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Faiblesse Des Salaires Et Dures Conditions De Travail Dans Les Professions Agricoles : Entre Injustice Et Indécence

Faiblesse Des Salaires Et Dures Conditions De Travail Dans Les Professions Agricoles : Entre Injustice Et Indécence

Savez-vous le montant du salaire minimum agricole garanti (SMAG) au Sénégal ? Depuis 2009, le SMAG est de 213,392 francs CFA par heure, soit un salaire minimum garanti mensuel de 44 386 de francs CFA contre 47 700 de francs CFA pour les professions industrielles et commerciales.  Savez-vous la durée légale hebdomadaire de travail dans les professions agricoles ? 48 heures par semaine, soit 208 heures de travail par mois contre 173, 33 heures pour les professions industrielles et commerciales. Ces deux questions-réponses campent le sujet et attirent l’attention sur la double injustice (au plan de la rémunération et sur celui des conditions de travail) dont sont victimes les travailleurs des professions agricoles. Cette injustice doublée d’une indécence dure depuis la période coloniale et s’est exacerbée aujourd’hui au point de devenir gravement inacceptable.  En effet, comment comprendre, dans un pays, que les personnes qui effectuent les tâches les plus harassantes et les plus dures travaillent plus longuement et, au finish, gagnent moins ? J’entends déjà certains me répondre que les salariés des professions agricoles, dans leur majorité, perçoivent des revenus largement supérieurs au SMAG. Oui, il y a des travailleurs qui gagnent au-dessus du SMAG, mais pas suffisamment pour les sortir de la zone de pauvreté comme plusieurs études l’ont démontré. Plus grave, il existe un nombre important de salariés relevant des professions agricoles qui peinent à gagner le SMAG d’après ces études.

Des salaires anormalement bas, injustes et indécents

Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), un salaire minimum est « la somme minimum qui doit être versée au travailleur pour le travail effectué (…) au-dessous de laquelle il est interdit de descendre (…) et qui peut être fixée de manière à permettre au travailleur et à sa famille de subvenir à leurs besoins essentiels compte tenu de la situation économique et sociale du pays ». D’après l’OIT, deux concepts sont généralement associés à la notion de salaire minimum : le living wage et le salaire équitable. Le concept de living wage renvoie à la nécessité d’intégrer, dans la détermination du salaire minimum, les besoins vitaux des travailleurs et de leur famille, tels que la nourriture et le logement, mais également leurs besoins sociaux et culturels, comme l’éducation et les loisirs. Quant au concept de salaire équitable, il fait référence à un certain nombre d’éléments notamment la prise en compte, dans la détermination du salaire minimum, des niveaux de formation, de compétences et d’expérience professionnelle. Au vu de ce qui précède, comment comprendre que le SMAG au Sénégal n’ait pas bougé depuis 2009 ? Avant cette date, il avait été fixé en 2002. Attendre 6 à 7 ans avant de le revaloriser prouve le peu d’intérêt que nos gouvernements successifs ont accordé au sort des travailleurs relevant des professions agricoles.

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Les gouvernements sénégalais ne pourraient se prévaloir d’aucune excuse, car leur attention est régulièrement attirée sur cette anomalie et la nécessité de la corriger. En effet, dans le cadre des mécanismes de contrôle régulier de l’application des normes internationales ratifiées par les pays, la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (CEACR) de l’OIT a régulièrement formulé des commentaires aux gouvernements sénégalais relativement à l’application de la Convention no 99 sur les méthodes de fixation des salaires minima dans l’agriculture ratifiée par notre pays depuis 1962. Ainsi, en 2008, la CEACR après avoir constaté que le SMAG pouvait rester inchangé pendant plusieurs années, rappelait au gouvernement sénégalais « qu’un système de salaires minima risquerait de perdre toute signification si les taux de salaires minima n’étaient pas revus et périodiquement révisés en fonction de l’évolution du contexte socio-économique du pays ». Ces commentaires étaient assortis d’une recommandation au gouvernement l’invitant « à examiner les niveaux de salaires minima et à faire en sorte de garantir que toute augmentation éventuelle tienne dûment compte des besoins des travailleurs et de leurs familles ». Rien n’est fait à ce jour et pire, personne n’en parle !

Nos gouvernements respectifs ne sont pas les seuls responsables de cette situation préjudiciable aux travailleurs des professions agricoles. Les organisations syndicales, dont les principaux responsables sont si prompts à se disputer des places pour aller assister aux conférences annuelles du travail à Genève, au frais de l’État, prennent une grande part responsabilité dans cette situation qui lèse pourtant certains de leurs membres qu’elles sont censées défendre. En effet, l’absence d’une convention collective des professions agricoles a conduit le gouvernement à fixer par décret (no 61 – 347 du 6 septembre 1961) les conditions de travail dans les professions agricoles et assimilées. Une telle situation se traduit par l’inexistence d’un cadre de négociations collectives pouvant permettre aux organisations syndicales représentant les travailleurs agricoles de pouvoir notamment négocier, avec les principaux employeurs, leurs propres conditions de travail ainsi que des niveaux de salaires qui tiennent compte de leurs compétences, mais aussi de leurs besoins. Comme depuis 56 ans les organisations syndicales se désintéressent de cette question, il revient, alors, au gouvernement de déterminer, par voie réglementaire, les salaires minimas dans les professions agricoles et assimilées. Aujourd’hui, la négociation, puis la conclusion d’une convention collective des professions agricoles deviennent plus qu’impératives. Sinon les travailleurs des professions agricoles seront toujours exposés à des incongruités comme celle d’être classés en référence à des catégories professionnelles déterminées par un arrêté colonial datant de 1957, toujours en vigueur (Arrêté no 2755/ITLS/SM du 13 avril 1957).

