé à cette mise en scène. La série de monologues sur les « réalisations » et les « hautes qualités » du chef de l’État, totalement en déphasage avec l’objectif de ce simulacre de dialogue, montre à souhait qu’il ne s’agit de rien d’autre que d’une opération de caution et de validation de ce que Monsieur Macky Sall a l’intention de faire. D’ailleurs, in fine, après avoir écouté plus d’une cinquantaine d’orateurs, le Président a donné la direction à suivre en sortant les propositions qu’il avait lui-même préparées:
- Déterminer une date qui va aller au-delà du 02 avril (probablement en Mai 2024 et en contradiction avec la décision du Conseil constitutionnel [CC]) tenant compte du ramadan, du carême, de l’hivernage…
- Faire des propositions sur la vacance du pouvoir, à la suite de la fin de mandat du Président en exercice sans qu’un nouveau Président ait été élu. A ce sujet, sans en avoir l’air avec des propos tels que « J’ai hâte de quitter ; je finis le 2 avril », il compte encore rester au pouvoir au-delà de la durée légale si le CC lui en donne la caution.
- Amnistier tous les faits liés aux manifestations de 2021 et 2023, y compris les tueries attribuées aux nervis, les bavures des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) et les actes repréhensibles des membres de son propre camp susceptibles d’être poursuivis, en prenant la libération de Sonko et de Diomaye comme couverture pour se faire.
- Reprendre le processus électoral pour surtout réintégrer Karim Wade dans la course à la présidentielle.
A la lumière du format de ce dialogue et des propositions émises sous forme de directives aux deux (20 Commissions dirigées par les personnes[1] avec lesquelles il a bien préparé son dialogue, plusieurs constats s’imposent :
- Les conclusions tirées de ce dialogue seront tout sauf consensuelles. Comment un dialogue auquel ne participent pas la quasi-totalité des candidats retenus (qui sont les premiers concernés par l’objet du débat) et la quasi-totalité des forces citoyennes peut-il produire des décisions consensuelles ? Il s’agirait plutôt d’un forcing du chef de l’État qui voudrait imposer son agenda en faisant fi du respect de la Constitution, de la décision du CC et du droit des citoyens à choisir leur mandataire au palais.
- Le gardien de la Constitution et garant du bon fonctionnement des institutions décide, de son propre gré, de fouler au pied les dispositions pertinentes de la Constitution et la décision No1/C/2024 portant annulation de la loi constitutionnelle No 4 /2024 du 5 février 2024 portant dérogation aux dispositions de la constitution sénégalaise. La décision du CC demande au chef de l’État d’organiser l’élection à une date inscrite dans le cadre légal et temporel qui ne dépasserait pas le 02 avril 2024. Or en prônant l’organisation de l’élection au mois de mai 2024, le Président sort carrément et délibérément de la temporalité constitutionnelle. Il sait, en plus, qu’il ne sera plus Président de la République. Mais, il espère trouver une fenêtre d’opportunité avec la caution du CC pour rester encore au pouvoir.
- Il espère exploiter le vide juridique et institutionnel provoqué par son attitude de défiance vis-à-vis du juge électoral suprême et de violation de la loi constitutionnelle, qu’il est sensé respecter scrupuleusement, pour rester encore au pouvoir jusqu’aux environs de juin ou juillet 2024 si le CC décide dans le sens qu’il veut. Il serait même tenté de lui imposer ce choix. Qui sait ? Là, il serait cependant étonnant que le CC ravale sa décision qui a force de loi et se dédise pour satisfaire les désidérata du chef qui reste dans son obsession de « coup d’État constitutionnel ou électoral». La liste des candidats déjà arrêtée ne saurait, en aucune manière, être remise en cause, même si le président est dans cette dynamique. Et il voudrait le faire de deux façons : soit reprendre intégralement le processus électoral à partir d’une nouvelle convocation du corps électoral (ce que le président Macky Sall compte faire si on suit son raisonnement d’hier), soit maintenir la liste en y rajoutant d’autres candidats (option implicitement défendue par le candidat Boune Abdallah Dione) par le truchement d’un « processus réajusté ». Tout cela concoure au non-respect de la décision du CC.
