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Crise De L’ecole Sénégalaise : La « Rupture » Linguistique

Crise De L’ecole Sénégalaise : La « Rupture » Linguistique

Tous les Sénégalais conviennent que notre Ecole traverse une crise qui a des conséquences très néfastes sur notre présent et sur notre futur. Et pour les médias et les populations, cette crise qui gangrène notre système éducatif n’est que la résultante des revendications des syndicats d’enseignants. Par conséquent, ils estiment qu’elle sera résolue avec la fin des grèves récurrentes!

Nous pensons que la crise de l’Ecole sénégalaise ne saurait se résumer au non-respect d’engagements pris par l’Etat vis-à-vis des enseignants ! Donc la solution à cette crise ne saurait être exclusivement syndicale, même si le bien-être moral et matériel des enseignants doit être une priorité pour le gouvernement…

Les décideurs nationaux (ministère) et internationaux (la Coopération française et canadienne, en particulier), pensent, de leur côté, que la solution est pédagogique et préconisent, à cet effet, une révision systématique et approfondie des méthodes d’enseignement et des contenus. C’est ainsi qu’un excellent « Curriculum pour l’Education de base » a été conçu avec des progressions harmonisées pour l’Elémentaire. Pour le Moyen et le Secondaire, les programmes sont maintenant bien définis, bien structurés et l’étape suivante sera, sans nul doute, la mise en place d’un curriculum et d’une progression harmonisée pour ces deux niveaux.

Tout ceci est bien beau ; mais nous devons ouvrir les yeux, voir la réalité et déplacer l’épicentre de la crise de notre Ecole ailleurs si nous voulons sérieusement y apporter les solutions idoines. Cette crise n’est, foncièrement, ni syndicale, ni pédagogique. Elle est beaucoup plus profonde que cela ! Elle est structurelle, culturelle, et plus précisément, sociolinguistique !

Comment peut-on se pencher sérieusement sur le « futur » de notre Ecole sans oser ‘diagnostiquer’, sans complaisance, l’élément majeur de cette institution: la langue d’apprentissage qu’est le français ?

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Le constat est là, accablant et sans équivoque : la plupart de ceux qui parlent ou écrivent le français dans ce pays, le font mal ! Très mal même ! Il suffit de lire les journaux sénégalais ou d’écouter certains débats pour s’en rendre compte ! A l’examen du BFEM, par exemple, presque tous les candidats ont 00/20 en dictée. Au Baccalauréat, beaucoup d’élèves échouent, non pas toujours parce qu’ils n’ont pas compris les sujets, mais surtout parce que leurs dissertations et leurs commentaires littératures, philosophiques, historiques sont écrits dans un français scabreux qui révoltent le correcteur avisé. Et la non-maîtrise du français déteint sur la maîtrise des autres matières comme les sciences qui sont très mal assimilées.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les Ivoiriens, les Gabonais, entre autres Africains dit « francophones », parlent et écrivent le français mieux que nous autres, Sénégalais ! En effet, si le français attire encore certains Africains au point de devenir leur lingua franca, ce n’est plus le cas pour les Sénégalais. Avec Senghor, puis Cheikh Hamidou Kane, et ceux nés aussitôt après 1960, le français était un mythe, une langue d’excellence, que chacun s’évertuait à maitriser, à manier pour en faire une arme de promotion individuelle et sociale. Ce qui fait que dès le Cours Moyen, les élèves faisaient très peu de fautes en dictée et certains d’entre eux écrivaient même des poèmes et des récits. Mais tout ceci, c’est de l’histoire ancienne ! Le français ne fait plus rêver les Sénégalais ! Il révulse même certains ! Pour plusieurs raisons…

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N’ayant jamais été culturellement colonisés, en dépit des apparences, les Sénégalais sont plus proches de leur langue maternelle que du français. Et le wolof est devenu, incontestablement, la lingua franca, avec le formidable avantage de n’appartenir à aucune ethnie. Tout le monde parle cette langue, partout… Même les élèves et les étudiants, ainsi que leurs maîtres, ne parlent le français qu’en classe ! Sous la contrainte d’un système visiblement en déphasage avec les réalités sociolinguistiques du pays! Aussi, dès leur sortie des salles de cours, libérés et soulagés, retournent-ils allègrement à leur wolof, que ce soit sur le campus, dans les chambres pour étudiants, dans la cour de récréation et à la maison!

Le wolof est si omniprésent – même dans l’Administration sénégalaise !- que certains parlent de tyrannie ! Mais peut-on seulement reprocher aux descendants de Kocc Bàrma et à leurs cousins de se sentir plus à l’aise avec cette langue que leur a refilée leurs mamans et leur entourage ?

En plus de cette souveraineté culturelle à laquelle les Sénégalais tiennent tant, la France n’a pas arrangé les choses en optant pour la promotion d’une Francophonie à deux vitesses : parlez français et adoptez la culture française, mais ne mettez pas les pieds en France ! Même des Sénégalais que l’on pourrait considérer comme des porte-étendards de la langue et de la culture françaises ont été victimes de cette politique paradoxale !

Conséquence : la nouvelle langue internationale qui attire les sénégalais, c’est l’anglais. C’est même l’italien, voire le chinois et le japonais… Parce que le monde anglophone, américain en particulier, est moins égoïste, plus ouvert et économiquement et scientifiquement plus rentable.

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Pour résoudre la crise de l’Ecole sénégalaise, il faut avoir le courage de reconnaitre qu’elle est essentiellement sociolinguistique. La réalité nous impose de faire de nos langues nationales et de l’anglais les langues d’enseignement au Sénégal. La Concertation Nationale sur l’Avenir de l’Enseignement Supérieur n’a pas été assez courageuse ; elle a esquivé le point nodal de la crise de notre Ecole pour nous proposer des solutions essentiellement pécuniaires et managériales qui ne constituent pas, à elles seules, les « ruptures nécessaires à l’avènement de l’école du futur» qui nous placera sur la rampe du progrès.

Même la France, et d’autres pays francophones qui ont fait de l’anglais une langue officielle comme le Rwanda et le Gabon, ont compris l’impérieuse nécessité de conférer à cette langue la place qui est la sienne. Une langue qui, même si elle nous vient de l’Angleterre et des Etats Unis, est devenue maintenant celle du monde moderne, parce que celle des sciences et techniques. Et tous les pays qui veulent se développer doivent nécessairement l’adopter ou périr.

Pr. Gorgui DIENG

Laboratoire d’Etudes Africaines et Postcoloniales

Département d’Anglais, UCAD

gorgui.dieng@ucad.edu.sn

 

Pr Gorgui DIENG

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