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Sénégal, Le Nouveau Régime Et La Révolution : Le Code De La Cosa Nostra

Qui en doutait encore? Nous apercevons enfin ce qui se tramait depuis longtemps derrière les erreurs répétées et les moult blocages supposés sur la traque des biens supposés mal acquis. Il n’y avait pas plus suspect à prétexter de la part de l’instance judiciaire. Nous l’avons enfin : un nouveau code pénal qui abolit le principe du renversement de la charge à preuve, le seul moyen qu’il y a dans un pays en proie au sous-développement, à la crise sociale et à la corruption[1], pour sortir de l’ornière. Eh bien ce code aurait été proposé par les 25 membres de la commission de refonte totale du code pénal, et le génie de la conspiration voudrait que la preuve de l’enrichissement illicite incombe désormais à celui qui poursuit, c’est-à-dire à un gouvernement de mains sales qui n’a aucun crédit pour réclamer la collaboration des ses vis-à-vis d’outre désert et d’outre atlantique, là où sont ensevelis les butins des gladiateurs et des templiers.

On vient de nous fournir la preuve éloquente que notre système judiciaire est la cheville ouvrière de la mafia qui gouverne notre pays depuis des décennies. Ce nouveau code ne fait pas qu’enterrer la CREI. Il consacre définitivement la domination totale des groupes mafieux sur l’Etat et la société civile. Et tachons bien de garder les yeux sur le jeu qui se déroule au sommet, entre les institutions de la République, les Chancelleries étrangères et les milieux d’affaires et de notables. Gardons toutes les pièces du puzzle que nous avons pu rassembler depuis la mise en place de la Génération du Concret. Depuis les hautes branches de la bureaucratie civile aux couloirs et aux foyers muets et sanglants de l’Armée. Autorisons-nous également un exercice de ‘profiler’ sur la direction du Ministère de la Justice depuis 2004. Quand est-ce que M. Ousmane Tanor Dieng parlait-il déjà d’une certaine mafia à traquer? Avant-hier ? Hier ? Ce pays est décidément « foutu », mais tout le monde y semble enchainé au sommeil. La plèbe fantasme sur la carte d’Électeur, la pire des inventions de la modernité, non pas qu’elle est inutile, mais qu’elle n’est utile qu’à ceux qui se font élire par la magie de  neuf tours d’horloge.

On ne peut pas imaginer le danger pour notre économie et notre stabilité politique si ce complot politique de haute voltige—le code—passait contre notre pays. Si le tronc de l’arbre est coupé, c’est tout l’arbre qui tombe. Dans la mafia tant que le parrain tient debout, il y a de l’espoir que toute la fratrie survive à la tempête des fédéraux, enfin républicains ! Voila comment il faut comprendre ce projet funeste de notre élite perchée entre les grandes entreprises industrielles de l’extraversion, la haute hiérarchie civile et militaire, les institutions électives et gouvernementales ainsi que les agences publiques. Le Sénégal se fait voler 50% des 80% de ses richesses qu’il a amassées en s’endettant sans pouvoir tout rembourser avec des intérêts. Comment un pays peut-il se payer le luxe avec l’éventualité de ce nouveau code de consacrer la possibilité pour les grands délinquants à col blanc de ne plus devoir justifier leur richesse en cas de soupçon ou de poursuite? A-t-on jamais vu plus démoniaque ? Il n’y aura pas pire malheur et désastre plus apocalyptique pour notre pays si ce code de la Causa Nostra passe pour être le Code pénal de notre pays.

