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La Loi Sur La Parité à L’épreuve De La Réalité Sociopolitique Du Sénégal

La Loi Sur La Parité à L’épreuve De La Réalité Sociopolitique Du Sénégal

Il ne serait pas inutile de mettre toute la pensée que je développerais dans les lignes qui suivent sous réserve de ceci : que l’on ignore encore si le Califat de Touba a décidé en connaissance de l’existence et des dispositions de la loi sur la parité ; que le Calife a un droit de regard absolu sur tout ce qui se fait au nom de Touba et sur le territoire de Touba. Qu’il se permette d’amender et de viser en dernier ressort la liste des futurs « gouvernants » de Touba ne devrait donc pas être une surprise, encore moins une étrangeté quelconque. Par ailleurs, il pourrait se trouver que, au cas ou il n’ignorerait pas les implications de la loi, le Calife n’ait pas trouvé de femme qui mérite sa confiance au point de figurer sur cette liste de laquelle il a retiré des hommes faute de n’avoir pas pu s’assurer de leur bonne foi et de leur aptitude à servir. Il n’y a pas à ma connaissance de femme qui se soit plaint de l’autorité du Calife sur Touba. Or c’est de cette autorité que tout le reste part si l’on veut rester honnête et éviter le péril de l’anachronisme dans le débat.

Cette observation faite, n’en déplaise aux fourbes attentes de quelque maître d’opinion qui en garderait à tout hasard, je m’en vais croire avec vous que les lois n’ont pas pour fonction de changer les sociétés, contrairement à ce que beaucoup de juristes et de militants humanistes ont la fâcheuse tendance à croire, mais de permettre à ce que les sociétés soient gouvernées d’une manière qui préserve leur stabilité et leur cohésion sociale. Les lois trouvent donc leur esprit dans cette exigence rationnellement suprême, inaltérable et non interchangeable. Elles ont pour principe de s’adapter au changement social, pas de le provoquer de force ou de l’engager au profit d’une vision particulière du monde. Dans le cas précis de la loi sur la parité on pourrait partir de la contradiction suivante: elle a été initiée et fait adopter par le Président qui avait alors tenu à respecter une promesse faite aux femmes dont il avait spécialement cherché le soutien politique. C’est pourtant lui qui a été le seul à affirmer son identité religieuse de mouride, en l’occurrence Abdoulaye Wade. Pourquoi donc, est-ce que le Président mouride qui était très loin d’ignorer la souveraineté territoriale de Touba s’est laissé aller à autant de zèle ? Ou étaient ceux qui voyaient venir les difficultés auxquelles devaient être inéluctablement confrontée cette loi, de la même manière qu’ils relevaient sans peine cette contradiction ?

Commençons d’abord par éclairer certains commentateurs qui sont visiblement étonnés de savoir que le Calife de Touba puisse avoir, plus qu’un droit, une autorité à designer les gouvernants de Touba, en dressant la liste de la communauté rurale. En effet, c’est de cela qu’il s’agit en réalité : la compétence juridique du Calife sur cette matière. Au titre de successeur du fondateur et propriétaire de Touba, le Calife est l’autorité politique de la « ville » de Touba. Localité—appelons-là comme on veut—dont l’extension du domaine territorial a été récemment accordée de pleine souveraineté par le gouvernement. En outre, la notion de Calife désigne une autorité à un double titre: un imam et un guide pour une communauté religieuse, mais également une autorité politique sur un territoire et sa population. Si étrange que cela puisse être, c’est le Calife qui gouverne Touba et il en est de même pour d’autres localités, même si il faut convenir que c’est à des degrés divers et sous des régimes variables de cession autoritaire de la part de l’Etat. Il ne faut pas se voiler la face, un Calife ne fait pas des lois du type de celles que font nos gouvernants au Parlement ou dans les instances supérieures. Cela ne veut pas dire qu’en tant qu’autorité politique et morale, il ne puisse pas exercer sans restriction son pouvoir d’édicter des règles et des principes contraignants et non opposables sur son domaine territorial pour y régler la marche des hommes et des affaires. Rappelons également que ce pouvoir est d’autant plus effectif qu’il lui est entièrement reconnu par sa communauté religieuse et tacitement par le gouvernement, pour le cas de Touba en tout cas.

