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Entre Reconstitution Du Capital Semencier Et Commercialisation De L’arachide : Le Cycle D’une Gestion Nébuleuse

Entre Reconstitution Du Capital Semencier Et Commercialisation De L’arachide : Le Cycle D’une Gestion Nébuleuse

L’arachide constitue la principale source de revenus agricoles pour les paysans sénégalais. Elle est confrontée, depuis plusieurs années, à une baisse continue de productivité, dont l’une des principales causes est la mauvaise qualité des semences écrémées ou semences tout venant distribuées aux paysans dans des conditions qui ne respectent aucune règle d’équité et de transparence.

La politique de subvention des semences et autres intrants, pratiquée par les régimes précédents, a toujours été décriée par les acteurs de la filière. Hélas, les nouvelles autorités mènent la même politique. Les pratiques qui la sous-tendent se caractérisent par une absence totale de transparence dans la sélection des opérateurs et autres fournisseurs capables de proposer des semences. Ainsi, malgré les importantes sommes d’argent injectées, des dispositions adéquates ne sont pas prises pour s’assurer de la qualité des semences mises à la disposition des paysans. C’est pourquoi, chaque année des graines et coques d’arachides tout venant, sont acquises à prix d’or sous la dénomination de semences, ce qui constitue une perte énorme pour l’Etat et pour les paysans ; ceux-ci voient, en effet, leur production baisser d’année en année.

Certes de nombreuses initiatives ont été prises ou évoquées, ces dernières années, dans le cadre de la reconstitution du capital semencier avec, notamment, l’appui des partenaires techniques et financiers, mais le stock de semences certifiées disponible ne dépasse toutefois pas les 10.000 tonnes sur une moyenne de 60.000 tonnes distribuées annuellement.

En appliquant le décret 2010-15 du 13 janvier 2010, signé par le Président Abdoulaye WADE et autorisant l’exportation de toutes les catégories d’arachide à l’exception de celles destinées à l’ensemencement, le Gouvernement d’Abdoul MBAYE n’avait pas appréhendé toutes les conséquences qui pourraient en découler. Si cette libéralisation a permis aux paysans de vendre au meilleur prix, sans pour autant que l’Etat ne subventionne la commercialisation, elle a, cependant, négativement affecté le fonctionnement des usines de trituration qui n’ont pas fonctionné à plein régime, faute de graines. En plus, les stocks de semences qui restaient sur le marché étaient de très mauvaise qualité, ce qui a justifié le faible taux d’enlèvement chez les opérateurs semenciers (54% au maximum).

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Le conseil interministériel sur la reconstitution du capital semencier, tenu le 29 juillet 2013, sous la présidence du Premier Ministre, Monsieur Abdoul MBAYE avait annoncé une enveloppe de 5 milliards par an, pendant au moins trois ans, pour la reconstitution du capital semencier. L’option de l’Etat était de consacrer de moins en moins de ressources publiques dans l’achat de semences écrémées, au profit des semences certifiées. « Au lieu de subventionner des graines qui ne sont pas de vraies semences, nous allons désormais subventionner des semences qui garantissent une production de qualité aussi bien par la qualité de la graine que par les rendements », Avait déclaré l’ex Premier Ministre. Cette mesure avait pour conséquence la baisse de la subvention sur les semences écrémées, lors de la campagne 2013-2014.

Absence de vision claire et partagée

Lors du dernier conseil interministériel sur la commercialisation de l’arachide, le Gouvernement du premier Ministre Aminata TOURE avait clairement annoncé la collecte de 50.000 tonnes de semences écrémées destinées à la prochaine campagne agricole. Cette option est à l’opposé de celle prise par le Gouvernement d’Abdoul MBAYE, il y a de cela, moins d’un an. Ce changement radical de stratégie dénote tout simplement une absence de vision claire et partagée de la part de la plus haute autorité de ce pays qui, pourtant, dit vouloir faire de l’agriculture une de ses priorités.

