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«vous Permettez, Professeur ?»

«vous Permettez, Professeur ?»

Observations sur certaines assertions du Pr Ismaïla Madior Fall

Selon des articles de presse, lors de la conférence organisée le samedi 17 juin dernier par les cadres de la coalition Bennoo bokk yaakaar sur le thème «Rôle et place du député dans un régime présidentiel», le Professeur Ismaïla Madior Fall, après en avoir souligné certains acquis depuis l’indépendance, aurait essayé d’identifier les insuffisances et faiblesses de l’Assemblée nationale et de déterminer les défis qu’elle a à relever dans le futur.

Lorsqu’il plaide pour des changements dans l’organisation et le fonctionnement de l’institution parlementaire, nous sommes forcément d’accord avec lui puisque c’est cela même que nous préconisons dans notre programme de gouvernance parlementaire, comme annoncé lors de notre conférence de presse du mardi 13 juin dernier. Cepen­dant, l’on ne peut s’empêcher de se demander pourquoi alors le régime, au service duquel il s’est mis, a-t-il attendu jusqu’à aujourd’hui pour faire de telles propositions ? N’auraient-elles pas pu être mises en œuvre à l’orée ou au cours de cette 12ème Législature qui s’achève ?

Ce qui a en outre retenu l’attention, ce sont certaines assertions de l’honorable Professeur qui aurait prétendu que :

– les quatre fonctions de l’As­semblée nationale sont «des fonctions de représentation, de législation, budgétaire et de con­trôle de l’action du gouvernement» ;

– l’Assemblée nationale «n’a pas pour vocation de faire des propositions de loi» et «le rôle des parlements contemporains n’est pas de proposer la loi» ;

– et «les propositions de loi ne sont pas un critère pertinent pour évaluer une Assemblée nationale dans la mesure où l’élaboration d’une proposition de loi suppose une expertise qui n’existe toujours pas à l’Assemblée».

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Qu’il nous permette donc de battre en brèche ces affirmations, aussi péremptoires qu’infondées.

Lorsqu’il définit ainsi les quatre fonctions de l’Assemblée nationale, nous sommes obligés d’attirer son attention sur la nuance qui existe, à notre connaissance, entre fonctions et missions et sur le fait que la seule fonction de l’Assemblée nationale est celle de représentation, les autres prétendues fonctions étant en fait des missions et qui sont d’une triple nature : une mission de législation, une mission de contrôle de l’action gouvernementale, matérialisée à deux niveaux : par un contrôle a priori de l’élaboration budgétaire qui s’exerce à travers le vote des lois de finances, et par un contrôle a posteriori qui s’exerce à travers le vote des lois de finances rectificatives et des lois de règlement, et pour finir, une mission d’évaluation des politiques publiques.

Lorsqu’il affirme que «le rôle des parlements contemporains n’est pas de proposer la loi» et que «les propositions de loi ne sont pas un critère pertinent pour évaluer une Assemblée nationale dans la mesure où l’élaboration d’une proposition de loi suppose une expertise qui n’existe toujours pas à l’Assemblée», l’on ne peut s’empêcher de se demander où il est allé chercher tout cela ? Si l’élaboration de propositions de loi ne constitue pas un critère d’évaluation d’une Assemblée nationale, à quoi bon lui avoir confié – et reconnu – le pouvoir de légiférer ? La République n’est-elle plus bâtie sur «un gouvernement du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple» ou n’est-elle pas «un Etat gouverné en fonction du bien du Peuple» ? Le suffrage universel n’est-il plus l’expression de la souveraineté populaire ? L’Assemblée nationale n’est-elle pas une institution de représentation nationale et, à ce titre, ne devrait-elle pas pouvoir exprimer les attentes populaires et promouvoir un débat démocratique, riche et productif ? L’institution parlementaire ne compte-t-elle pas ou est-elle condamnée à ne jamais compter des députés capables d’élaborer des textes juridiques ? Nos parlementaires sont-ils ou doivent-ils être définitivement et irrémédiablement incapables d’acquérir les connaissances techniques nécessaires en «légistique» ?… Nous invitons le Professeur à plus de retenue dans ses laborieux efforts pour justifier et habiller juridiquement des orientations malvenues et positions indéfendables, rien que sur le plan des principes.

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Mais c’est surtout lorsque le conseiller juridique-professeur invite les futurs députés de la 13ème Législature à «se positionner dans l’amendement des projets de lois du gouvernement et le contrôle de l’application de ces lois», qu’apparaissent mieux les motivations cachées de ce thuriféraire du régime qui semble avoir troqué la rigueur de l’analyse contre un «maroquin» et le plaisir de se pavaner sous les lambris de la République. En effet, il n’est question de rien d’autre ici que d’un ultime moyen de baliser la route à un présidentialisme exacerbé, une tentative de manipulation des citoyens-électeurs sous prétexte de stabilité et de collaboration pour mettre en place un Parlement  encore plus «caporalisé», affaibli et confiné dans une posture attentiste ou réactive – et non proactive – au plus grand malheur des Sénégalais.

Le Professeur Fall nous a déjà habitués à ce genre de raisonnement régressif au regard de la consolidation du processus démocratique dans notre pays, en s’opposant tous azimuts aux conclusions des Assises nationales et aux propositions de la Cnri. En l’espèce, il s’agit aujourd’hui d’une surenchère insidieuse à l’encontre de l’idée émise en faveur de la mise en place d’un régime parlementaire. Tout comme il s’était opposé, lors des discussions sur la révision constitutionnelle, aux recommandations sur le non cumul chef de l’Etat/chef de parti et sur une réduction de la représentation du pouvoir exécutif au sein du Conseil supérieur de la Magistrature, pour ne citer que celles-là…

En réalité, le ministre-conseiller juridique du président de la République avait jeté le masque dès l’entame de son propos, lors de cette conférence de Bennoo bokk yaakaar de samedi dernier, en voulant prouver que le principe de la séparation des pouvoirs n’était plus de mise, trouvant même que les pouvoirs exécutif et législatif formaient un même bloc. Comme si la majorité parlementaire devait correspondre éternellement à la majorité présidentielle, comme c’est le cas actuellement.

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Non, M. Fall, la séparation des pouvoirs n’est ni caduque ni impraticable, ni inadaptée ; elle est seulement pour ce qui concerne le pouvoir législatif inopérante dans le contexte actuel et la configuration de la majorité parlementaire d’aujourd’hui, et pour ce qui concerne le pouvoir judiciaire, biaisée par une organisation déficiente et par l’instrumentalisation de certains magistrats aux ordres.

Mohamed SALL SAO

Tête de liste nationale

de la Coalition

«Assemblée bi ñu bëgg»

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