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Avec ce code il faut s’attendre à voir les luttes politiques prendre des allures de pogroms et l’instabilité gouvernementale et politique s’aggraver d’une manière qui sera plus destructrice pour la refondation de l’Etat et le progrès de notre pays. En effet, on sait tous que l’Etat au Sénégal a toujours été et demeure encore le principal instrument et la seule ressource durable et aisément accessible pour les dirigeants politiques, les entrepreneurs, les hauts fonctionnaires, les dirigeants syndicaux et les aristocraties ethnico-religieuses pour l’accumulation du capital et leur enrichissement personnel. Avec ce code, ce mode de reproduction politique de notre bourgeoisie bureaucratique capitaliste reléguera définitivement la gouvernance et la demande de justice sociale au second plan. Comme cela a toujours été le procédé favori de notre élite politique dissimulé derrière le principe travesti de la séparation des pouvoirs, c’est la Justice avec un ‘j’ majuscule (judiciary en anglais) comme appareil de domination d’une minorité prévaricatrice qui se charge de différer aux calendes grecques la  justice (sociale) avec un ‘j’ minuscule (justice en anglais). Dans ce contexte s’il restera du travail au sein des institutions publiques, il ne sera plus justifié et motivé par l’intérêt général. Le Sénégal risque de se retrouver au même niveau que pendant la colonisation et un peu après, jusque dans les années qui ont précédé la dévaluation du franc CFA en 1994. Une arène où s’affrontent les groupes et sous-groupes d’une seule et même classe, la classe dirigeante au sens large (bureaucrates, prétoriens, notables, secteur privé, entrepreneurs politiques, mercenaires et courtiers politiques) et qui sera la source d’une crise sociale et politique sans précédent. Pire, le mieux qu’en tirera la populace ne sera pas plus que des compromis destinés à lui offrir distraction le temps de redéfinir de nouvelles règles pour un même jeu : le partage du gâteau.

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Pour avoir un début de confirmation de cette mise en hypothèse sérieuse, il serait intéressant de disposer de l’identité de tous ceux qui ont de près ou de loin contribué à la rédaction de ce code, voir même des liens de parente de toutes sortes entre eux. On comprendrait nettement pourquoi ce nouveau code a été proposé à ce moment même de notre vie politique nationale. Pendant qu’il est encore temps, il nous faut garder à l’esprit, ou bien nous en rendre compte désormais, que contrairement aux mythes appuyés de la démocratie d’opinion, ou encore aux arguties formalistes de notre classe de grands ‘évolués’, le Sénégal est une démocratie électorale ou une démocratie capitaliste de sous-développement. Les élections n’y servent qu’à faire circuler les élites, les mêmes élites, à travers les divers espaces du pouvoir politique et de notre structure économique émaciée. Ces dits confinements servent alors de cours politiques et d’isoloirs de courtage et de négoce de filous à ces différents groupes ou tribus. Lorsqu’arrive son tour à chacun, ces derniers prélèvent autant qu’ils peuvent des richesses de l’Etat leur butin, au moyen de manipulations de la loi et de la politique politicienne. Tout cela dans une impunité de jure et de facto. On peut imaginer aisément le décor qui s’offrira à nous si un code tel que celui que l’on intente d’appliquer échappe à la vigilance de la société civile que nous sommes.

En effet, comme il est connu de tous, par ce dispositif hégémonique, le nouveau régime étant pour une large part issu de l’ancien régime, il se trouve de fait dans l’incapacité systémique de sanctionner les anciennes pratiques vomies par les sénégalais en mars 2012. Ainsi ce régime ne pourrait-il se passer de reproduire ces mêmes pratiques pour sa propre survie au pouvoir. C’est pourquoi aucune révolution n’a jusqu’ici débouché sur une véritable rupture. Aujourd’hui cette caractéristique légendaire de notre système démocratique que Robert Fatton appelait de juste examen le modèle de la ‘révolution passive’ risque d’être encore d’avoir de beaux jour devant notre désespoir.

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Alors que les réformes sont censées traduire la volonté de changement et de rupture exprimée par les populations et endossée pourtant par le nouveau régime et le Président en personne, c’est dans ce même groupe que l’on rend la liberté à des délinquants sexuels, que l’on refuse le principe du cumul des fonctions publiques, que l’on remet en cause la clause constitutionnelle du quinquennat, que l’on justifie des reports d’élections par une réforme tenue secrète et discutée loin des acteurs et des populations, que l’on rejette la réforme des territoires pour des intérêts corporatistes et égoïstes, que l’on attribue encore des terres à des hauts fonctionnaires en catimini, que l’on ligote définitivement l’Etat face à la prédation à grande échelle. Tout ce travail est celui de l’élite bureaucratique, politicienne et militaire. Bien entendu, l’élite bureaucratique est aidée en cela par un groupe de savants tortueux et à court d’audience dans leur propre pays. Quelle triste rémunération pour les survivants du 23 juin 2011 et du 22 mars 2012, quelle infâme trahison contre la mémoire des martyrs de ces dates de beaux jours alors qu’on n’a même pas encore trouvé leurs ignobles bourreaux. Terriblement dommage!

 

Aboubakr TANDIA

 


[1] Donal Cruise O’Brien écrivait d’ailleurs à juste titre que la corruption était devenue le style du modèle démocratique sénégalais.

Aboubakr TANDIA

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