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Pour Une « Rupture Par Le Peuple Et Pour Le Peuple» : Un Modus Operandi

Un Peuple – Une Jeunesse – Un Avenir

Vérité de l’histoire, Postulat de la révolution

Jusqu’ici la classe politique n’a fait que faire la politique à son propre profit en s’employant constamment à défaire l’Etat dans le temps et dans l’espace. S’il importe par conséquent de refaire l’Etat, il nécessaire que l’on sorte de cette politique-là.

Il est temps de sortir de la politique, c’est-à-dire non seulement les façons d’agir par lesquelles les populations et leurs intérêts sont représentés, mobilisés et gouvernés par la dictature politico-bureaucratique de notre pays, mais également les modes de pensées ou les schémas intellectuels qui président à ces modes d’action.

Etapes de la révolution radicale

– Conscientiser les jeunes dans les écoles, les universités, les daaras, les marchés, les ateliers, les écuries, les usines et, si nécessaire, dans l’administration et les entreprises. Je mets cette dernière catégorie de jeunesse bureaucratique et technocratique en dernière position parce qu’historiquement elle est restée un obstacle au changement aussi bien intergénérationnel que politique. Elle constitue donc potentiellement un ennemi de la transformation et du progrès de notre pays. Du fait de son alliance tacite avec les structures de la dictature—en l’occurrence le pouvoir et les diverses oligarchies en dehors ou à l’ombre de l’Etat—cette catégorie privilégiée n’a jamais été capable de rompre le cycle de l’assimilation culturelle et de l’extraversion politique et économique de notre Etat-nation. Les jeunesses étudiantes et ouvrières, les marchands ambulants reflux de la paysannerie décadente et exploitée, sont les véritables forces de la transformation future radicale et durable.

– La jeunesse étudiante doit cependant recouvrer et consolider au préalable son identité révolutionnaire, en étant à la fois une organisation syndicale et un mouvement politique, à l’instar des mouvements étudiants qui avaient porté la lutte pour l’émancipation du joug colonial et la décolonisation des emplois et des programmes d’enseignement à l’Université Cheikh Anta Diop entre les années 50 et 60. Encore faudrait-il tirer les leçons des déroutes successives du mouvement étudiants depuis les années 90, sans oublier celle de la récente et cuisante défaite face au programme dictatorial de réforme en cours dans nos universités. Même si cette défaite a été causée par l’éclatement et le manque de solidarité au front, révélant toute l’ampleur de la crise idéologique et morale de la jeunesse étudiante, l’Union Nationale des Etudiants du Sénégal demeure à notre avis un cadre pertinent qui peut fédérer les clubs d’écoliers dans les différents lycées et collèges pour porter une nouvelle lutte totale qui embrasse et les intérêts des jeunesses étudiantes, et la condition de la jeunesse du pays dans sa globalité. Les jeunesses étudiantes, au lieu de prétendre servir d’avant-garde à la jeunesse en général, devront plus modestement jouer la carte de l’égalité et du partenariat avec les autres corps de la jeunesse : les jeunesses paysannes et ouvrières, les jeunesses marchandes et artisanales des secteurs du commerce, de la pêche et de l’artisanat, tout en s’efforçant autant que possible de briser les frontières entre la façade côtière et l’hinterland désaffectée, entre les centres urbains et le pays rural, frontières qui ne sont en réalité que le résultat de la politique pluri-décennale d’extraversion de notre économie et de « dakarisation » de la patrie et de l’Etat.

– Mobiliser les jeunes de tous bordsde tous lieux et de toute condition en se basant sur la complexité fécondatrice de l’enchevêtrement entre les traditions et les innovations organisationnelles de notre société : les structures modernes des cellules de jeunes des partis politiques, les branches juvéniles des organisations professionnelles (syndicats, tontines, mutuelles, associations, clubs et cellules universitaires) devraient établir une jonction avec les structures traditionnelles comme les dahiras, les associations villageoises, etc., autour d’une seule et unique conscience de classe. L’un des défis majeurs auquel la jeunesse devra faire face au début de tout combat est de briser les chaines de sa dé-subjectivation et de son infantilisation savamment nouées au travers des subconscients de chaque jeune : l’illusion de la débrouillardise. En effet, la débrouillardise a été frauduleusement positivée comme un éthos de dynamisme et d’inventivité des jeunes, voir même comme un mythe de la résistance d’une jeunesse illusoirement révoltée. Cette manœuvre hégémonique a été le fait d’une élite politique impotente et autoritaire, avec le soutien tacite sinon involontaire d’une intelligentsia importatrice de concepts et de méthodes. Le résultat a été que notre jeunesse s’est mise pendant des décennies à reproduire elle-même le mécanisme fondateur de sa subjugation et de son exploitation par les diverses hiérarchies de la domination dans notre pays. Du coup la force démographique de la jeunesse a été longtemps niée sous la forme d’un discours alarmiste néomalthusien qui a réussi à faire croire qu’il était donc légitime de voir les jeunes chômer, se bousculer pour trouver un emploi, pour émigrer, pour marchander à la sauvette, bref pour échouer et vivre avec le risque et l’incertitude. Cette pandémie psychoaffective devra être éradiquée par la jeunesse elle-même.