A Cambérène le Califat a interdit l’usage du tabac, la vente de boissons alcoolisées et imposé des limites sur le port vestimentaire. Ce qu’aucun layène ne peut remettre en cause sans risquer d’entrer en contradiction avec lui-même. On pourrait en dire de même à Thiénaba et Thilmakha dans une certaine mesure. Qu’ont fait les « humanistes » des droits de l’homme ? Pourtant ces mesures connues et admises de tous ne sont pas sans restreindre voire nier les libertés liées à l’intégrité physique et morale des personnes. Ce n’est donc pas seulement à Touba qu’est reconnue cette particularité et ce n’est pas non plus uniquement à la loi sur la parité que la sociologie politique de notre pays est bousculée par le formalisme simpliste de ceux que vous appelez si bien les « intégristes républicains » dont le Président Wade, suis-je tenté de dire.

Notre cohésion sociale subit l’épreuve implacable d’autres lois ou projets de loi que soutiennent de fermes ongles des femmes trop indépendantes pour pouvoir refuser au Calife de Touba le même droit à l’autodétermination, principe auquel est également soumis notre Constitution. Le fait est que ces intégristes et autres féministes devraient se demander pourquoi et à quel prix les colonisateurs français et le gouvernement français, sous toutes ses formes, de l’empire colonial à la Communauté française, avaient jugé bon de reconnaître à notre nation ses spécificités. Cela au point d’accorder une autonomie territoriale et administrative, voire politique, à certaines localités comme Touba, Thilmakha, Yoff et Cambérène. Au point également d’user et de soutenir le pouvoir de régulation de nos guides religieux et d’autres notabilités. En réfléchissant à cette question, on pourrait sans doute aboutir à un début de solution adéquate aux problèmes que posent aujourd’hui notre frénésie juridique et notre formalisme de salon aux systèmes politique et à la stabilité de notre pays.

Il me parait important, et à point d’ailleurs, de poser la question de savoir si la légitimité d’une loi doit passer au second plan, derrière son caractère « moderniste » et universaliste ; si la simple adéquation de notre infrastructure juridique vaut que l’on en arrive à mépriser nos mœurs sociales, notre histoire et nos équilibres sociopolitiques. En effet, il faut reconnaître que la loi sur la parité comme d’autres trouvailles sécularistes du genre sont souvent inconnues de la majorité de nos populations. Surtout les autorités locales et traditionnelles dont le rôle dans la régulation politique et l’influence positive sur la cohésion sociale sont généralement connue de tous. Cette ignorance est sans doute le terreau fertile à des législations qui n’engagent souvent qu’une poignée de citoyens qui se font l’obligation de satisfaire des gouvernements étrangers et des mécènes généreux dont l’option est de veiller à ce que les lois soient partout dans le monde sans menace sur leurs intérêts et leurs projets. Mais enfin, même si elles peuvent faire les frais d’une appréciation paresseuse, pour ne pas dire populiste, ces observations pourraient vouloir dire ceci : pourquoi les quelques députés et hautes autorités de l’Etat qui avaient provoqué la parturition de la loi sur la parité n’avaient pas pris la peine de passer par la voie référendaire ? La cause des femmes était-elle de si peu d’importance à leurs yeux? Avec la voie référendaire on aurait pu mesurer à quel point le besoin s’en faisait véritablement sentir pour notre société dans ce domaine et, en même temps, les chances de légitimité et d’effectivité de la loi. Avait-on cru subsidiaire le fait de prendre la peine de recueillir l’opinion de ceux qui ne s’y reconnaissent pas aujourd’hui ? Car, visiblement, le Calife de Touba aurait eu une réaction sans doute différente si telle avait été le cas et que, par fortune, il avait adhéré au principe de la loi.

