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Que Reste T-il De La Crédibilité De L’inspection Générale D’État?

Que Reste T-il De La Crédibilité De L’inspection Générale D’État?

Monsieur François Collin, Vérificateur général depuis le 25 juillet 2013, vient de remettre au Président de la République son premier rapport sur l’état de la gouvernance publique. Le nouveau patron de l’Inspection générale d’État (IGE) bénéficie d’une excellente crédibilité personnelle et professionnelle. Il hérite d’une institution qui souffre d’un criard déficit de crédibilité auprès de l’opinion publique, ceci pour de nombreuses raisons. Parmi celles-ci figure sa proximité avec le Président de la République de qui elle dépend. Une seconde raison tient aux risques de son instrumentalisation à des fins politiques du fait de cette proximité avec le Chef de l’État. Enfin, une troisième raison est liée aux comportements erratiques, voire déshonorants de quelques uns de ses éléments, qui rejaillissent, négativement, sur l’ensemble de ce prestigieux corps de contrôle.

Le manque d’indépendance de l’IGE

L’un des principes fondamentaux de la démocratie voudrait que les fonctions de surveillance et de contrôle des actions du gouvernement soient assurées par les parlementaires. À ce titre, les pays démocratiques qui ont opté pour l’institution d’un Vérificateur général (ou une institution supérieure indépendante de vérification, quelle qu’en soit l’appellation) font dépendre celui-ci de l’Assemblée nationale et de ses commissions. Seule une poignée de pays, dont le Sénégal, continue de garder le Vérificateur général sous le giron présidentiel. Cette situation, du reste malheureuse et porteuse de beaucoup de mélanges de genre, ne correspond plus aux exigences modernes de la reddition de comptes. Dans les pays réellement démocratiques, où existe un Vérificateur général, il revient à celui-ci d’effectuer, au moment, à la fréquence et de la manière qu’il détermine, les vérifications et enquêtes nécessaires à l’exercice de ses fonctions. Cela ne l’empêche pas de réaliser une vérification ou une enquête à la demande du gouvernement. Toutefois, cette vérification ou enquête ne peut avoir préséance sur ses obligations principales, à savoir aider l’Assemblée nationale à assurer ses fonctions de surveillance et de contrôle de l’action gouvernementale. Dans ces pays, le rapport annuel du Vérificateur général est déposé à l’Assemblée nationale. En plus de son rapport annuel, le Vérificateur général peut soumettre, en tout temps, un rapport spécial à l’Assemblée nationale sur toute affaire d’une importance ou d’une urgence telle qu’elle ne saurait, à son avis, attendre la présentation de son rapport annuel.

Au Sénégal, l’IGE réalise les missions de vérification, d’études, de contrôle et d’enquête qui lui confie le Président de la République. Cela veut dire que l’IGE est toujours actionnée par le Président de la République pour « voir plus clair » dans certaines situations ou institutions sur lesquelles pèsent des soupçons de prévarication ou pour lui réaliser des études en vue de préparer une prise de décision. On ne l’entend jamais se saisir des affaires brûlantes au devant de l’actualité et elle semble se complaire dans un attentisme latent. Et pourtant, de nombreux et graves cas évidents de prévarication sont régulièrement rapportés par la presse indépendante. L’impression qui se dégage est que tout est fait, par les membres de ce corps de contrôle, pour ne pas mettre dans l’embarras le Président de la République et, en conséquence, de pouvoir continuer à tirer profit des prébendes que confère la proximité avec lui. C’est cette situation qui fragilise, en fin de compte, l’institution qui devient exposée aux risques réels d’instrumentalisation par le pouvoir politique, principalement le Président de la République.

L’instrumentalisation de l’IGE par le pouvoir politique

Les risques d’instrumentalisation du Vérificateur général à des fins politiques ne sont pas une simple vue de l’esprit. Ils sont réels. L’affaire des chantiers de Thiès, avec la mise à mort politique planifiée de Idrissa Seck, en constitue la preuve.

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Pour rappel, Idrissa Seck avait été accusé de détournements de deniers publics et d’objectifs sur la base d’un rapport de l’IGE qui avait conclu à un volume d’investissements de 46 milliards non autorisés par l’Assemblée nationale et ayant servi principalement à financer non pas la décision prise par le Président de la République mais plutôt une matrice d’actions prioritaires et de projets spontanés élaborés par l’ancien Premier ministre au profit de sa ville. D’après le rapport de l’IGE, établi avec l’aide de 6 experts, les chantiers réalisés à Thiès ont été financés à travers un détournement des objectifs du Programme Triennal d’Investissements Publics (PTIP) consistant à transférer, par des décisions ministérielles irrégulières, des crédits initialement votés par l’Assemblée nationale pour le financement d’autres programmes destinés à d’autres localités du Sénégal. Ces travaux étaient exécutés à la suite de marchés par entente directe, en violation des dispositions du code des marchés publics. Le rapport avait noté, également, la pratique généralisée de surfacturations élevées de la part des entreprises adjudicataires au  nombre de 37 dont l’entrepreneur Bara Tall, Directeur général de Jean Lefebvre Sénégal (JLS), pour un préjudice d’un montant de 8.099.000.000 de francs CFA.