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– A cet égard, la jeunesse ne manque pas d’atout. Il est vrai que face à son incapacité à relever les défis de la survie face aux conjonctures de la dépendance et de l’insouveraineté politique, notre classe politique n’a jamais pu faire mieux que de détourner l’attention et l’énergie de la jeunesse. La capacité d’innovation des jeunes a été travestie et redirigée vers la sous-culture du folklore et de la bêtise, de la précarisation volontaire et de l’autodépréciation, vers le culte de l’état d’exception et de l’extravagance des risques et des suicides en mer. Servant d’euphémisme à cette rhétorique de l’asservissement, la « culture populaire » est plus une idéologie trompeuse. En tant que fiction disciplinaire et hégémonique des élites savantes et politiques, la culture populaire désigne la cage de fer dans laquelle la jeunesse est enfermée dans l’illusion du sens et de l’activité. Grace à la manipulation de la tendance et des besoins naturels des jeunes dans les loisirs et l’amusement, on a réussi à reclure notre jeunesse dans la routine des arts de la rue, dans l’aventurisme des métiers ainsi que dans l’exil nomade. Jusqu’à ce qu’elle se révolte pour réclamer plus en donnant de très courts délais ;

– Cette même capacité d’innovation doit aujourd’hui être reconquise et domptée par les jeunes pour unir toute la jeunesse du pays autour d’une seule conscience de classe, une conscience de génération, une conscience éthique, une conscience de transformation et de progrès social pour tous, une conscience du futur immédiat, un rêve commun à portée nationale voire internationale ;

– La jeunesse de notre pays a également cette autre force que lui confère paradoxalement son exclusion orchestrée vers l’exil et l’aventure. Les jeunes de la diaspora ont pris part, tardivement certes, à la révolte de 2000 et à la révolution du 23 juin. Notre jeunesse a en réalité amorti les affres de la crise socioéconomique de ces dernières décennies.

Une fois regroupées, organisées et conscientisées, notre jeunesse devra sortir de la politique, celle (post)coloniale en vigueur, pour mettre en place une alternative populaire et radicale. Populaire parce que la jeunesse prendra la direction du pays et parlera à tous, aux masses et aux petit-bourgeois, aux adultes et aux enfants, aux parents et aux éducateurs. Radicale parce qu’elle évitera d’inscrire et de portée son action progressiste a partir des structures politiques en vigueur. En boycottant dans un premier temps toutes les structures d’encadrement des adultes et de l’Etat, de la bureaucratie et de l’école, elle formera dans un second temps ses propres unions au sein de structures propres et souples dont la force imparable sera la jonction dans une seule chaine, et avec une seule conscience de classe. Elle n’aura d’autre scène et d’autre cadre que la rue, les clubs et groupements informels de jeunes non contrôlés par les structures habituelles de l’Etat et de sa bureaucratie locale et nationale. Elle n’aura d’autre champ que la rue et les écoles pour tenir ses réunions, organiser ses marches pacifiques et réclamer la rupture.

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Comment sortir de la politique ?

Cette rupture sera exigée dans l’abolition immédiate, sans condition et définitive des privilèges illégitimes du Président, des ministres, des députés, des chefferies, des notabilités, des bureaucrates, des hauts cadres, des entreprises, des représentations étrangères, des autorités locales, des syndicats, etc. La jeunesse n’y parviendra qu’en exigeant sans aucune condition et sans délai l’abrogation définitive de toutes les lois et les règlements dans toutes les institutions publiques qui cautionnent et protègent jalousement ces privilèges indument et impunément soustraits au patrimoine de la nation. Ne seront épargnées quelques lois, de celles figurant dans la Constitution à celles gribouillées dans les décrets, arrêtés, circulaires et autres subterfuges de scribes totalitaristes et de bureaucraties claudiquées ;

Elle exigera en outre la fin de la nomination des juges constitutionnels par le Président ou par quelque autre autorité politique. Que tous ces juges soient élus par un collège formé par tous les pensionnaires des grandes juridictions ;

Elle exigera ensuite une réforme du système partisan pour en limiter aussi bien le nombre de groupements que l’exclusivité de la représentation dans les parlements et les institutions locales. Désormais réclamer que puisse être député, conseiller municipal et villageois, tout représentant d’une association qui remplit les critères révisées de la loi électorale. La candidature indépendante à toutes les élections permettra de briser l’hégémonie exclusive des partis politiques, et par conséquent des politiciens de métiers, des entrepreneurs politiques et des corporations qui sont en alliance avec eux. Si les partis politiques sont ligotés la moitie du travail sera fait ;