D’un point de vue purement politique, il faut se demander si le temps n’est pas enfin venu de faire le compte autour de cette fameuse parité. C’est peut-être cette occasion que nous offre la résistance de Touba à quelque chose qui est apparemment passé incognito sous le nez de beaucoup de nos compatriotes. N’est il pas venu ce temps pour qu’enfin la classe politique cesse de faire de nos lois et de nos institutions sa seule affaire, pour ses propres affaires ?

Dans cette perspective, je crois de modeste opinion que le législateur, tout comme le militant farouche et l’entrepreneur opportuniste, gagneraient à se montrer plus sérieux envers l’objet de leur activité : les lois et leurs effets de divers ordres. En l’espèce, la loi sur la parité aurait dû être soumise à l’arbitrage inévitable entre, d’une part, la visée ultime de l’Islam et du christianisme, des communautés musulmanes et chrétiennes, au titre des rapports homme-femme, à savoir « l’équité », et d’autre part, celle de l’Etat séculier que l’on n’a même pas encore réussi à ériger, c’est-à-dire « l’égalité ». Alors si la laïcité veut encore dire qu’aucune forme de croyance et de liberté de culte ne saurait être menacée dans la République, on devrait pouvoir comprendre la position du Calife de Touba. Lequel d’ailleurs à dressé une liste uniquement pour Touba ou s’arrête sa compétence législative, et non sur le territoire national. Pourtant, les mourides ne vivent pas seulement à Touba. Ce qui veut dire qu’il s’est limité au domaine territorial inviolable de son autorité. En effet, on n’est pas sûr qu’il s’agisse là d’une violation de la loi. En revanche, cela ressemble bien à une opposition à une loi qui ne l’engage guère, car n’étant ni conforme ni inclusive de sa liberté de culte et de ses croyances religieuses, encore moins au principe et au domaine de son autorité, et ce, il faut le préciser, sur un territoire qui ne semble pas appartenir à l’Etat du Sénégal. Ne pas prendre en compte cet aspect du problème revient à se montrer simpliste, ou à détourner le regard d’une réalité intégrale. A supposer que Touba soit partie intégrante du domaine d’autorité de l’Etat, ce qui est le cas jusque dans les limites de la laïcité, l’autorité du Calife reste intact et indiscutable sur sa localité.

La loi sur la parité, comme d’autres lois, ne prospérera jamais, du moins pas tout le temps, sur toute l’étendue du territoire, aussi longtemps que les manières de faire la politique et de gouverner n’auront pas été assainies. Et cela, nos fameux républicains et féministes le savent si parfaitement qu’ils ne parlent presque jamais ouvertement de leurs projets à qui de droit. Pour dernier exemple, le projet de loi sur l’inclusion de l’éducation sexuelle à l’école et son approfondissement n’a été présenté qu’à une poignée d’imams et de soi-disant autorités religieuses dont le vrai pouvoir et l’influence sur les communautés de croyants est presque inexistant, comparé à celui des Califes ou du Cardinal. Certainement autant que ces intégristes pseudo-humanistes « républican-istes », ces autorités religieuses savent ce qui est souhaitable et ce qui ne l’est pas pour leurs communautés et leur localité.

Sans doute, comme beaucoup d’autres lois, celle sur la parité devrait être considérée sous l’angle de la décentralisation. Et précisément, la réforme en cours, l’acte 3, en offre une occasion inespérée. Le Calife qui n’a fait que proposer une liste de conseillers éligibles. Il pourrait alors ne plus avoir à maximiser la probabilité que les populations de Touba pussent élire les gouvernants qu’il leur faut. En effet, c’est bien de terminer par ce rappel non moins important: le Calife n’a pas nommé des conseillers, il a proposé une liste de personnes éligibles au terme d’une élection. Que les Toubois la votent en l’état ne serait en rien contraire aux lois et à la démocratie et ne serait en aucun cas de la faute du Calife.

 

Aboubakr Tandia

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