Une archéologie du discours politique dans les barrages des années 2012 laisse clairement voir que certaines notions y ont occupé une place centrale. Les spécialistes de la communication politique le savent: il est des idées-forces qui peuvent incontestablement entrainer la mobilisation des citoyens indispensable à tout succès politique. Si ces idées-là ont une force de mobilisation, c’est précisément dans la mesure où elles sont à même de saisir et d’exposer les aspirations profondes du peuple que les porteurs promettent de traduire en réalité politique susceptible d’impacter concrètement et positivement les conditions de vie des citoyens.
Contributions de Cheikh FAYE
Comme à l’accoutumée, il a fallu deux jours pour célébrer la fête de Tabaski au Sénégal : une partie le mardi et, selon la presse, une majorité le mercredi. Il est déjà arrivé, dans un passé récent, que la Tabaski soit célébrée sur trois jours et la Korité sur deux jours, soit trois jours fériés et chômés de plus que les deux prévus par la législation sociale (Korité et Tabaski). Si nous y ajoutons la journée ou les deux journées consacrées à la célébration du Magal de Touba ainsi que les autres journées de l’année déclarées « pont », nous nous trouvons avec une vingtaine de jours ouvrables non travaillés. Soit largement au-delà des 15 jours fériés et chômés théoriquement prévus par la législation sociale. Le Sénégal peut-il se permettre de compter, chaque année, une vingtaine de jours fériés, chômés et généralement payés ? Nul besoin d’être un expert en économie ou un as des chiffres pour répondre à cette question. La réponse est non !
L’âge de la retraite des personnels d’encadrement est fixé au Sénégal à 60 ans sauf pour certaines catégories de professions notamment les magistrats, les inspecteurs généraux d’État et les professeurs d’universités, lesquels partent à la retraite à 65 ans. Tous les cadres de l’État nommés à la tête des entreprises publiques, en qualité de directeurs généraux, se voient obligés de quitter leurs fonctions pour faire valoir leurs droits à une pension de retraite une fois les 60 ans atteints. C’est ainsi la règle. Aucun compte n’est tenu des progrès de la médecine, de l’augmentation de la qualité de vie et, surtout, de l’accroissement de l’espérance vie, qui sont autant de facteurs qui ont fait reculer l’âge de la retraite dans bien des pays.
Les différentes initiatives et politiques mises en œuvre dans le domaine de l’emploi, au cours des deux dernières décennies, pour résorber le chômage des jeunes ne se sont pas révélées, tout au moins, concluantes. Ces initiatives et politiques ont fait l’objet de multiples critiques qui pointent leurs insuffisances et leur manque d’efficacité. La plupart de ces critiques et analyses sont cantonnées à des considérations organisationnelles (émiettement des services chargés des questions de l’emploi), de gouvernance (dirigeants politisés pas forcément compétents, absence de procédures fiables, déficience des contrôles, etc.) et managériales (mauvaise gestion des ressources matérielles, financières et humaines, détournements d’objectifs, etc.).
Le rapport sur l’état de la gouvernance publique au Sénégal que l’IGE vient de présenter, et qui couvre la période du 1er janvier 2008 au 31 juillet 2013, constitue un évènement important qui doit être salué et encouragé. Les faits que révèle ce rapport donnent froid au dos. Ils sont dévastateurs car ils sont aux antipodes des discours déclamés à longueur de journée à travers les médias, les meetings politiques, les rencontres religieuses et les activités sociales de toute sorte. Ils sont en parfaite contradiction avec la posture affichée par de nombreux responsables sénégalais et donnent l’impression que nos élites politiques et administratives ne sont, généralement, mues que par la volonté de s’enrichir à tout prix. Les faits exposés par le rapport renvoient à l’image d’un poisson qui a commencé, s’il ne l’est déjà, à pourrir par la tête. Nous commencerons par rappeler, brièvement, certains de ces faits avant de procéder à l’analyse du rapport.
Le décret no 2013-1225 du 04 septembre 2013 portant répartition des services de l’État, pris à la suite du remaniement ministériel intervenu le 02 septembre 2013 consacre la mort de la Délégation à la réforme de l’État et à l’assistance technique (DREAT) et sa résurrection sous son ancienne appellation, Bureau organisation et méthode (BOM), au sein du Secrétariat général de la présidence de la République. Dans sa livraison du 13 septembre 2013, le quotidien Le Soleil nous informe qu’en dépit de ces changements, les missions du BOM restent identiques à celles de la défunte DREAT et seront même renforcées. Il nous apprend aussi que certains conseillers en organisation ont bien accueilli cette mesure qu’ils saluent et considèrent comme « un gage de retour à l’orthodoxie ». Pourtant, à y regarder de près, ce changement pourrait s’analyser comme un retour en arrière et, dans la pratique, risquerait de poser beaucoup de problèmes.
