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Paraître Pour Exister Socialement

Paraître Pour Exister Socialement

Après la lecture de l´article de Nourou Wone « Paraître ou mourir », je me suis permis d´apporter les remarques suivantes.

Celui qui distribue des billets de banque veut être vu. Pour être vu et pour être connu, il faut quitter les espaces postérieurs (les coulisses) pour les régions antérieurs (la scène). Il faut aller là où, sous l´éclairage des projecteurs de lumière et devant les cameras de télévision,  le public, composé entre autres« Naawlé » et de « noonne », a pris place.

C´est au nom de tous les maris et  de tous les parents que Socrate parlait, quand il dit á sa femme Xanthippe, qui avait refusé de porter son manteau lors d´une fête où l’échange de vêtement était souhaité : « tu ne sors pas pour voir mais pour être vu ». Ce reproche, que Socrate faisait à sa femme me semble, pour une simple raison, injuste. Dans le comportement de Xanthippe, s’exprime un désir commun à tous les humains, à travers tous les temps : l’envie de se parer, de se distinguer, de voir et d´être vu. Aucune civilisation, aucune idéologie politique, religieuse ou sociale, n a réussi à dompter ce désir anthropologique.

Pour se faire, l´homme s´est appuyé sur deux phénomènes : la parure (la mode) et la richesse (l´argent). Grâce à la mode et à´la richesse matérielle, l´individu se transforme, s´élève à ses yeux et se distingue aux yeux d´autrui. Mode et richesse structurent la vie sociale en traçant une frontière entre individus et groupes sociaux. Déjà le chasseur préhistorique prenait plaisir à se parer et à montrer son aisance matérielle. Des dents transformés en bijoux suspendus au cou, une plume, des cheveux, une tête, un bras, une jambe, des os, un vêtement, bref tout était bon pour exprimer et rendre observable le courage, l´habilité du guerrier-chasseur et son statut social à l´intérieur du groupe ; tout était bon pour inscrire le succès de l´instant sur l´ennemi animal ou humain dans la durée.

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Les grandes fêtes profanes et religieuses étaient des occasions de faire un étalage des trophées ; des trophées qui symbolisaient une richesse acquise, une assurance matérielle qui cherche une immunité publique contre tout soupçon et contre toute contestation.

Dans l´antiquité, les artères des palais mésopotamiens (Sumer, Akkad, Babylone, Assyrie, Perse), l´agora grecque, les rues de la République romaine et celles de l´empire oriental chrétien de Byzance jouaient le rôle de scène : un espace où les riches, les puissants, les belles reines et princesses pouvaient présenter leurs parures et richesses à un grand public. Au Moyen Age et jusqu´au début du dix- neuvième siècle, ce rôle était dévolu à la cour royale, aux dames de cour, aux courtisans, aux théâtres, opéra…etc.

Aujourd’hui  les réceptions, défilés de mode, diverses formes du divertissement et les rues des grandes métropoles, etc,  servent de scène, pour voir et être vu. Au Sénégal, les grandes occasions du divertissement, les fêtes religieuses rassemblant beaucoup de monde, les baptêmes et mariages sont, entre autres,  des moments et des espaces de l´étalage de la richesse et de l´élégance voyante. La compétition sociale, la rivalité entre individus et groupes sociales se trouvent une arène dans les locaux du Grand Théâtre National, dans les cours des maisons, sous les tentes dressées dans les rues de nos quartiers pour l´occasion, sur les plateaux de la télévision. Chacun des acteurs et groupes d´acteurs présents dans cette arène cherche à défendre une étiquette, une position sociale ou à se faire décerner une. Cette lutte autour de l´accès au prestige sociale est pour certains le moment d´expulser, pour quelques instants, la question sociale (je pense ici à la survie physique) vers la périphérie de leurs activités humaines. L´individu prend ses distances par rapport à la nature en -lui et ses exigences physiques. Il se pare à outrance, il offre ses biens sans compter pour exister.

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La présence des medias (surtout celle de la télévision) donne à cette compétition une dimension dionysiaque. La télévision élargit la masse des spectateurs du spectacle. Elle permet à des milliers ou millions de personnes de participer à l´événement et d´en être les témoins. Ce qui se traduit par un surplus de pression et de ferveur sur les acteurs impliqués dans l´échange de dons et de contre –dons. Devant ces milliers et millions de spectateurs au Sénégal et á l´étranger, personne ne veut passer inaperçu ; chacun veut faire une belle figure. L´exhibition et l´étage se libèrent des contraintes morales et rationnelles. Ils refusent toute limite. La mode qui par essence veut être vue, veut être l´objet des conversations, se montre. Celui qui la porte veut être vu. La richesse qui cherche une visibilité s´étale. Celui qui distribue des billets de banque veut être vu. Pour être vu et pour être connu, il faut quitter les espaces postérieurs (les coulisses) pour les régions antérieurs (la scène). Il faut aller là où, sous l´éclairage des projecteurs de lumière et devant les cameras de télévision,  le public, composé entre autres« Naawlé » et de « noonne », a pris place. La forte présence féminine dans ces arènes s´explique, entre autres, par le fait que les dépenses démonstratives sont l´apanage des femmes. Certaines, participant à des activités économiques, ont acquis des richesses, qu´elles veulent rendre observables. D´autres dépensent l´argent de leurs maris, parents ou amis. Une richesse acquise facilement, ou presque sans effort se dépense facilement. Georg Simmel, dans sa sociologie de l´argent, pensait que ce qui fonde la valeur de l´objet, c´est ce que l´on a dû sacrifier pour l´obtenir.

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Monsieur Wone n´a surement pas tort d´être choqué par ces pratiques. Pour ceux, qui veulent pouvoir s´expliquer le pourquoi et le comment de ce phénomène observable dans différentes variations partout dans le monde, sonner le tocsin contre ces hommes et femmes n´est d´aucune utilité. J´ai essayé de participer à une entreprise d´explication. Cette contribution n´a pas la vocation d´être parfaite.

 

Serigne Mbaye Diop

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