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Notre école Est- Elle Restée Républicaine ?

« L’école n’est pas le monde elle est plutôt une institution qui s’intercale, pour permettre la transition entre la famille et le monde. C’est l’Etat qui impose la scolarité, l’école représente l’Etat…» Hannah Harendt

Hannah Harendt, que Hans Jonas considérait comme, « une passagère du XXe siècle » a eu à annoncer dans ses écrits, plusieurs maux corollaires à la crise de la culture, dont ceux qu’on retrouve encore dans notre système éducatif.

Elle précisait, dans la conclusion de son essai sur l’éducation paru en 1958, que ce qui nous concerne tous et que nous ne pouvons donc esquiver sous prétexte de le confier à une science spécialisée –la pédagogie –c’est la relation entre enfants et adultes en général. L’éducation, considérait-elle, est le point où se décide si nous aimons assez le monde pour en assumer la responsabilité et, de plus, le sauver de cette ruine qui serait inévitable sans ce renouvellement et sans cette arrivée de jeunes et de nouveaux venus.

C’est également avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu, mais les préparer d’avance à la tâche de renouveler un monde commun.(Harendt, 1958).

Cette mission éducative est confiée à l’école parce que, comme le soulignait le philosophe Olivier Reboul dans sa critique de la famille contemporaine, en le protégeant et en l’élevant, la famille risque toujours de faire de l’enfant un éternel mineur. L’objectif de l’école, considérait-on dans la troisième république française, était d’instruire toute la nation et de fabriquer des citoyens autonomes par l’intériorisation de valeurs et de principes vécus comme universels. Ferdinand Buisson (1861-1932), qui avait été nommé par Jules Ferry à la direction de l’enseignement primaire en 1879, rappelait dans un article, « L’instruction civique ou l’introduction de la politique à l’école », publié en 1887, ceci :

La tâche revenait à des instituteurs payés par l’État, des maîtres laïques, en charge d’enfants malléables à éduquer pour l’unité de la nation, dont les intérêts intellectuels étaient sous le contrôle et la surveillance de l’État. Ce qui était enseignée, surtout, c’est une morale commune d’inspiration kantienne. Jules Ferry, dans son projet d’une école républicaine, d’une école sans Dieu, pensait qu’on n’éduque pas un républicain comme on éduque un catholique.

Analysant la fameuse lettre de Jules ferry aux instituteurs, la circulaire du 17 Novembre 1884, Mona Ozouf rappelle que l’efficacité de l’école républicaine a tenu à l’intériorisation de la règle d’or : silence sur tout ce qui divise ou pourrait diviser, solution à l’unité de la diversité, l’école de la république travaille à la construction d’une civilité fondée en raison au point qu’on rappelle souvent dans les instructions officielles : on nait citoyen mais on devient citoyen éclairé ; exprimant, ainsi, la mission civilisatrice de l’école

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L’idée d’une école laïque est, également, très présente dans l’éducation morale prônée par Emile Durkheim qui considérait que le maître laïc doit être l’interprète des grandes idées morales de son temps, de son pays ; celui qui par la parole, « exerce l’enfant à reconnaitre » une autorité qui, ajoute-t-il, ne s’oppose pas à la liberté.

Pour rappeler, ainsi, que l’enseignant, au service de la république, doit aider ses élèves à conjuguer l’intérêt personnel avec le sentiment d’appartenance à une communauté soudée par l’idée de nation, de progrès , et de solidarité.

En dehors de la socialisation, l’idée de progrès laisse supposer que les penseurs de l’école républicaine, dont Condorcet qui pensait que l’instruction libère du despotisme, avaient une vision prospective : on doit préparer les enfants à vivre au rythme des innovations de leur temps ou des temps à venir. L’éducation et la formation semblent nécessaires pour l’émancipation des peuples. D’ailleurs, Christoph Wulf les considère « comme des processus internes qui accompagnent un mouvement d’émancipation et qui aident l’homme à transgresser les limites imposées par son destin ». Il précise davantage cela dans un article intitulé introduction aux sciences de l’Éducation Edition Armand Colin, p.140, en écrivant : « La formation est le futur du présent. Elle suit l’histoire en préparant les virtualités de l’homme mais elle se réalise d’une manière où l’homme futur est déjà là ».

Inutile de rappeler que l’histoire du Sénégal est marquée par la colonisation et son système éducatif l’est pour autant du fait d’un legs intellectuel encore présent dans le système éducatif. Ce système, s’il y a vraiment système ou ce qui fait système, depuis les indépendances, s’est appuyé sur le modèle français. Jusqu’en 1990, le système reste encore régi par la loi d’orientation n° 716-03 Juin 1971, lequel définissait les principes, les orientations, les objectifs, les organigrammes, les structures, les horaires et les programmes de l’école.

Tout était en place, selon le professeur Abdou Sylla qui rappelait : lorsqu’il accédait à l’indépendance, le Sénégal était doté par l’ancienne puissance colonisatrice, d’un système éducatif moderne, couvrant l’ensemble du territoire national (…) Pendant longtemps on a considéré l’école comme un appendice de l’école de France reproduisant chaque année ses programmes, ses horaires, son organisation administrative et pédagogique.

Ainsi, calquée sur l’école française, sous la politique du président poète Léopold S Senghor, on n’a pas essayé de mettre en place une école nationale sénégalaise, ni décolonisé les savoirs mais continué avec une école classique, celle que l’on déclarait autonome, indépendante de la société.

