Le Comité de politique monétaire de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) a décidé, ce 6 mars 2024, de maintenir inchangé son taux directeur à 3, 50%.
Elle explique cette décision par un recul de l’inflation dans la zone, une bonne tenue des comptes extérieurs et par un contexte de croissance économique favorable. Pour l’institution monétaire, le taux d’inflation serait, en effet, ressorti à 2, 3% au quatrième trimestre 2023, après 2, 9% le trimestre précédent.
Pour l’année 2023, le taux d’inflation se serait situé à 3, 7%, après 7.4% en 2022. Sur la croissance, pour l’année 2023, elle est estimée à 5, 6%, après 5, 7% en 2022. Elle devrait s’accélérer en 2024 pour s’établir à 6, 5%.
Un mauvais diagnostic
A entendre le Gouverneur expliquer les raisons, on a l’impression d’entendre les mêmes refrains dans le cadre d’un exercice de simulation intellectuel répétitif et sans grande conséquence sur les économies. La politique monétaire est complètement déconnectée de la politique économique. La Bceao a, à notre avis, encore pris une mauvaise décision pour plusieurs raisons :
1- La thérapie mécanique de maintien ou d’augmentation des taux est inefficace pour une zone qui n’a pas une maîtrise complète de sa politique monétaire. Dans la zone Franc, où l’essentiel du tissu économique, constitué de Pme et de secteur informel, est exclu du financement, des taux encore élevés sont sans grande portée sur l’économie dans son ensemble et impactent négativement les rares acteurs qui accèdent au crédit.
2- L’autosatisfaction proclamée par la Banque centrale quant à une diminution de l’inflation donc des prix interroge quant à la solidité des arguments avancés. Objectivement, la vie reste très chère dans les pays de l’Uemoa, avec des prix toujours dans une tendance haussière. Chacun peut l’expérimenter à son niveau en constatant de visu ces fortes hausses de prix, notamment sur les denrées de première nécessité et le logement. Il devient urgent de repenser nos outils de mesure des prix. J’observe un décalage entre les niveaux d’inflation annoncés et la vérité des prix sur les marchés.
3- La Bceao semble ignorer que l’inflation actuelle n’a pas une origine monétaire classique et n’est pas liée à une surchauffe de l’économie. Elle est due plutôt à un déficit de l’offre mondiale, à une augmentation du coût du fret maritime et au renchérissement du pétrole et du dollar. Sans oublier les conséquences de la guerre russo-ukrainienne sur les chaînes de production et les stratégies spéculatives des acteurs. Dès lors, les mesures conventionnelles, contre-productives s’apparentent à un coup d’épée dans l’eau.
4- Le paramètre «bonne tenue de la croissance» annoncée pour justifier le maintien des taux ne tient pas. En effet, ces taux de croissance mal calculés, insuffisants, extravertis (portés souvent par des intérêts étrangers) et supérieurs au croît démographique ne permettent pas un recul de la pauvreté. Une bonne partie des pays de l’Union restent en queue de classement dans l’indice de développement humain du Pnud. Il urge là aussi de s’interroger sur la pertinence et la fiabilité des taux annoncés.
5- La Bceao n’a pas été suffisamment stratège dans sa décision, en omettant d’évoquer l’impact de la situation géopolitique difficile actuelle de l’Union avec son deuxième moteur économique, le Sénégal, en proie à des difficultés politiques, et trois pays, le Mali, le Niger et Burkina quasiment dans une posture de sécession. Une banque centrale responsable ne peut omettre de prendre en compte ces risques dans ses évaluations.
Les solutions
Il urge de changer de fusil d’épaule et de prendre de bonnes mesures. Les contraintes dans la zone Franc sont nombreuses. Des économies extraverties, une monnaie forte qui arrive difficilement à relancer les exportations et qui ne facilite pas l’intégration des zones (Cemac, Uemoa et Comores) ; Au lieu de relever les taux directeurs, il aurait fallu suivre le chemin inverse, mais aussi promouvoir avec les Etats des réformes structurelles sur des économies extraverties, réfléchir à d’autres alternatives au financement et solutionner les contraintes liées au franc Cfa. Aussi, il aurait été intéressant de mettre en œuvre, eu égard au poids important du secteur informel qui échappe aux objectifs de quantification monétaire, une politique d’assouplissement quantitative. Celle-ci pourrait se traduire par des solutions temporaires de planche à billets et des stratégies de rachat d’actifs, notamment de créances et d’obligations ; La Bceao gagnerait à repenser ses missions, centrées sur la lutte contre l’inflation, à l’image de la Fed aux Etats-Unis ; Elle devrait faire focus sur le plein-emploi, qui pourrait se traduire par un appui direct aux Etats et aux acteurs en utilisant une partie de ses réserves pour financer temporairement des projets ; Finalement une question s’impose : les pays de la zone Franc ont-ils vraiment une politique monétaire au service des économies ?
Magaye GAYE
Economiste International
Ancien membre de la Banque ouest-africaine de développement (Boad) et du Fonds africain de garantie et de coopération économique (Fagace)