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Problématique Du Mouton De Tabaski

Problématique du mouton de Tabaski : Esquisse de solutions durables pour une autosuffisance véritable

Le Sénégal, notre pays, présente un cheptel relativement important riche et varié avec 3 millions 500 mille bovins, 15 millions de petits ruminants (moutons et chèvres) 600 mille chevaux et 25 millions de volailles non industriels. A titre de comparaison, le Mali beaucoup plus vaste, compte près de 10 millions de bovins pour 30 millions de petits ruminants.

Depuis quelques années, le Sé­né­galais «goorgoorlou» vit avec hantise l’approche de cette grande fête qu’est la Tabaski (Aïd Al Adha). Cet­te célébration qui perpétue le sacrifice de Abraham perd de plus en plus son caractère festif pour de­venir progressivement un événement «craint» par beaucoup de fa­milles dont les plus pauvres se ruinent, s’endettent et hypothèquent le reste de l’année alors que se profile une nouvelle année scolaire.

De plus, le marché national ne pouvant guère satisfaire la de­mande locale, les gouvernements successifs ont fait preuve d’insuffisance et n’ont eu comme solution que l’importation de moutons à partir de pays limitrophes.

Ainsi, dès l’indépendance, les pouvoirs publics commencèrent à intervenir en facilitant l’approvisionnement des fonctionnaires en mouton de Tabaski ; l’Etat achetait des animaux qu’il revendait à ses agents et récupérait l’argent dû par ses «billeteurs» ou le ministère des Finances. De même, les collectivités importantes comme l’Armée, la gendarmerie ou d’autres services organisaient des achats groupés en allant acheter les moutons en zone de production. A partir de 1970, la Seras (Société d’exploitation des ressources animales) aujourd’hui disparue, à travers son département «Animaux vivants» organisait des opérations Tabaski pour un volume variant entre 3 000 et 6 000 têtes achetées dans les pays limitrophes ou aux frontières. Ces opérations ponctuelles initiées par la Seras avaient comme unique mérite de moraliser un peu les prix.

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Aujourd’hui, alors qu’il est question d’émergence, on nous parle toujours d’importations à partir de pays limitrophes (750 mille) têtes pour les besoins nationaux dont 260 mille pour le seul marché dakarois. Si rien n’est fait, le plafond de 1 million de têtes sera allègrement franchi d’ici peu. Les seules mesures d’accompagnement prises sont un crédit octroyé à des éleveurs et à des opérateurs économiques, une réduction du prix de l’aliment de bétail au niveau de certains points de vente et la suspension des droits et taxes sur les moutons 45 jours avant, et 15 jours après la fête. Or, il est bien possible de prétendre à une autosuffisance à moyen terme, si et seulement si un programme sérieux est mis en place.

Cette modeste contribution interpelle donc éleveurs, vétérinaires, zootechniciens, chercheurs, planificateurs, pasteurs, décideurs,… Au plan juridique Il faudra simplement revisiter l’histoire… Le Sénégal comme tous les pays sahéliens avait été fortement éprouvé par la sécheresse des années 70 ; les pertes en animaux ont été dans l’ensemble estimées à près de 40% pour les bovins et 20% pour les petits ruminants (moutons et chèvres). A l’époque, le gouvernement, par arrêté, avait tout simplement interdit l’abattage des femelles de l’espèce bovine âgées de moins de 10 ans et les jeunes animaux. Cela, bien entendu, dans la perspective de reconstruire le cheptel décimé. Pour les mêmes raisons, le ministère de l’Elevage et des productions animales se doit de prendre un arrêté interdisant l’abattage des brebis dans les lieux contrôlés (abattoirs et tueries modernes).

Contrôle de la circulation des animaux

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Depuis quelques années, l’on a remarqué que des camions gros porteurs à destination de notre voisin du nord faisaient des razzias au niveau de nos principaux marchés hebdomadaires. Les animaux ciblés à l’achat étaient en plus des chèvres, des brebis et de jeunes animaux. Ce voisin du nord, pour rappel, a quitté l’espace Cedeao depuis les années 2000.

Au plan sanitaire et mesures d’accompagnement

A l’instar des programmes d’autosuffisance en riz, en banane,… une stratégie claire et précise doit être déclinée (ressources humaines, matérielles et financières) en lieu et place de crédit accordé par les institutions financières à certains éleveurs, opérateurs économiques et de l’engagement politicien de certains maires. l’importation non contrôlée d’animaux vivants ne doit pas exclure un véritable contrôle sanitaire aux frontières (menace de propagation de certaines maladies animales connues comme la Rift valley fever et bien d’autres) ;

  • vaccination de masse des petits ruminants contre la peste en insistant sur une carte zonale du pays prenant en compte la transhumance saisonnière. L’Etat se doit de dégager des ressources addition­nel­les pour suppléer provisoirement la participation des éleveurs, vu que les taux de vaccination enregistrés sont toujours faibles. Pour rappel, cette pathologie fait payer un lourd tribut aux petits ruminants, un accent particulier devant être accordé à la qualité du vaccin (conditionnement et pouvoir im­munogène) ;
  • amélioration du potentiel génétique des petits ruminants afin d’améliorer la conformation et surtout le rendement carcasse ;
  • au niveau des zones de production, répertorier par l’intermédiaire des services régionaux d’élevage et de production animale les grands éleveurs de petits ruminants qui auront besoin d’un accompagnement zootechnique et sanitaire tous les ans avec des objectifs clairement assignés ;
  • recrutement massif de pro­fes­sion­­nels vétérinaires aux fins de veiller sur la santé animale et de protection de la santé des consommateurs (un agent d’élevage par com­­mune rurale et construction par l’Etat d’une aire d’abattage ci­mentée et équipée par arrondissement pour le contrôle des abattages) ;
  • sensibilisation des populations et surtout des leaders religieux. En effet, lors de certaines fêtes et commémoration diverses (gamou, magal, thiante, cérémonies familiales,…) l’on note un taux d’abattage très élevé des petits ruminants et il n’est pas rare, le jour de la Tabaski, de voir le sacrifice de 10 à 15 moutons dans la même concession. En revisitant encore l’histoire récente, l’on se rappelle le Roi Hassan II qui avait décrété une année «le sacrifice unique» pour tout le royaume chérifien.

Le Sénégal est un pays à forte majorité musulmane. Son approvisionnement en mou­ton de Tabaski ne doit pas être con­joncturel. Contrairement à l’auto­suf­fisance en riz qui relève de la sé­curité alimentaire, une production nationale suffisante en petits ruminants quant à elle doit être du do­maine de la sécurité nationale dès lors que l’approvisionnement à par­­tir des pays limitrophes devient de plus en plus incertain à cause d’en­jeux sé­curitaires et économiques.

 

Docteur Ousmane LO

Vétérinaire

Vice-président de la Chambre de Commerce, d’Industrie et d’Agriculture

Vice-président de la Section Agricole Louga

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