Au Sénégal la frontière qui sépare le spirituel et le temporel ou la politique et la religion n’est pas nette pour ne pas dire qu’elle est quasi inexistante. Cette situation n’aurait sans doute pas posé problème si dans l’article premier de la Constitution sénégalaise il n’avait pas été stipulé que: ‘’la République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale .’’
La laïcité conformément à son étymologie grecque ‘’Laïkos’’ signifie ‘’ce qui appartient au peuple.’’. D’un point de vue politique, la laïcité c’est un principe selon lequel l’État n’exerce aucun pouvoir religieux et que les religieux aucun pouvoir politique. À la lumière de ces éclairages conceptuels sur la notion de la laïcité force est de constater qu’au Sénégal la laïcité n’existe que de manière formelle , mais dans les faits on note une profonde collusion d’intérêts entre les autorités politiques et les autorités religieuses à tel point qu’ on a comme l’impression qu’il existe une sorte de ‘’contrat politico-religieux ‘’ du moins implicite ou tacite entre ses deux acteurs influents de la société sénégalaise. Cela se traduit par une sorte d’alliance pragmatique et quelque fois opportuniste où les autorités politiques financent les activités des autorités spirituelles et celles-ci à leur tour fournissent un ‘’grenier électoral’’ constitué de leurs disciples.
Ainsi du régime du Président Senghor à celui du Président Abdoulaye Wade en passant par celui du Président Abdou Diouf, les pouvoirs politiques ont toujours essayé de courtiser les grandes confréries religieuses dans le but de consolider leur légitimité ou de se maintenir au pouvoir. Lors de la crise politique de 1962, le Président Senghor avait réussi à remporter son duel politique contre le Présent du Conseil Mamadou Dia en se pliant aux exigences des autorités religieuses à force de compromission alors que son rival voulait se démarquer de la sphère religieuse pour tenter d’instaurer une rigueur administrative et une orthodoxie républicaine.
Lors des élections présidentielles de 1988 le Président Abdou Diouf avait bénéficié du ‘’ndiguel’’ ou consigne de vote du Khalife général des mourides d’alors pour engranger une grande partie de l’électorat mouride afin de rester au pouvoir.
C’est en 2000 avec l’arrivée du Président Abdoulaye Wade au pouvoir que la confusion entre la sphère du politique et du religieux fut quasi-totale au point qu’apparut le phénomène des marabouts-politiques. Le Président Wade à la différence de ses prédécesseurs ne se gênait pas de clamer haut et fort son appartenance confrérique et de poser des actes allant dans le sens de pervertir la République (la chose publique) tel que s’accroupir devant son marabout ou lui donner son allégeance publique au point de délester l’État sénégalais de son caractère laïc et démocratique du moins symboliquement .Ce qu’on reprochait au Président Wade , c’est le fait d’entretenir sciemment l’amalgame entre l’homme privé et ou ‘’le disciple Wade’’ et le Président de tous les sénégalais représentant la première institution républicaine du pays .Les agissements politiciens du Président Wade pour courtiser l’électorat mouride était si dommageables pour l’équilibre nationale qu’ils avaient fini par frustrer une bonne partie du corps national. Le Pr Ousseynou Kane dénonçant les dérives antirépublicaines du parti-pris wadien , avait écrit dans son article intitulé ‘’La République couchée’’ publié dans le journal’’ Wafadjiri’’ du 8 mai 2001 :
‘’ Laissons donc les hommes de Dieu en paix dans la cité de Dieu, et utilisons toute notre intelligence et nos forces pour construire ensemble cette cité des hommes pour laquelle nous sommes nés’’.
