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États Généraux De La Santé Et La Sécurité Au Travail : Les Risques De Folkloriser Un Problème Sérieux

États Généraux De La Santé Et La Sécurité Au Travail : Les Risques De Folkloriser Un Problème Sérieux

Le Ministère de la Fonction publique, du Travail et des Relations avec les institutions (MFPTRI) va organiser, prochainement, des états généraux de la SST. Ce sera une première au Sénégal. C’est rassurant de voir qu’on se préoccupe de la SST, car il est inadmissible qu’un travailleur trouve la mort en essayant de gagner sa vie. Beaucoup d’accidents du travail graves ou mortels surviennent au Sénégal du simple fait de l’absence de mesures de prévention pourtant prescrites par la législation et la règlementation en vigueur. À qui la faute ? Tout le monde a sa part de responsabilité : des contrôles qui ne sont pas toujours effectués pour différentes raisons (manque de moyens, d’effectifs, de volonté, etc.), des employeurs qui ne respectent pas leurs obligations du fait d’un sentiment d’impunité largement répandu, des travailleurs qui bravent les règles sécuritaires les plus élémentaires, etc. Un pays qui ne prend pas soin de son capital humain ne saurait s’appuyer sur celui-ci pour se construire et se développer.

Les « états généraux » peuvent être définis comme étant de larges concertations publiques impliquant toutes les parties concernées par un problème donné dans le but de le traiter et de lui trouver des solutions. C’est une forme de démocratie participative étant donné qu’ils permettent d’accroître l’implication de plusieurs segments de la vie nationale en les associant aux prises de décision. Vue sous cet angle, la décision de recourir à un tel format de concertation pourrait s’analyser comme une tentative visant à favoriser un nouveau modèle de gouvernance sociale. Toutefois, la première question qui vient à l’esprit est de savoir s’il approprié voire s’il est efficace de recourir à des « états généraux » sur une question aussi importante, technique et complexe que la SST ? La réponse est non. Les « états généraux » ne constituent pas la meilleure voie pour promouvoir la SST pour au moins deux raisons principales : les spécificités de la SST et l’existence d’un cadre approprié pour parvenir à de meilleurs résultats.

Les états généraux : un mode opératoire inapproprié pour la SST

Les « états généraux » sont souvent utilisés dans des domaines de l’action publique qui ne disposent pas de procédures formalisées de concertation impliquant toutes les parties prenantes notamment les citoyens, la société civile, etc. C’est ainsi qu’il est tout à fait concevable de tenir des « états généraux » dans les domaines de l’éducation, de la santé, de la formation, du tourisme, etc. Il est également possible d’en faire de même dans les domaines de l’environnement, des grands risques industriels et catastrophes naturelles, car au-delà des principaux acteurs concernés (employeurs, collectivités locales, syndicats, etc.) les citoyens ordinaires qui habitent aux alentours des industries à grands risques ou dans des zones vulnérables aux catastrophes sont également concernés. Tel n’est pas le cas pour la SST qui se déroule à l’intérieur des murs de l’entreprise. La SST n’est pas la santé publique. L’objet de la SST est l’homme au travail, c’est-à-dire les travailleurs et leurs milieux de travail. Le fait, par exemple, pour un citoyen d’habiter à proximité d’une entreprise de montage d’appareils électroménagers ne lui donne pas un quelconque droit d’intervenir ou d’être associé aux programmes de prévention ou plans d’action mis en œuvre au sein de cette entreprise. Ces programmes de prévention et plans d’action ne concernent, à titre principal, que l’employeur, les travailleurs et les services de l’État chargés d’en faire le contrôle. Cela est appelé le tripartisme (État – Employeur – Travailleur) et constitue une spécificité du monde du travail. Cette spécificité a donné naissance, à tous les échelons (national, régional, sectoriel, entreprise), à des organes de concertation qui assurent la représentation et la participation de toutes les parties. C’est ainsi que le Code du travail a institué auprès du ministre chargé du travail un organisme consultatif dénommé comité technique consultatif pour l’étude des questions intéressant l’hygiène et la sécurité des travailleurs (CTCHST). Ce dernier est composé, outre la Direction générale du travail, des représentants de l’ensemble des départements ministériels concernés par les questions de santé, d’hygiène, d’environnement, de protection civile, de la sécurité industrielle, mais aussi des représentants des travailleurs et des employeurs désignés par les organisations professionnelles nationales les plus représentatives. De plus, le CTCHST peut s’adjoindre, à titre consultatif, de tout fonctionnaire qualifié ou de toute personne compétente en matière de SST. En dehors des cas pour lesquels son avis est obligatoirement requis, le CTCHST peut être consulté sur toutes les questions intéressant la SST comme, par exemple, l’identification et la définition de stratégies de promotion de la SST au Sénégal. Par conséquent, le MFPTRI dispose d’un lieu approprié et tout à fait indiqué pour débattre, analyser, débattre et trouver des solutions aux difficultés auxquelles le Sénégal est confronté dans le domaine de la SST. De plus, il existe un large consensus sur les limites de l’efficacité des états généraux notamment celles relatives aux importants écarts constatés dans la qualité des participants (du point de vue de la maîtrise du contenu), dans les niveaux d’information et dans les capacités d’influer sur le cours des débats. Il faut le reconnaître, en dépit de leur manteau de démocratie participative, les « états généraux » ont, malheureusement, un côté sombre, celui qui donne lieu à des prises de positions extrêmes, à des propositions qui ne reposent sur aucun élément scientifique et à des joutes corporatistes ou partisanes qu’il faut toujours essayer d’inclure dans la synthèse des travaux au nom d’un consensus qui vise à préserver une unité de façade, gage d’une fausse impression de réussite.