Mais les échecs et les blocages vont justifier des réformes. Pour l’essentiel, ces dernières à travers les lois d’orientation, comme les textes adoptés, répondent à la nécessité, à l’urgence de revoir et de redéfinir les modalités de planification, d’organisation et de mise en œuvre des enseignements- apprentissages en relation avec l’option d’éducation et de formation« d’un citoyen averti, responsable, respectueux de la nation et capable de participer au développement de son pays ». Conformément à la loi d’orientation de l’éducation nationale numéro 91-92 du 16 Février 1991, les propositions de la CNREF, formalisant les conclusions des états généraux tenus en Janvier 1981, il était question de faire de l’école une impulsion de développement : on rêvait d’une école républicaine, lieu cardinal de la citoyenneté.

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Dans un article que j’ai publié sur la crise d’autorité à l’école, j’écrivais il y a quelques années : Aujourd’hui, se faire obéir est un véritable casse-tête pour les chefs d’établissements lesquels ne conduisent plus la barque. Assis confortablement sur leur siège, ils ménagent avec trop d’égards leurs élèves. Ces derniers, en position de force, pensent, à tort, que le départ ou le maintien des administrateurs et du personnel enseignant, dépendent de leur volonté. Si ce n’est pas le départ du chef d’établissement qui est réclamé, c’est celui d’un professeur, souvent diabolisé avec la grande complicité des parents élèves. Ces derniers, pas plus honnêtes que leurs enfants, critiquent les enseignants qu’ils rendent, avec beaucoup de facilité, responsables des échecs et insuccès scolaires de leur progéniture.

Cette fuite de responsabilité et le trop de liberté accordé à nos élèves ont fini de fragiliser l’autorité dans nos écoles et nous installent dans l’instabilité digne de la situation que décrit Platon dans la République : Le père s’accoutume à traiter son fils comme son égal et à redouter ses enfants, le fils s’égale à son père et n’a ni respect ni crainte pour ses parents parce qu’il veut être libre. Le maître craint ses disciples et les flatte ; les disciples font peu de cas des maîtres et des pédagogues.

Je parlais « d’une école attaquée » car les principes et les valeurs sacro-saints fondateurs de cette institution républicaine sont foulés au pied par tous.

Ce qui est nouveau, aujourd’hui dans mon discours, c’est de constater que notre école est au centre d’un processus de tissage de solidarités et de singularités multiples. Ces formes de solidarités, à travers les organisations religieuses qui ont fini de coloniser l’espace scolaire, les associations ethniques, d’étudiants ressortissants de…, constituent une menace pour l’unité nationale

Cette école, aux fondements laïcs, est au cœur de la construction de formes de domination et d’allégeance de toute sorte. Sous prétexte que nous sommes dans des sociétés dites traditionnelles et qu’il faut faire avec les croyances de toute sorte, on a sabordé ce qu’il y a de plus fondamental dans un projet de vie en commun, l’allégeance à l’Etat et à l’autorité qui est censée l’incarner. Michel Maffessoli, dans son ouvrage intitulé les nouveaux mondes scolaires, constate que de plus en plus les jeunes revendiquent et organisent de nouvelles formes de socialisation et de sociabilité radicalement allogènes au monde scolaire.

Ce qui est surtout à regretter, c’est qu’elle se fait avec la complicité d’une administration laxiste qui refuse de prendre ses responsabilités. Le jugement est loin d’être subjectif, ni gratuit : il suffit de voir ce qui se passe dans nos établissements publics pour constater que des cérémonies cultuelles y sont régulièrement tenues ; si elles ne sont pas tout bonnement autorisées, elles sont tolérées par l’administration.

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Récemment, à Tivaouane, une cérémonie de « Mberdaale », à caractère festif, organisée par des élèves-talibés dans l’enceinte du lycée Ababacar SY(RTA) a perturbée les enseignements. C’est devenu même une tradition, organisée à chaque veille du Magal, on invite les élèves à manger et à boire. Beaucoup d’élèves abandonnent les classes pour le festin.

Dans cette même ville religieuse, il est impossible de faire travailler les élèves à l’approche du Maouloud. Cette année, ce 06 Janvier, date de retour des fêtes de fin d’année, les élèves n’ont pas rejoints les salles de classes. Sous prétexte qu’ils doivent faire des travaux dans les maisons ou plutôt occupés à se faire de l’argent, ils ont décrété un mot d’ordre de grève. Ces collégiens n’ont pas hésité à chasser des classes les jeunes écoliers. On est, ainsi, parti pour rester deux semaines sans faire cours dans les écoles publiques à Tivaouane. Même si la plupart des salles de classes seront occupées par les pèlerins, on pouvait bien, si on avait une administration plus consciencieuse, plus ferme, veiller à ce que les enseignements soient assurés par les enseignants qui ne doivent pas, sous prétexte que les élèves ne seront pas au rendez- vous, rester chez eux.

Ces collègues oublient, souvent, qu’ils sont tenus de se présenter en classe de faire cours dés qu’il y a deux présents de sexe différents ou de constater l’absence de la classe.

Ce qui désole dans tout cela, c’est que l’administration ferme les yeux ou se limite à constater ; il n y a aucune dénonciation de leur part et on ne rend même pas compte à la hiérarchie.

Ce qu’il faut rappeler à tous : c’est que tout projet d’enseignement participe à l’intériorisation des valeurs centrales d’une société ; on doit accepter la normalisation et le contrôle. « Le projet fondateur de l’école de la république est la construction d’un système scolaire homogène et homogénéisant les différents milieux d’appartenance sociale, sexuelle, ethnique, régionale, idéologique et singulière des acteurs dans un lieu de savoirs, par delà la concurrence des autres lieux supposés exogènes » (Béatrice Mabillon-Bonfils.Laurent Saadoun, 2008, p.17).

 

Bira SALL

Quartier Ndoutt Tivaouane. Expert Junior, Consultant en Education et Formation

sallbira@yahoo.fr

Bira SALL

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