Cette relation entre le politique et le religieux n’aurait pas été problématique si les rôles de chacune des entités étaient clairement identifiés et si elles ne portaient pas préjudice à la vitalité démocratique, sociale, économique et la stabilité nationale. En réalité, certains hommes religieux conscients du bénéfice que leur confère leur poids électoral et de la dévotion sans faille de leurs disciples ne se contentent plus d’être de simples pourvoyeurs de voix, mais ils ont désormais franchi le Rubicon pour créer des mouvements de soutien ou des partis politiques se muant ainsi en ‘’marabouts-politiques’’ dans le but, le plus souvent , de s’attirer les faveurs du pouvoir en place ou de constituer un moyen de pression pour obtenir des privilèges et pour conserver leurs prébendes.
Le danger , c’est qu’on ne sait plus si ces ‘’marabouts-politiques’’ parlent au nom de la république comme des citoyens ou s’ils s’activent en tant que chefs religieux investis d’une mission divine celle de mener les hommes vers le salut. Pour cause lorsque le candidat Macky Sall lors de la campagne électorale pour les présidentielles de 2011 avait qualifié les marabouts de ‘’citoyens ordinaires’’ on avait assisté à une véritable levée de bouclier de ses adversaires politiques et surtout de certaines autorités religieuses.
Par la suite le Candidat Macky Sall devenu Président de la République ne semble plus considérer les chefs religieux comme de simples citoyens ; au contraire il semble de plus en plus suivre les pas de Wade en nouant des alliances de circonstances avec eux. Pourtant ces chefs religieux en descendant dans l’arène politique s’attendent à bénéficier d’un traitement de faveurs et être caressés dans le sens du poils ,alors qu’ils devraient se dépouiller de leurs manteaux de religieux pour ne pas fausser le jeu politique fait de contradictions ,de débats d’idées ,de forces des arguments, de pertinence des offres programmatiques . Ce qui est d’autant plus inquiétant c’est que riches de leur aura religieuse et marqués par leur habitude d’être obéis par des disciples zélés , ces hommes religieux politiciens n’acceptent guère la critique et font montre d’une autoritarisme inapproprié sur le terrain démocratique voire d’une arrogance dans les débats politiques au point d’insulter ou d’humilier leurs adversaires politiques .Or, dans une démocratie aucun citoyen n’a le droit d’empêcher son prochain de dire ce qu’il pense au risque d’attenter à la liberté d’expression. C’est d’ailleurs dans ce sens que Julien Freund faisait remarquer dans L’essence du Politique que:
’’la limite de l’obéissance est la liberté de conscience’’.
Il est important dans une société qui se veut démocratique et laïque que le pouvoir politique évite d’instrumentaliser la religion pour des fins électoralistes, de prendre parti pour tel ou tel groupe religieux ou autre afin de rester à équidistance des différentes sensibilités religieuses pour jouer pleinement son rôle d’arbitre. Il doit par conséquent se charger de veiller aux modalités d’expression de la pratique religieuse dans le souci de préserver l’ordre et la quiétude au sein de la République et surtout pour pallier à toutes formes de conflits ,de fanatisme ou d’extrémisme.
Il faut surtout noter que la laïcité n’est ni la négation de l’expression religieuse ni le mépris de la religion, elle doit être comprise comme un principe républicain permettant à toutes les tendances religieuses de cohabiter en toute harmonie dans un espace commun délimité par la loi et le droit. En vérité, les religieux font partie de la République, ils sont des citoyens à part entière jouissant de droits et de devoirs , même s’ils ont un statut spécifique que leur procure leurs dimensions spirituelles, ils doivent faire preuve de discernement et ne pas bafouer les lois de la république lesquelles contribuent à garantir leurs libertés religieuses , les libertés des autres membres du corps social et la paix civile. Mamadou Abdoulaye N’diaye et Alpha Amadou Sy ne s’étaient pas trompés lorsqu’ils soutenaient dans leur ouvrage intitulé Les conquêtes de la citoyenneté que :
’’ La laïcité ne témoigne pas d’une vacuité du religieux dans le discours, elle est surtout le refus de soumettre la pensée à toute forme d’autorité.’’.
Ciré AW
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