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Touba : Une Principauté Au Sénégal 

«L’affirmation de l’homme face à l’homme et le rappel de sa nullité face à Dieu entraînent le développement d’un humanisme balancé qui ne saurait conduire ni à un culte abusif de l’individu devenu une fin en soi ni à une dévotion aveugle et inconditionnée pour les structures politiques en place.» (Marcel A Boisard «L’humanisme de l’islam»).

La confrérie mouride, représentant 37% de la population musulmane sénégalaise, est minoritaire face à l’autre grande confrérie qu’est le Tidjanisme qui comptabilise 47% des Sénégalais. Cependant, elle est la plus puissante de toutes les confréries sénégalaises. Cette puissance se mesure à l’aune de l’assujettissement du pouvoir étatique (son chef en premier). Il n’est pas rare de voir, depuis Abdoulaye Wade, le Président de tous les Sénégalais s’agenouiller devant le khalife général des mourides.

S’il est une chose que je ne comprendrais jamais, c’est comment des individus arrivent-ils à se soumettre volontairement devant d’autres individus en chair et en os comme eux ? Une fois de plus, un individu ne peut être grand qu’à genou devant Dieu et Dieu seul, si et seulement si on croit en lui. Si on ne croit pas en Dieu, on ne sera jamais grand nulle part à genou devant quelqu’un d’autre !

Cela dit, qu’est-ce qui nous pousse à penser que Touba est une principauté dans le Sénégal, et une principauté égoïste ?

Touba est une principauté, dans la mesure où elle est la seule localité qui veut, à la fois, faire partie du Sénégal et être hors du Sénégal. Touba veut faire partie du Sénégal quand ça l’arrange et quand ça ne l’arrange pas, Touba essaye de revendiquer son autonomie, son authenticité, son originalité. S’il est vrai qu’actuellement c’est la seule localité qui constitue la plus grande rivale de Dakar (la capitale sénégalaise), avec une croissance spectaculaire, Touba est gérée pour ainsi dire, selon la volonté du khalife général. Touba a sa propre milice qui joue le rôle de police du khalife. Touba a établi des lois qui lui sont propres, sans doute tirées de la charia, ou de ce que l’on suppose être comme tel. Comme seul représentant de l’Etat, il n’y a qu’une gendarmerie qui compte à peine 30 personnes pour une population de près du million. On peut se demander à quoi cette brigade peut bien servir, surtout quand on sait qu’elle n’a pas de réel pouvoir et qu’elle est sous la coupole du khalife des mourides ? Il n’est pas surprenant alors de voir tous les hors-la-loi que compte le Sénégal se pavaner en toute impunité dans cette localité.

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Mais Touba est une principauté très égoïste ! Ce que nous venons de dire plus haut le prouve largement. Mais à cela s’ajoute que Touba veut vivre gratuitement sur le dos des Sénégalais. Comment peut-on presser l’Etat de fournir de l’eau abondamment, alors que l’on veuille que cette denrée soit gratuite pour tout habitant de Touba ? Ce n’est pas normal ! Et l’Etat n’ose même pas le leur dire. Abdoulaye Wade, un moment avait dit que Touba pouvait se démarquer du Sénégal s’il le voulait. Mais alors, il faudrait que ses frontières soient bien délimitées, en fonction de ce qui avait été signé entre le marabout d’alors et les colons. Alors, on verra que les limites de Touba ne dépasseraient pas la grande mosquée. Autre fait encore, à Touba, on n’y paye pas d’impôts et personne n’y est soumis à aucune taxe. C’est ce que l’on pourrait appeler une concurrence déloyale, parce que les populations de Touba bénéficient des infrastructures payées par tous les Sénégalais. Mais jusqu’à quand ? Et au nom de quoi cette localité peut-elle continuer de s’arroger certains droits au détriment des autres localités sénégalaises ? L’égoïsme de cette localité est à noter aussi dans sa façon de vouloir toujours se singulariser, depuis le khalifat de Abdoul Ahad Mbacké au moment des principales fêtes religieuses. Combien de fois le Sénégal a-t-il célébré dans la division les deux Aïd ? C’est même devenu banal actuellement, même si lors de la dernière fête de Korité, on a noté quelques petites querelles de chapelle. Le Sénégal est le seul pays martien sur Terre, puisqu’à l’instar de la planète Mars, il voit toujours deux lunes : Phobos et Deimos. Deux noms bien lugubres qui font penser à Phobie et à Démon. Dans les deux cas de figure, cela fait toujours peur.

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Il va bien falloir que l’on discute un jour de tout cela ; que le Sénégal décide de jouer franc jeu avec Touba, au moment où l’Etat sénégalais pense à lui accorder un statut spécial. On aimerait bien savoir ce que renfermerait ce statut spécial ? C’est à se demander si le statut actuel de Touba est autre chose que spécial ? Le dernier épisode sur la parité est une illustration symptomatique du statut spécial de Touba. Il est vrai que dans toutes les démocraties du monde, il existe quelques localités à qui l’on accorde quelques particularités. Aux Usa, en France, en Suisse, etc., il y en a. Par exemple, aux Usa, on peut trouver des réserves indiennes, avec certaines particularités légales. En France également, Monaco, une partie de l’Alsace et la Corse se démarquent parfois de l’ensemble français. Ainsi, on peut croire que Touba, avec un statut spécifique, ne peut déranger en rien son ancrage dans le pays. Mais là où cela pose problème, c’est au niveau de la manière. Tout le monde a peur de Touba, mais pourquoi ? C’est des êtres humains, il ne faut pas l’oublier !

Comme le dit encore une fois Marcel A. Boisard, l’islam est «une religion sans prêtre, créant une communauté sociale et politique dont le chef tire son pouvoir de la foi, sans être une autorité religieuse», puisque la seule autorité est Dieu, et lui seul. Tout le reste est sur un pied d’égalité, la seule différence résidant sur le degré de piété et non de parenté, de filiation ou de quoi que ce soit. Combien de fois faudrait-il le répéter aux Sénégalais et surtout à ces individus qui s’agglutinent derrière ces ma­rabouts dynastiques, qui ne sont en fait là que pour leur propre compte ?

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Voilà, je suis bien soulagé de m’être enfin décidé à dire ce que je retenais depuis longtemps… en attendant que quelqu’un le fasse !

 

Mamadou Moustapha WONE

Sociologue

SÉNÉGAL

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