Après quelques années d’enquête et d’instruction de l’affaire des chantiers de Thiès, la commission d’instruction de la Haute Cour de justice a rendu, en mai 2009, une décision de non-lieu concernant tous les chefs d’inculpation pour lesquels l’ancien Premier ministre Idrissa Seck était poursuivi. En somme, il est blanchi de tous les chefs d’inculpation et que rien ne justifiait de le poursuivre. En mai 2011, le tribunal correctionnel de Dakar y ajoute son grain de sel en prononçant une décision de relaxe au profit de Bara Tall et de ses trois co-prévenus. Il y a quelques jours, la presse sénégalaise nous apprenait que l’État s’est désisté au profit de Bara Tall et de ses 3 co-prévenus dans le dossier des chantiers de Thiès suite à un premier jugement qui leur était favorable. Mieux, elle rapporte des propos qu’aurait tenus l’Agent judiciaire de l’État lorsqu’il annonçait le désistement : « ce qui relève des Chantiers de Thiès, c’est des histoires. Nous, on accélère la cadence ». Cela conforte la thèse d’une instrumentalisation de l’IGE par le Président de la République à des fins partisanes et politiques. Cette instrumentalisation est confirmée lorsque le Colonel Abdou Aziz NDAW écrit, dans son ouvrage “Pour l’honneur de la Gendarmerie sénégalaise” que Idrissa Seck « n’avait été en prison que par la seule volonté du Président WADE, qui ne voulait plus de lui dans la sphère politique » (p. 211, tome 2). Donc, après les pires accusations contre Idrissa Seck, sur la foi d’un rapport de l’IGE, après l’avoir fait endurer l’enfer carcéral, après avoir jeté l’opprobre sur lui et sur toute sa descendance, après l’avoir présenté comme « un voleur » comparé à Arsène Lupin, la justice trouve qu’aucun élément matériel n’était venu étayer les accusations faites par le gouvernement sur la base d’un rapport de l’IGE. Cela est gravissime. Dans un État de droit, on aurait engagé la responsabilité civile et pénale de l’IGE et de sa Vérificatrice générale d’alors Nafy NGom. L’IGE se relèvera difficilement de cette histoire des chantiers de Thiès en acceptant d’y jouer le rôle de bras armé politique du Président Wade.

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Une image écornée par le comportement de quelques uns de ses membres

Les propos tenus par Nafy Ngom, en 2005, dans une grande interview accordée au  quotidien Walfadjri (éditions du 21/09/2005 et du 22/09/2005) relativement à l’affaire des chantiers de Thiès continuent de marquer les esprits pour celles et ceux d’entre-nous qui ne sont pas amnésiques. Cette intervention avait eu tout l’effet contraire à ce que Nafy Ngom souhaitait, à savoir se disculper des attaques contre la qualité du rapport que l’IGE avait produit sur les chantiers de Thiès et faire disparaître les doutes sur son intégrité personnelle (détournement supposé de billets pour le pèlerinage à la Mecque et l’acceptation d’un terrain en guise de cadeau). Cette interview a été désastreuse pour l’image de l’IGE. Elle avait semé l’émoi dans l’esprit de beaucoup de citoyens qui savaient lire entre les lignes. En effet, outre le fait qu’elle violait l’obligation de réserve qui pesait sur elle, Nafy Ngom confirmait, à demi-mots, son manque d’indépendance vis-à-vis du Président de la République en affirmant avoir été « soutenue financièrement » par celui-ci dans la prise en charge des frais médicaux de son défunt mari. La victimisation et le clair-obscur dont elle faisait preuve dans cette interview renseignaient, également, sur ses capacités à assumer la charge de Vérificatrice générale.

