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Le Yonnu Yokkuté : Une Poésie Du Mimétisme Et De La Médiocrité

Le Yonnu Yokkuté : Une Poésie Du Mimétisme Et De La Médiocrité

«Si quelque chose m’a toujours profondément écœuré chez l’homme, c’est bien de voir comment sa cruauté, sa bassesse et son esprit borné parviennent à revêtir le masque du lyrisme. » Milan Kundera

Les rédacteurs du programme de campagne du candidat Macky Sall ont axé leur travail sur trois priorités, à savoir : les jeunes, les femmes et le monde rural.

Dans l’absolu tout programme politique s’articule autour de quelques priorités. Mais le problème ici est qu’on ne sait pas ce que celui-ci a d’authentique dans la mesure où les programmes politiques et économiques du Sénégal sur ces trois axes n’ont presque pas changé depuis les années 90. La raison est que ces secteurs sont non seulement pauvres et vulnérables mais aussi stratégiques au regard des exigences des bailleurs de fonds de notre pays. Bref la situation de ces trois secteurs est tellement compliquée qu’on ne peut rien faire sans trouver ici des solutions viables. Or c’est précisément à ce niveau qu’on est à la fois déçu et pessimiste après lecture du Yonnu Yokkuté.

Dans le premier axe du programme intitulé « A. Mettre fin aux injustices sociales », on prétend juguler le mal par « une politique de protection sociale universelle ». Il faut dire d’ailleurs que la notion d’inégalités « économiques » nous semble être plus pertinente ici que celle d’inégalités sociales. Ensuite les mesures dites clés que ce programme nous promet semblent non seulement, confuses, incohérentes, inefficaces, mais aussi peu ambitieuses.

La première mesure est ce qu’on appelle ici la Bourse de Sécurité Familiale, une invention de Lula dans un Brésil riche en bois et en matières énergétiques. Avec la version Macky sall, 250.000 familles seront visées en raison de 100.000f par an sous la direction de la fameuse CAPSU. Or le problème généralement soulevé ici est la modicité de cette somme au regard de ce qu’une famille sénégalaise dite pauvre consomme par an. Parce qu’on est prisonnier des faux chiffres de la banque mondiale, on n’a pas vu que ces familles ont des revenus annuels dépassant largement 100.000frs.

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Mais le vrai problème n’est pas cela mais plutôt le manque criard de vision et d’ambition. Ce qui extirpera ces familles de cet état de pauvreté ce n’est pas la distribution d’une pitance annuelle mais l’encadrement pour le montage de projets (PME, PMI, Coopératives de production, fourniture de matériels, encadrement technique, etc.). Il nous semble qu’il serait plus pertinent d’assister en nature les « mères de familles défavorisées » pour les faire sortir de la pauvreté.

Mais le comble de l’incohérence est qu’au moment où l’on distribue cet argent à ces familles on va non seulement supprimer la généralisation des bourses et des étudiants, mais on va augmenter de façon quasi exponentielle les frais des inscriptions à l’université des étudiants justement issus de ces familles défavorisées ! On n’a pas besoin de faire de grands calculs pour comprendre qu’il s’agit ici d’un manque pathologique d’ambition. Car le financement de l’éducation est sans aucun doute plus viable que la distribution de bourses familiales.

On nous rétorquera que c’est justement pour financer l’université que cette augmentation a été décidée. Mais c’est là justement l’expression, dans toute sa nudité, d’une cécité politique inadmissible. Car en voulant s’inspirer du modèle américain on n’a pas vu que c’est la société américaine qui a produit les universités américaines pour que ces dernières à leur tour permettent à cette société de mieux prospérer.

Or la société sénégalaise n’a ni la même structure, ni la même organisation, ni les mêmes valeurs : il n’y a que peu de familles nucléaires au Sénégal et le niveau de vie des populations ne leur permet pas de financer les études de leurs enfants. Le mode de financement de nos universités peut parfaitement trouver un ancrage dans notre culture, dans l’aménagement du territoire et dans nos ressources naturelles (nous y reviendrons).

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Si nous voulons un développement rapide et durable, ce n’est pas le mode de financement des universités américaines qu’il faut imiter, mais peut-être le modèle indien. Mais le comble dans ce programme Yonnu Yokkuté, c’est son financement. Voilà ce que dit le programme : les mesures clés d’un coût de 120 milliards par an seront financées « par la réduction du train de vie de l’État (120 milliards) sachant que des prélèvements concertés pour service universel dans les activités à forte rentabilité (télécoms ; industries extractives, pharmaceutiques et de tabac ; transaction financières garantiront à long terme le financement ».

Une analyse rapide de cette littérature permet de voir l’étendue de la supercherie qui est servie aux Sénégalais à travers le Yonnu Yokkuté. On parle de réduction du train de vie de l’État sans avoir l’honnêteté de dire que certaines économies entrainent inévitablement des pertes d’emploi et peut-être même des baisses de rendement. De toute façon réduire le train de vie d’un État ne saurai être une source de financement viable car les aléas financiers et les calamités naturelles sont parfois d’une précarité u d’une brutalité férocement incommodantes pour nos États.

En ce qui concerne les fameux « prélèvements concertés », les cibles sources sont très contingentes et parfois même aberrantes. Comment peut-on, après avoir supprimé le décret de la surtaxe sur les appels entrants pour motif qu’elle plomberait la SONATEL, revenir demander aux télécoms de participer au financement d’un service universel ? Et les industries extractives ? Comment articuler la décentralisation intégrale et un prélèvement sur une industrie minière qui opère à Kédougou ?

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Et les collectivités locales dans lesquelles opèrent ces industries extractives par exemple? Que dire de l’industrie de tabac ? On ne peut quand même pas s’engager résolument dans la lutte contre le tabac et demander un prélèvement pour service universel à cette filière ! Mais là où le Yonnu Yokkuté est vraiment taciturne c’est sur les transactions financière. D’abord quelle étude préalable a-t-on commanditée pour savoir la masse des flux financiers à l’intérieur du Sénégal ?

Ensuite quelle est la cible réellement visée lorsqu’on parle de transactions financières ? Les fragiles structures de transfert d’argent ? Les banques ? Les marchés financiers faisant des opérations au Sénégal ? Pour dire les choses de façon crue, le Yonnu Yokkuté espère un financement vague, incertain et extrêmement risqué.

(Á suivre)

 

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

Alassane K. KITANE

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