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Le Génie Sénégalais: Un Président, Un Plan

Chaque Président qui accède au pouvoir, par la volonté de la minorité de la population qui vote, met en place son plan. Souvent ce sont des plans de quinze à trente ans, si jamais une ambition et une vision d’un seul Président était allée au-delà des cinquante ans de Senghor dont les prévisions étaient que le Sénégal de 2000 ressemble au Paris des années 60.

En 2000, son successeur Abdou Diouf a perdu le pouvoir parce que son “sursaut national” qui reposait également sur la générosité des bailleurs et la vertu des technocrates n’avait réussit qu’à faire de Dakar la seule ville dont le Sénégal pouvait être réellement fier. Dakar était divisé en deux mondes: Le Plateau d’argent du centre ville ou bureaucrates et politiciens sénégalais, étrangers libano-syriens et français possèdent tout, grâce à la force de travail des milliers de citoyens de seconde zone qui essaiment chaque jour depuis la Banlieue et ses périphéries attirées un tant soi peu par le “rêve dakarois”. En 2000, après des décennies de Plans quinquennaux qui se sont succédés, les sénégalais se rendaient bien compte que Dakar ne ressemblait à Paris que sur un plan: cette capitale était devenue une enclave étrangère maintenue dans l’abondance par une petite bourgeoisie qui s’appelle l’Etat. Pourtant, pour se faire réélire en 2000 Diouf n’avait pas hésité a promettre encore une fois “le changement dans la continuité”.

Son tombeur Wade qui promettait lui aussi le changement tout court (Sopi) parvint magistralement à tenir la promesse de son malheureux prédécesseur: la continuité de la dépendance et surtout, la consolidation de la petite bourgeoisie étatique, on le sait, avec de nouvelles factions tirées de ses rangs et des autres sénégalais “qui avaient un prix”: les fameux “nouveaux riches” qui étaient beaucoup plus visibles que les “nouveaux pauvres” qui sont eux aussi le produit de son Plan. Wade n’était pas le dernier messie. En 2012, la seule promesse qui avait été de nouveau faite par un Président était en substance ceci: la rupture. Le refus de mettre une épithète à ce mot dans le nouveau slogan, un peu comme avec le “Sopi”, signifie manifestement qu’il s’agit dune rupture sur tous les plans, bref d’une révolution. Sauf que ce mot ne veut pas toujours dire le”grand bon en avant” de Mao, encore moins “le progrès” des Lumières. La révolution est aussi celle d’un corps physique qui tournoie autour d’elle même, celle-là qui ne change pas la structure d’une économie, encore moins les mentalités et les mauvaises habitudes.

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Le Plan Sénégal Émergent (PSE) peut bien avoir été le résultat d’efforts louables et peut-être même sincères, mais il reste un plan de plus, après un Président de plus. Celui que l’on promet tout en étant absolument certain qu’il n’existe que dans la tête de ceux qui y croient. Il s’agit d’un plan qui repose sur les mêmes ressources et les mêmes mécanismes que dans le passé (d’avec lequel on prétend vouloir rompre): des esprits brillants mais dont peu sont des citoyens sénégalais indépendants dans leur âme et leur conscience, tandis que beaucoup d’entre eux n’ont guère le luxe de pouvoir réfléchir en dehors de la mentalité qui produit tous les jours notre misère nationale. Au lieu du sevrage et du démantèlement des groupes d’intérêts et des niches d’actions illicites qui accaparent les moyens de notre pays, lesquels sont pourtant largement suffisants pour financer une ambition nationale réaliste et modeste, la petite bourgeoisie étatique préfère alourdir l’ardoise de notre endettement dans son vade mecum pour un nouveau voyage. Sans compter le maintien de la structure économique de notre pays dans un mode de production qui laisse en rade la majorité de nos compatriotes.