Les errements médiatisés d’un autre Inspecteur général d’État en sa qualité de Président du conseil de régulation de l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), en l’occurrence Abdoulaye Sylla, ont aussi contribué à ternir l’image de l’IGE. A. Sylla avait fait l’objet d’une dénonciation, par le Directeur général de l’ARMP, auprès du Premier ministre d’alors (Abdoul MBaye) pour une situation de « conflit d’intérêt » (A. Sylla avait demandé que sa nièce, recrutée comme assistance à l’ARMP soit nommée Contrôleur interne de la structure) et pour un « cumul de salaires » illégal et injustifié (A. Sylla bénéficiait d’un cumul de trois rémunérations : à l’ARMP, à l’IGE et à la Primature en qualité de président de la commission des véhicules de l’administration). Suite à cette dénonciation, Monsieur Sylla avait déposé une plainte contre le Directeur général de l’ARMP pour « dénonciation calomnieuse ». Cette histoire a connu son épilogue au mois d’avril dernier avec un gain de cause accordé au Directeur général de l’ARMP. En effet, ce dernier a bénéficié d’une relaxe pure et simple. A. Sylla a été débouté par le tribunal et s’est vu mettre les charges de la procédure à ses dépens. Ce qui établit, de manière irréfutable et nette, que les deux motifs de la dénonciation (conflit d’intérêt et cumul de salaires) étaient fondés. Pour quelqu’un dont la noble mission est, entre autres, d’aider à prévenir les situations de conflit d’intérêt et de lutter contre la dilapidation de nos maigres ressources à travers un enrichissement sans cause, on perd toute crédibilité. Malheureusement, cette perte de crédibilité, causée par une absence d’éthique, rejaillit sur l’institution.

Cabale ou pas, le fait que Cheikh Guèye, ancien inamovible Directeur général des élections et Inspecteur général d’État, soit soupçonné d’être trempé dans l’affaire de la commande des urnes lors des élections de 2007 n’avait pas contribué à donner une bonne image de l’IGE. Pour rappel, les soupçons de la Cellule nationale de traitement des informations financières (CENTIF) sur une transaction, en apparence frauduleuse, dans le cadre du marché des urnes de 2007 (à hauteur de 1,081 milliard F cfa) avaient amené les redoutables enquêteurs de la Section de recherches de la Gendarmerie nationale à enquêter sur C. Gueye. Les résultats de l’enquête semblaient concluants, car C. Gueye s’était retrouvé devant le Doyen des juges pour détournement de deniers public, corruption passive, faux et usage de faux en écriture privée. Le Doyen des juges a finalement pris une ordonnance d’incompétence, car C. Gueye bénéficie d’un privilège de juridiction du fait de son statut d’Inspecteur général d’État au moment des faits (seule la Cour Suprême peut juger un IGE). L’image de l’IGE en a, tout de même, pâtit, car dans ce cas, celui qui accuse en général (l’IGE) devient l’accusé.

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Comment ne pas évoquer, avant de terminer, les cas flagrants de népotisme et de copinage  qui ont marqué, jusqu’à une date récente, les recrutements au tour extérieur (nominations par décret pris par le Président de la République) de certains fonctionnaires dans ce prestigieux corps parce que tout simplement ils sont parentés, alliés ou amis de quelques hauts responsables ? Que fait-on de la compétence et du mérite, mais aussi des besoins de l’IGE en termes de profils professionnels en adéquation avec les missions de l’institution ? Les recrutements au tour extérieur sont légaux et constituent un excellent moyen d’avoir un corps pluridisciplinaire, de haut niveau et ouvert à toutes les spécialités pointues. Les bénéficiaires du recrutement au tour extérieur doivent apporter une plus value, c’est-à-dire renforcer les capacités techniques de l’institution. Malheureusement, tel n’est pas toujours le cas. Bon nombre de recrutements au tour extérieur sont dictés par la volonté d’octroyer des situations de rente à des proches (retraite à 65 ans, traitements et avantages consistants, prestige lié à la fonction, etc.). Compte tenu des valeurs, principes et règles que véhicule l’IGE, il serait plus adéquat et plus juste que les recrutements au tour extérieur fassent l’objet d’une publicité en demandant, par exemple, à tous les hauts fonctionnaires qui remplissent les critères liés au(x) poste(s) à pourvoir, qui ne veulent pas ou ne peuvent pas faire le concours direct ou professionnel et qui seraient intéressés, à déposer leur candidature. Le Président de la République pourra alors choisir la ou les personnes indiquée(s) sur une short list que lui proposera le Vérificateur général. Avec cette procédure minimale, on respectera, au moins, le principe de l’égalité entre tous les hauts fonctionnaires et, subséquemment, on confortera la position des Inspecteurs généraux d’État lorsqu’ils exigent des entités contrôlées des embauches transparentes et qui respectent la compétence ainsi que le mérite.

l’IGE avait déjà touché le fond et ne pouvait s’enfoncer plus. Le nouveau Vérificateur général a tout ce qu’il faut pour redresser la situation et redorer le blason de ce corps d’élite. Son discours lors de la remise de son premier rapport public sur l’état de la gouvernance donne espoir, car il a su, dans la courtoisie qui sied, pointer du doigt certains dysfonctionnements qu’on pourrait imputer directement au Président de la République. Cela peut être interprété comme le signe d’une indépendance en voie d’être retrouvée. C’est encourageant.

 

Ibrahima Sadikh NDour

ibasadikh@gmail.com

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