- Avec le projet de loi d’amnistie à soumettre à l’Assemblée nationale dès mercredi 28 Février 2024, le président a un double objectif : protéger ses arrières et ses affidés qui ont commis pas mal d’atrocités et créer les conditions de la dislocation de PASTEF. Quelle est la pertinence d’une loi d’amnistie pour des faits ou accusations aussi grave de « terrorisme », « d’ insurrection », de « destruction de biens d’autrui » sans jugement préalable ? parmi les faits visés, c’est les tueries commises par des nervis de BBY ou des FDS sous l’ordre et le haut commandement de leurs Chefs qui sont impardonnables. Plus d’une cinquantaine de jeunes tués par balle (parfois à bout portant !) sans enquête, ni jugement à oublier et à enterrer ! quelle injustice et violation flagrante des droits de l’homme ! Une telle tuerie mériterait un procès à la guinéenne ou une justice transitionnelle (Commission vérité et réconciliation) dans ce Sénégal de tradition démocratique qu’on a transformé, en si peu de temps, en un mouroir politique pour des jeunes qui exprimaient leur citoyenneté et leur réprobation de l’injustice. Aucune amnistie ne saurait effacer de la mémoire collective les actes ignobles perpétrés contre la couche la plus importante de notre communauté ; notre jeunesse ! cette tuerie restera inoubliable quels que soient les mesures législatives prises pour absoudre leurs auteurs. Sortir Sonko de prison pour lui donner l’opportunité de se présenter comme candidat face à la candidature déjà actée de Diomaye Faye n’a pour unique but que de poser les germes de la division au sommet de l’élite dirigeante de ce parti Pastef dissous qui offre la meilleure alternative en terme de changement de régime. Si ce jeune parti (de par ses membres et la durée de son existence) ne fait pas preuve de maturité et de capacité de résilience, comme il l’a toujours démontré contre les assauts répétés du régime de Macky Sall, il va succomber aux derniers coups de marteaux de BBY et briser l’espoir de toute une génération qui n’a que le « projet » comme alternative aux souffrances, brimades, accaparements des ressources publiques par l’élite au pouvoir.
Chers concitoyens, je vais emprunter au président MS son expression tirée de nos discours estudiantins : « L’heure est grave ». Par l’incurie, la cupidité, la roublardise et la soif de pouvoir des politiciens, le Sénégal risque d’être entrainé dans un abime profond dont il aura du mal à s’en sortir. L’impasse constitutionnelle à laquelle nous conduit les migmags du président MS est pleine de danger pour notre continuité démocratique, la stabilité du pays et la poursuite de nos efforts de développement. La gravité de l’heure appelle des Sénégalais un sursaut citoyen pour sauver notre République et notre trajectoire démocratique. Les Sénégalais, de quelque bord qu’ils soient, doivent se mobiliser et agir comme un seul homme pour faire face à cette forfaiture en gestation depuis quelques mois, en multipliant les initiatives et les actions contre la destruction et de déstructuration de notre commun vouloir de vie commune.
Nous en appelons au Conseil constitutionnel pour sauver notre pays de l’impasse ou de l’abîme vers lequel on l’entraine. Nous savons qu’il n’y a aucune décision du Conseil constitutionnel qui serait sans risque. Les enjeux liés aux décisions que ses membres seraient appelés à prendre les exposeraient à des menaces sérieuses. L’État doit leur garantir, eux et les membres de leur famille, une protection sans faille contre toutes sortes de menaces auxquelles ils seraient exposés. Nous n’accepterons pas qu’il leur arrive quoi que ce soit dans l’exercice de leurs fonctions dont dépendra l’avenir de ce pays. Œuvrons ensemble pour sauver notre pays !
[1] Les ministres de l’Intérieur et de la Justice