Réduction du train de vie de l’Etat, lutte contre l’enrichissement illicite, promotion du mérite, restauration de l’Etat, etc., tout cela n’est que de la politique. Aucun gouvernement ne peut prétendre assainir son économie et démocratiser l’Etat en reproduisant les mécanismes et les ressources par lesquelles l’économie est corrompue et la démocratie dévoyée. Je m’explique: la corruption et la patrimonialisation de l’Etat par des groupes sont d’abord des conséquences de l’endettement, d’une politique économique qui repose sur la volonté des intermédiaires et les alliances entre des groupes d’intérêts. C’est pourtant cela l’économie de la dette avec laquelle nous vivons et voulons faire reposer un nouveau plan.

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Par ailleurs, un plan de 20 ans au minimum nécessiterait que la classe politique soit suffisamment démocratique pour considérer indifféremment l’intérêt national et les consensus qu’il requiert que l’on mette en place par-dessus tout. Si cela avait été le cas, les différents plans que l’on a connus jusqu’ici ne disparaîtraient jamais avec les Présidents qui les mettent en place. La continuité de l’Etat n’est pas une réalité dans la mentalité, le “cœur” et la culture politique de notre élite. Aucun Président n’a eu l’honneur de voir son Plan à lui approprié et reconduit par son successeur. C’est qu’en parti aucun Président n’a jamais été en mesure de bâtir une administration publique capable de s’élever au-dessus des clivages partisans et des humeurs des politiciens pour imposer la continuité de l’Etat et l’adaptation des visions et des plans à la seule constante qui vaille: l’intérêt national. Chaque président a bâti son administration, avec ses propres hommes et agences, avec ses propres réseaux. Il n’y a jamais eu de réseaux du Sénégal comme ceux des USA ou de la France que gauches ou droites, socialistes ou libéraux, républicains ou démocrates utilisent depuis des siècles indistinctement des couleurs partisanes dans ces grandes démocraties. L’autre chose est que les plans n’ont fait que changer de noms et d’« esprits » pour les couver, car étant fondamentalement dictés par les détenteurs de capitaux.

En dépit du fait indéniable qu’il soit un agenda très ambitieux comme les autres, le PSE ne semble pas constituer une exception à la règle du « changement dans la continuité ». Il reste la vision d’un Président qui n’est pas en mesure de jurer aux sénégalais que l’administration publique est capable de le mettre en œuvre avec lui et après son départ du pouvoir qui est en principe dans huit petites années. L’administration en place saura-t-elle imposer au successeur de l’actuel Président les consensus et les minima nécessaires ? Comment le pourrait-elle d’ailleurs si elle n’a pas été l’initiatrice et l’inspiratrice opérationnelle de ce plan ? De la même manière, on ne peut pas dire que ce plan est celui du Sénégal, car il n’a pas été conçu uniquement et exclusivement par le Sénégal ; il n’est pas financé par les moyens modestes du Sénégal ; il n’est pas un plan dont le contenu est basé sur ce que les sénégalais pensent eux-mêmes de leur économie et comment ils voudraient qu’on développe leur économie et quelle place est la leur dans tout cela. Comme les autres, il semble très proche d’être la vision d’un Président qui voudrait sans doute laisser la marque de son passage quelque par sur les archives nationales et sur le territoire national.

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Est-il légitime d’espérer ou de requérir le soutien du peuple, encore moins de lui faire croire à un plan pour lequel on n’a pas demandé son avis, et pour la mise en œuvre duquel on ne compte ni sur le génie, ni sur les moyens modestes de notre pays pour le mettre en œuvre ? Un Plan est le résultat d’une vision et de moyens mobilisés de manière indépendante et collective et qui est et demeure à travers le temps, à l’abri des luttes et des successions politiques, et parfois même à l’abri des catastrophes naturelles si la mentalité de gouvernement est d’un patriotisme à toute épreuve. Qui peut nous assurer en toute bonne fois que c’est le cas du PSE ? Le PSE survivra t-il aux deux mandats du Président à la tête du pays?

 

Aboubakr TANDIA

Aboubakr TANDIA

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