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Des conditions de travail dures et indécentes

Le Code du travail sénégalais fixe la durée légale du travail à 2352 heures de travail par an (soit 48 heures par semaine) dans les exploitations agricoles. Cette disposition constitue un héritage du Code du travail d’Outre-mer de 1952, lequel avait privilégié l’annualisation du temps de travail dans les professions agricoles. En annualisant le temps de travail, l’objectif visé était de tenir compte de la spécificité des activités dans les exploitations agricoles. En effet, ces dernières ont des activités généralement saisonnières, c’est-à-dire des activités soumises à de nombreuses variations cycliques (récolte, semis, etc.). Par conséquent, les travailleurs alternent des périodes de pointe, caractérisées par une charge de travail très intense, avec des périodes creuses où la charge de travail est plus allégée. L’annualisation du temps de travail permet, donc, de réguler les activités notamment en recourant, par exemple, aux heures supplémentaires pendant les périodes de pointe et en réduisant le temps de travail pendant les périodes creuses pour compenser les dépassements enregistrés.

Il paraît important de rappeler, brièvement, le contexte dans lequel le Code du travail d’Outre-mer de 1952 avait déterminé les conditions de travail pour l’ensemble des travailleurs et, particulièrement, ceux relevant des professions agricoles. Les textes pris en application du Code du travail d’Outre-mer de 1952 avaient prévu un certain nombre de mesures au profit des travailleurs agricoles. Au nombre de celles-figurait l’obligation, pour les employeurs, de fournir à leurs travailleurs un logement dans certains cas notamment si une distance de 10 km, au moins, séparait leur lieu de résidence habituelle et leur lieu d’emploi (Arrêté no 5040/ITLS/SM du 17 juillet 1956). Une autre obligation imposée aux employeurs était de mettre à la disposition de leurs travailleurs des terrains de culture, des semences et mêmes des instruments de travail (Arrêté local no 5645 ITLS/SM du 31 août 1953) surtout lorsqu’ils étaient occupés dans des exploitations agricoles éloignées des marchés d’approvisionnement en denrées alimentaires.

Aujourd’hui, avec le développement de la mobilité urbaine ainsi que celui des zones périurbaines, ces deux obligations qui étaient des mesures d’accompagnement visant à atténuer la contrainte que subissaient certains travailleurs en résidant sur leurs lieux de travail ou à ses alentours (donc à consacrer plus de temps à leur travail), se justifient moins. Il est important de rappeler que ces textes suscités, pris en application du Code du travail d’Outre-mer de 1952, demeurent toujours en vigueur, en 2017, au Sénégal au moyen des dispositions transitoires du Code du travail (Article L.288). Quelle honte après 57 ans d’indépendance ! Plus grave, la France qui nous a légué tous ces textes et qui a inspiré notre Code travail actuel a beaucoup évolué dans le domaine du droit du travail, en apportant de nombreuses et multiformes réformes dans sa façon de régir les relations professionnelles et de détermination des conditions de travail, alors que nous, le Sénégal, sommes restés statiques en continuant de gérer des situations de travail d’aujourd’hui avec des textes règlementaires pris il y a plus de 60 ans. Par exemple, en France, la durée légale du travail est fixée à 35 heures par semaine y compris dans les établissements agricoles, artisanaux et coopératifs ainsi que dans les entreprises du secteur agricole, quel que soit leur effectif, soit une durée légale annuelle de 1600 heures. Nous, nous sommes restés à 2352 heures par année et à une durée hebdomadaire de 48 heures. À quoi notre indépendance nous sert-elle ? Quelle est l’utilité du Ministère du Travail s’il est incapable d’élaborer, de faire adopter et de contrôler l’application de textes entièrement adaptés aux réalités sénégalaises et respectueux des engagements internationaux souscrits par notre pays ? Et les organisations syndicales dans tout cela ? Elles ont abandonné leurs mandants à leur triste sort en contrepartie d’espèces sonnantes et de passe-droits de toute sorte (embauche de parents et de protégés, tickets d’essence, etc.). En plus de l’immobilisme du Ministère du Travail, les travailleurs doivent continuer à subir les effets de la collusion entre leurs représentants syndicaux et leurs employeurs. Ainsi va le Sénégal.

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Ibrahima Sadikh NDour

ibasadikh@gmail.com

 

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