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Quelques pistes pour promouvoir la SST au Sénégal

Le chantier de la SST au Sénégal est vaste. La protection et la prévention des travailleurs sur leurs lieux de travail requièrent des changements en profondeur en sachant répondre, adéquatement, aux questions qui fâchent comme celles relatives à l’organisation institutionnelle de la SST, à l’harmonisation du cadre juridique, à l’efficacité et à la cohérence des interventions, à l’absence de données statistiques fiables qui intègrent toutes les sources de données (Ministère chargé du Travail, Caisse de sécurité sociale, etc.), au recours non systématique à la planification stratégique, au défaut de suivi et d’évaluation des effets des programmes mis en place, à l’inexistence d’une politique de recherche pour appuyer les actions de prévention, etc. La présente chronique n’est pas l’endroit indiqué pour lister et détailler ce qui nous paraît comme actions à réaliser en vue de promouvoir la SST au Sénégal. Cependant, quelques pistes peuvent être dégagées ci-après.

Il nous semble, aujourd’hui, que le modèle généraliste sur lequel repose le système d’inspection du travail du Sénégal (copié de la France) a fait son temps. C’est trop demander à un inspecteur de s’occuper, à la fois, de conditions de travail (salaires, durées légales de travail, etc.), de relations professionnelles (négociations collectives, syndicats, etc.), de sécurité sociale (déclarations obligatoires aux institutions de prévoyance sociale, cotisations sociales, etc.) et de SST. Le moment est venu de prospecter d’autres chemins : soit procéder à des spécialisations au niveau de l’Administration du travail (un inspecteur du travail spécialisé en SST ne s’occuperait que des questions relatives à ce domaine) ou soit transférer, totalement, le contrôle des entreprises en SST à la Caisse de sécurité sociale.

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La recherche de l’efficacité des poursuites pénales en cas d’infraction de la législation et de la règlementation en matière de SST semble être un chantier pertinent à ouvrir ou à consolider. En effet, lorsqu’ils constatent des infractions à la législation et/ou à la règlementation de la SST, les inspecteurs du travail ne peuvent pas engager, par eux-mêmes, des poursuites contre les auteurs de ces infractions comme c’est le cas, par exemple, de leurs collègues de la Douane ou des Eaux et forêts. Ils sont tenus de saisir, par procès-verbal, le procureur de la République, habilité à déclencher des poursuites contre les auteurs de ces infractions. Malheureusement, les procureurs de la République, dans l’écrasante majorité des cas, procèdent au classement sans suite des procès-verbaux transmis par les inspecteurs du travail. Ce qui contribue à l’instauration d’un sentiment d’impunité favorable au non-respect des lois et règlements en SST. D’où l’impérieuse nécessité de mettre en place un cadre institutionnel de concertation permanente entre les deux Ministères (Justice et Travail) et leurs démembrements (parquets régionaux et inspections régionales du travail) dans le but de donner des suites diligentes et favorables aux procès-verbaux dressés par les inspecteurs du travail.

Le renforcement des contrôles et le recours à la coercition devraient figurer aux premiers plans de toute politique de SST qui se voudrait efficace. La série de textes règlementaires pris en 2009 a introduit la possibilité, pour les inspecteurs du travail de décider de l’arrêt temporaire des travaux sur un chantier de construction lorsqu’il y a une situation de danger grave et imminent concernant les chutes de hauteur ou les risques d’ensevelissement par exemple. Dans les autres cas, les inspecteurs du travail peuvent recourir à la procédure de référé devant les tribunaux régionaux pour que ces derniers ordonnent, par exemple, l’arrêt et la mise sous scellé des équipements, matériaux et procédés qui compromettent la santé et la sécurité des travailleurs. Ces moyens mis entre les mains des inspecteurs sont faiblement utilisés. Nous devons retenir la leçon des pays occidentaux : le respect de la législation et de la règlementation en SST s’est grandement imposé grâce au caractère systématique des sanctions en cas d’infraction. L’éducation, la formation et la sensibilisation sont venues en complément.

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Le Code de sécurité sociale indique qu’il est possible, pour la Caisse de sécurité sociale, de créer et de développer des institutions, œuvres ou services dont le but est de susciter et perfectionner les méthodes notamment de prévention. Ce qui constitue une bonne base légale à la création d’un institut de recherche pour appuyer les actions de prévention à l’instar de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) du Québec ou de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) en France.

 

Cheikh Faye

Montréal

Cheikh FAYE

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