Arthur Schopenhauer suggère qu’il existe trois types d’aristocratie : « l’aristocratie de la naissance et du rang », « l’aristocratie de l’argent » et « l’aristocratie de l’esprit ». Mais il s’empresse de préciser que celle-ci est à ses yeux la plus distinguée, et qu’elle doit se faire admettre comme telle, pourvu cependant qu’on lui en reconnaisse le droit et la légitimité, et qu’on lui en laisse le temps nécessaire, en ce que celui-ci et la vie se confondent. Et pourtant, la vie, selon Aristote, est dans le mouvement. Ce qui peut vouloir dire que, à l’échelle de l’humanité et de son histoire, tout conservatisme est nécessairement un anachronisme.
Sous ce rapport, voudrait-on par exemple – au nom de quelque ordre préétabli, et sous le prétexte « généreux » que d’autres s’en chargeraient à notre place avec l’autorité et la sagesse « requises » – que nous confectionnions des paniers quand nous nous employons plutôt à penser et à écrire des livres pour la postérité, que déjà nous arborerions l’étendard de la révolte-par-excellence.
Qui plus est, notre révolte serait d’autant plus virulente ou violente, qu’un tel diktat nous serait imposé en l’occurrence par les ‘‘aristocrates de l’argent mal acquis’’.
Quoi qu’il en soit, nous pouvons affirmer, sans le moindre risque de nous tromper, que les conservateurs les plus invétérés de tout bord, y compris donc les conservateurs d’obédience religieuse, ont toujours, sinon généralement, un faible immodéré pour « l’aristocratie de la naissance et du rang », autant d’ailleurs que pour « l’aristocratie de l’argent ».
Venons-en maintenant à l’objet même de notre réflexion. Et c’est pour, d’emblée, nous interroger comme suit : la pléthore de partis politiques au Sénégal est-elle un problème en soi ou bien uniquement pour ceux qui en font un problème, et à dessein ?
Faudrait-il noter, à propos, pour devoir peut-être y perdre notre latin, ou notre sommeil, que si de nos jours nous concevions qu’il y a trop de partis politiques au Sénégal, la même logique voudrait que nous nous organisions d’ores-et-déjà pour accepter que demain d’aucuns puissent affirmer qu’il y a trop de religions dans notre pays. D’autant que dans l’imaginaire de certains parmi nos contemporains, si ultra minoritaires soient-ils, plus d’une religion au Sénégal, c’est déjà trop.
A la vérité, le nombre pléthorique de partis politiques au Sénégal n’est un problème que pour « l’aristocratie de la naissance et du rang », « l’aristocratie de l’argent » et leurs souteneurs ; lesquels se découvrent, soudain, menacés par « l’aristocratie (montante) de l’esprit ».
Or, un parti politique est une association de personnes réunies par une communauté d’idées, d’opinions ou d’intérêts. Comme tel, il entend mener une action collective dans la société, aux fins de réaliser un programme politique au bénéfice de tous et de chacun. Et, de par son essence, comme du point de vue de sa finalité, tout parti politique doit reposer sur le principe de la liberté en tant qu’égale pour tous, pour être la même pour tous. Ce qui signifie et justifie que seul l’intérêt commun pour l’ordre public et la sécurité peut limiter ou contrarier la liberté de fonder un parti politique.
Le parti politique ne saurait donc être perçu comme un regroupement ad hoc de coquins, ni la coalition de partis politiques appréhendée comme la réunion des opportunismes les plus avilissants, qui une fois au pouvoir passeraient leur temps à brûler leur énergie, dans la seule dynamique de partage du « gâteau » ; entendu que moins il y a de partis, plus grandes seraient les parts du « gâteau », et ce dans le contexte apparent de la démocratie, en l’occurrence sénégalaise.
Au demeurant, dans son acception usuelle, la démocratie se veut le gouvernement du peuple par le peuple, fût-ce par délégation, tandis que les partis politiques en sont ses acteurs/animateurs principaux. Mieux, les partis politiques sont des acteurs/animateurs nécessaires en démocratie, en ce qu’ils ne peuvent pas ne pas être en démocratie. Et nul n’est jamais fondé à limiter leur nombre au nom de la démocratie.
Or, celle-ci a un prix (politique) et un coût (matériel et financier). Et il vaut mieux qu’une partie de l’argent du contribuable supplée au coût matériel et financier de la démocratie au lieu qu’il soit indûment utilisé, quoique par le biais légal des fonds dits politiques, notamment pour payer gracieusement certaines clientèles politiques et autres establishments politico-affairistes.
En cela, l’idéal démocratique, au Sénégal, aurait certainement vocation à survivre et à transcender toutes les générations du pays.
Jean-Marie François Biagui
Président du Mouvement pour le Fédéralisme et la Démocratie Constitutionnels (MFDC-fédéraliste)
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