Nul doute que les réformes qui sortiront des entrailles de la Commission présidée par le Pr MBow auront leur utilité. Cependant, leur chance de produire les effets escomptés sera grandement proportionnelle aux efforts de moralisation entrepris au préalable.
Depuis quelques semaines, tout observateur attentif a remarqué les positionnements et déclarations de candidature de plusieurs hommes politiques en direction des élections locales de 2014. Les collectivités locales ne suscitent qu’un intérêt occasionnel chez les populations et la société civile qui délaissent ainsi un important maillon du développement national aux mains de politiciens professionnels qui en font des instruments et des sources d’enrichissements personnels.
La Constitution dispose en son article 44 que le Président de la République nomme aux emplois civils. Ce droit conféré au chef de l’État n’est pas absolu.
L’image des centaines de personnes agglutinées aux grilles du Bulding administratif, tous les jours depuis le début de l’année, pour déposer leur candidature aux emplois ouverts dans la Fonction publique n’est pas agréable à voir et devrait nous amener à nous interroger sur la désuétude des procédures de recrutement en vigueur dans l’Administration sénégalaise. La décision d’ouvrir des centres de dépôt de candidatures au Stade Iba Mar Diop, à compter du lundi 25 février, ne fait qu’amplifier cette amertume née du peu de respect accordé aux candidats et de l’absence d’un apparent souci de préservation de leur dignité. Ces images, que nous trouvons bouleversantes, poignantes et humiliantes, doivent nous obliger à nous poser un certain nombre de questions dont deux me semblent cruciales et qu’il faille y répondre de manière urgente : à quoi ont servi les milliards de francs CFA dépensés par l’État, au cours de ces dernières années, pour moderniser et informatiser l’Administration sénégalaise ? Est-ce que cette procédure, consistant à exiger la présence physique des demandeurs et le dépôt d’un dossier aussi étoffé, sont de nature à garantir l’égalité de tous les citoyens ainsi que le recrutement des meilleurs ?
Dans son adresse à la Nation, faite le 31 décembre 2012, le chef de l’État s’était engagé de « générer 30 000 emplois directs par an ». Il a, de nouveau, confirmé cet engagement le mardi 12 février 2013 lors de son passage à Fatick sur le chemin de Koung Koung Sereer. Il a précisé, à cette occasion, que les 5.500 agents qui seront recrutés dans la Fonction publique ne rentrent pas dans le décompte des 30 000 emplois à créer avant la fin de l’année 2013. Cela porte son engagement, en 2013, à 35 500 emplois directs à créer. Il compte ainsi, dit-il, générer 300 000 emplois au terme de son quinquennat. Il s’est fait beaucoup plus précis, deux jours plus tard, en décidant, au cours de la séance du conseil des ministres du 14 février, la création « d’une Agence Nationale de Sécurité de Proximité, au sein du Ministère de l’Intérieur avec comme vocations, de répondre aux besoins sécuritaires au sein des communautés de base et d’être une action significative de lutte contre le chômage des jeunes ». Dans le contexte actuel et vu le déroulement des choses, la réalisation d’un tel engagement serait difficile à réaliser voire serait un pari impossible.
Dans notre la première partie, nous avions salué la décision des autorités sénégalaises d’instituer une Bourse de Sécurité Familiale (BSF) et d’asseoir une Couverture Maladie Universelle (CMU) au profit des franges de la population les plus pauvres et les plus vulnérables. Nous avions relevé, toutefois, que la manière avec laquelle la BSF et la CMU sont en train d’être implantées soulevait des questions sur la pertinence du modèle organisationnel choisi. Dans cette présente chronique, nous poursuivons notre analyse pour nous intéresser à l’efficacité des mesures prises, à leur pérennité ainsi que le manque de vision globale et intégratrice en matière de protection sociale qui sous-tend la démarche des autorités.
Dans sa déclaration de politique générale, faite le 10 septembre 2012, le Premier ministre engageait son gouvernement à réaliser, sans délai, « une étude portant sur la création d’un mécanisme de soutien aux familles les plus défavorisées, viable et durable, dont la faisabilité aura été préalablement prouvée » avec l’instauration d’allocations octroyées sous la forme d’une Bourse de Sécurité Familiale (BSF). Il annonçait, par la même occasion, l’instauration d’une Couverture Maladie Universelle (CMU) pour permettre l’accessibilité des soins et services médicosociaux à toute la population particulièrement aux franges les plus vulnérables. Le chef de l’État fait de la réalisation de ces deux mesures un sujet de préoccupation personnelle en l’évoquant, successivement, lors d’une réunion du Conseil des ministres et à l’occasion de son message à la Nation le 31 décembre 2012. La détermination et le volontarisme dont fait montre le chef de l’État, pour concrétiser une de ses promesses phares de sa campagne électorale, lui font honneur. En effet, les hommes politiques nous ont habitués à jeter aux oubliettes leurs promesses électorales sitôt élus. Les efforts du gouvernement, également, sont louables en ce sens qu’il essaie de prendre le taureau par les cornes pour lutter contre la pauvreté et les inégalités sociales en décidant l’octroi d’un soutien financier aux franges de la population les plus pauvres et les plus vulnérables et en leur facilitant l’accès aux soins de santé à travers les mécanismes de la solidarité nationale. Toutefois, la manière avec laquelle la BSF et la CMU sont en train d’être implantées soulève des questions sur la pertinence du modèle organisationnel choisi. Elle sème, également, un sérieux doute sur l’efficacité des mesures prises ainsi que leur pérennité. Elle soulève, enfin, un manque de vision globale et intégratrice de la protection sociale au Sénégal.