La jeunesse réclamera qu’aucune autorité locale ne puisse résider plus de deux jours en dehors de sa circonscription au moins onze mois sur douze ;

Elle réclamera qu’aucune banque ou établissement financier puisse faire affaire dans notre pays sans être capable ou disposée à l’accompagner dans l’entreprenariat de toutes sortes et les études ;

Elle exigera avec force et sans condition que toutes les régions du pays puissent disposer chacune d’une université et de structures fonctionnelles pour la formation et le renforcement des capacités des jeunesses marchandes, paysannes et artisanales ;

Très vitale est cette autre exigence sans laquelle l’Etat sera encore capturé par l’alliance des élites : réclamer que dans une loi sûre et inviolable dans son caractère l’Etat consacre la plupart de son budget à l’éducation, à l’agriculture, à la santé des jeunes et à l’emploi ;

Pour protéger le patrimoine foncier national et accroître ses chances à la démocratisation de l’habitat et les possibilités d’accès à la terre et de son exploitation par notre peuple lui-même et pour sa sécurité alimentaire et son progrès durable, la jeunesse devra exiger que quiconque voudra la terre devra l’acheter et qu’elle ne soit plus à exproprier ou à approprier par quelque autorité publique ou privée qui soit. Exiger que dans notre Constitution figure la disposition modifiable en aucun cas selon laquelle la terre du pays ne peut être vendue ou cédée à une personne ou une institution étrangère ;

Notre jeunesse réclamera la nationalisation tant que possible et nécessaire, au regard des conditions sociales et économiques, de toute notre industrie et de toutes nos ressources du sol et du sous sol, de la terre et de la mer. Elle réclamera qu’une disposition constitutionnelle prolongée dans le code régissant le secteur de l’industrie interdise sur le territoire national une entreprise privée étrangère où l’Etat n’a pas le contrôle de la majorité ou de la moitié des ressources et du patrimoine. Que dans toute entreprise privée nationale d’origine locale l’Etat dispose d’au moins 10% des ressources en toute nature ;

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La jeunesse exigera que tout délit d’atteinte au trésor public et aux deniers public soit puni de la prison à vie et de l’interdiction à vie d’exercer toute fonction publique, de quelque citoyen qu’il soit ; ce qui nécessitera qu’elle demande que soit reformées les lois dans cette direction. Et que toute autorité publique puisse répondre devant une cour souveraine et préservée de toute forme d’influence ;

La jeunesse montrera sa disposition et exigera de l’Etat la généralisation et le caractère obligatoire du service militaire et/ou civil dès l’âge de 18 ans jusqu’à celui de 20 ans ;

Comme ses aînés dans leur tendre jeunesse, la jeunesse d’aujourd’hui réclamera la réforme des cursus et des méthodes d’enseignements dans l’école nationale, publique et privée, française et arabe—ensemble intégrées—de sorte que le conditionnement mental et culturel pro-occidental prenne fin. Que l’école enseigne nos valeurs et serve de production, de véhicule et de transformation autocentrée et endogène de notre culture, de notre économie et de notre société dans sa globalité. Elle réclamera sans condition l’enseignement de et dans nos langues nationales de certaines matières (i.e. l’histoire, les mathématiques, la philosophie et la littérature). L’enseignement de l’histoire dans nos langues nationales est vitale et non négociable pour rebâtir notre nation et reprendre le contrôle sur notre mémoire nationale et la préserver pour notre sécurité future ;

Enfin, qu’une fonction politique élective et ou représentatives (par exemple, diplomatiques) ne puisse être exercée que par un citoyen de nationalité exclusivement sénégalaise avant et pendant son appointement.

Une seule stratégie : la désobéissance civile pacifique

Il reste la stratégie globale, le mode d’action ultime le plus efficace pour obtenir très rapidement et sans condition la satisfaction de cet agenda. C’est la désobéissance civile si les appels pacifiques par des marches et le boycott des partis politiques et des structures d’encadrements des jeunes dans les institutions publiques ne donnent pas les résultats escomptés. Une jeunesse rassemblée des villes aux campagnes, de la côte à l’hinterland, du fleuve Sénégal au fleuve Casamance, en millions d’esprits et de corps déterminés, avec une seule conscience et un seul mot d’ordre, est forcément une jeunesse qui vaincra. Cette jeunesse-là, une fois réunie ne verra lui résister aucune force, fut-elle l’armée nationale, dont je conseille aux jeunes qu’ils sont pour la plupart de désobéir au pouvoir en cas de besoin et de se joindre à sa classe d’âge et de condition. Fut-elle encore cette force-là, une armée étrangère.

 

Aboubakr Tandia

Aboubakr TANDIA

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