En privilégiant la collecte de semences écrémées, les organisations privées qui avaient signé, l’année dernière, des contrats de production avec l’Etat et contracté des dettes auprès du système bancaire, auront des difficultés à honorer leurs engagements. Au-delà du faible pouvoir germinatif des semences écrémées, les opérateurs privés stockeurs ont l’habitude de mettre à la disposition des paysans un mélange de variétés aux cycles différents, ce qui constitue une autre difficulté. Mais le plus grand scandale, à mon avis, est la mesure prise par le Gouvernement et consistant à dégager une enveloppe de 11,5 milliards de francs CFA, afin de permettre aux opérateurs privés stockeurs de bénéficier, auprès de la CNCAS, d’un financement à un taux bonifié de 6%. Cette mesure appelle, pour ma part, les commentaires suivants :

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• Les opérateurs privés stockeurs sont des intermédiaires qui ont, de tout temps, bénéficié de crédit au taux normal variant entre 12,5 et 13%. Ils ne se sont jamais plaints de ce taux puisqu’ils réalisent, dans l’opération de commercialisation, des marges très substantielles, en plus des revenus indûment gagnés par certains qui spéculent en proposant, en dehors des points de collecte, des prix en deçà du prix officiel fixé par le CNIA. Nous rappelons que ce sont ces mêmes opérateurs qui restent devoir de l’argent aux paysans avec l’histoire des bons impayés.

• Les paysans qui sont plus démunis et qui mènent une activité de production plus complexe et plus risquée sont financés au taux bonifié de 7,5%. Nous ne comprenons pas pourquoi le Gouvernement finance les opérateurs privés au taux bonifié de 6%, alors qu’ils ne sont même pas demandeurs, un taux plus avantageux que celui dont bénéficient les paysans.

• Ces opérateurs subventionnés pourraient revendre à l’Etat du Sénégal, pour la prochaine campagne, les mêmes semences collectées au prix du marché, sans aucune réduction. Il s’y ajoute qu’ils n’ont même pas les infrastructures adéquates leur permettant de stocker ces 50.000 tonnes de semences dans les conditions optimales.

Implication nécessaire des huiliers

Le prix de l’huile d’arachide ne cesse de baisser sur le marché de Rotterdam, passant de 2.000 à 1.400 dollars la tonne, cette année. Avec le prix officiel de 200. F.CFA le kilogramme fixé par le CNIA (prix hors subvention) les huiliers ne se sont pas entendus avec l’Etat (ils proposent un prix pas au-dessus de 130 F.CFA le kilogramme) et du coup, ont annoncé qu’ils sont dans l’impossibilité de s’engager dans la campagne de commercialisation. Les nouvelles autorités, qui n’ont pas le sens du dialogue et de la concertation, ont pris cette décision comme une menace de boycott et décidé de les contourner, voire les exclure de la campagne de commercialisation.

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En définitive, tout le bruit qui est fait présentement dans cette campagne se résume à une collecte probable de 50.000 tonnes réservées aux semences, pour la prochaine campagne. Si les prévisions de récolte s’avèrent exactes, il faut prévoir entre 250.000 et 300.000 autres tonnes commercialisables, nécessitant un volume de financement qui tourne entre 50 et 60 milliards de nos francs.

Avec l’Absence des Chinois et des Indiens sur le marché, cette année, une campagne de commercialisation ne peut être conduite avec succès, sans l’implication des huiliers. Seules les institutions de financement sont en mesure de consentir les financements nécessaires au bon déroulement de la campagne. Or, les huiliers sont les acteurs les plus crédibles aux yeux des banques et ont plus de capacités à mobiliser des fonds. Leur non implication dans la campagne de commercialisation est une catastrophe pour le monde rurale.

La situation que traversent ces huiliers aujourd’hui, ne doit laisser personne indifférent. L’Etat du Sénégal est interpellé au premier chef. Au moment où nous cherchons à atteindre un taux de croissance de 7% en 2017 (alors que nos voisins qui sortent de crise sont entre 7 et 8% et projettent d’atteindre 10 à 11% d’ici 2017), l’Etat du Sénégal est en train de prendre, pour des raisons inavouées des orientations au détriment de notre industrie locale, créatrice de richesse et d’emplois. Cela remet d’ailleurs sur la table la question de la désindustrialisation agitée, ces derniers temps, par le secteur privé, notamment le CNP.

Un Sénégal émergent ne se construit pas dans ces conditions. Il est du rôle et du devoir de l’Etat d’écouter les préoccupations de tous les acteurs de notre économie et d’engager avec eux un dialogue sincère.

 

Serigne Mbacké HANE

Agro-économiste

haneserigne@yahoo.fr

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