Le Ministère de la Fonction publique, du Travail et des Relations avec les institutions (MFPTRI) va organiser, prochainement, des états généraux de la SST. Ce sera une première au Sénégal. C’est rassurant de voir qu’on se préoccupe de la SST, car il est inadmissible qu’un travailleur trouve la mort en essayant de gagner sa vie. Beaucoup d’accidents du travail graves ou mortels surviennent au Sénégal du simple fait de l’absence de mesures de prévention pourtant prescrites par la législation et la règlementation en vigueur. À qui la faute ? Tout le monde a sa part de responsabilité : des contrôles qui ne sont pas toujours effectués pour différentes raisons (manque de moyens, d’effectifs, de volonté, etc.), des employeurs qui ne respectent pas leurs obligations du fait d’un sentiment d’impunité largement répandu, des travailleurs qui bravent les règles sécuritaires les plus élémentaires, etc. Un pays qui ne prend pas soin de son capital humain ne saurait s’appuyer sur celui-ci pour se construire et se développer.
Lors d’une conférence tenue dans le cadre de la promotion de son ouvrage intitulé « Les mutations de l’enseignement supérieur en Afrique : le cas de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar », l’ancien recteur de cette université, le Pr Abdou Salam Sall, aurait affirmé, selon les propos que le quotidien Le Soleil lui a prêtés dans son édition du vendredi 18 janvier, « qu’aucun pays ne s’est développé en formant son élite à l’étranger ». De ce constat, le Pr Sall en aurait déduit une proposition : celle de voir les bourses étrangères supprimées pour la bonne et simple raison que ces dernières sont coûteuses et improductives étant donné que « peu d’étudiants formés à l’étranger rentrent au bercail et, finalement, c’est l’Afrique, avec ses maigres ressources, qui finance la formation des ressources humaines des pays du nord. Cela est inacceptable en 2013 ». Il est vrai, aujourd’hui, nous avons l’impression qu’il y a une division du travail à l’échelle mondiale : les pays africains effectuent les investissements de base nécessaires à l’acquisition et au développement des compétences de leurs ressortissants tandis que les pays industrialisés se chargent de leur perfection ou de leur adaptation avant d’en être les seuls utilisateurs. Cette situation paraît inique et choquante et constitue un sérieux problème de nature à compromettre, sinon à rendre impossible le développement du continent. C’est là où s’arrête le mérite du Pr Sall, celui d’avoir soulevé et posé ce problème d’une grande importance aux contours complexes et multidimensionnels. En dehors de cela, son affirmation selon laquelle qu’aucun pays ne s’est développé en formant son élite à l’étranger est contredite par de nombreuses études scientifiques empiriques qui ont fini de démontrer que le fait d’avoir une partie de son élite formée à l’étranger constitue, au contraire, un facteur de développement. Sa proposition de supprimer les bourses étrangères découle, également, d’une analyse partielle du phénomène que constitue le non retour au bercail des élites africaines formées hors du continent.
Très récemment, en octobre 2012, est parue une importante et instructive étude réalisée par le Pr Abdoulaye Diagne qui mériterait de faire de larges débats eu égard à l’importance du sujet traité et des enjeux de développement qu’il implique : l’éducation et la formation au Sénégal. Il s’agit d’un rapport d’évaluation du Programme décennal de l’éducation et de la formation (PDEF) de 2000 à 2011. Certains des principaux résultats auxquels cette étude évaluative a abouti laissent froids dans le dos et donnent le sentiment que nous sommes, tous, en train de passer complètement à côté d’un enjeu crucial qui conditionne l’avenir de notre système éducatif. En effet, l’histoire politique, ou l’histoire tout court, a fini de démontrer qu’aucun pays au monde ne s’est développé sans reposer son essor sur un système éducatif performant. Quatre éléments contenus dans ce rapport installent l’inquiétude et justifient une interpellation de nos gouvernants pour des actions immédiates : la baisse inexorable du niveau des élèves du primaire et du secondaire, la faiblesse des connaissances de base des enseignants, l’absentéisme élevé de ces derniers et le poids relativement important des corps émergents dans notre système éducatif.