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Une Cour Constitutionnelle Moderne Au Sénégal : Une Urgence

Une Cour Constitutionnelle Moderne Au Sénégal : Une Urgence

Ce texte se donne pour objectif d’analyser quelques éléments clés de la pratique du Conseil constitutionnel, dans le but de justifier l’urgence de sa transformation en une juridiction constitutionnelle moderne. La modernité désigne sa conformité avec les exigences démocratiques du peuple sénégalais.

Les trois décisions et avis du Conseil constitutionnel qui ont eu le plus grand retentissement auprès du public ont aussi illustré le gouffre qui sépare le Conseil constitutionnel sénégalais de ce que devrait être une juridiction constitutionnelle dans une démocratie digne de ce nom.

Lorsqu’il s’agit de se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi, votée ou à l’état de projet, la tâche du Conseil constitutionnel est de vérifier la non contrariété du texte qui lui est soumis avec l’esprit et la lettre de la Constitution. Or, il se trouve que le Conseil constitutionnel s’est trouvé, à trois moments marquants de l’histoire de la démocratie sénégalaise, en faute. Sa pratique est d’un autre âge et sa jurisprudence dangereuse, d’où la nécessité d’y mettre un terme sans attendre.

I – Une pratique du Conseil constitutionnel obsolète

1.1 – Décision du 27 avril 2007 : « Le juge a-t-il intégralement lu la « nouvelle Constitution sénégalaise » ?» (sic !)

Le 27 avril 2007, le Conseil constitutionnel se prononce sur la constitutionnalité d’une loi mettant en œuvre l’article 9 du Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique (le Protocole de Maputo, ratifié en 2004 par l’Etat du Sénégal et intégré à sa constitution). L’article pose le principe de l’obligation de parité à tous les échelons du processus électoral. Recopiant une décision française vieille de 25 ans et hostile à la parité, les juges du Conseil passent à côté de l’obligation de l’Etat du Sénégal d’harmoniser sa législation avec les conventions qu’il a légalement signées et ratifiées. En effet, par sa Décision N° 97/2007 – Affaire N° 1/C/2007, le Conseil constitutionnel sénégalais déclare non conforme à la Constitution la loi n° 23/2007 du 27 mars 2007 modifiant l’article L 146 du Code électoral qui institue la parité dans la liste des candidats au scrutin de représentation proportionnelle pour les élections législatives.

La décision est rendue en totale méconnaissance des conventions sur les droits des femmes intégrées à la Constitution sénégalaise. Il suffit de lire le Préambule de la Constitution pour savoir que le Protocole de Maputo tout comme la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes / CEDEF) font partie intégrante de la Constitution. Des juristes dénoncent aussitôt cette incroyable, inacceptable lacune de la part de juges constitutionnels ii. La question suivante est même posée : « Le juge a-t-il intégralement lu la « nouvelle Constitution sénégalaise » ?» (sic !)iii.

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1.2 – Affaire N° /E/2012 : Le Conseil constitutionnel étudie-t-il la doctrine ?

Le problème de la prise de décisions inadaptées aux exigences de la Constitution, de l’Etat de droit et de la démocratie se repose, en 2012, avec la question de la constitutionnalité de la candidature du Président sortant à un troisième mandat. La décision du Conseil constitutionnel du 27 janvier 2012 Affaire N° /E/2012 valide cette candidature en dépit de l’opposition unanime de la doctrine iv.

La lecture des travaux de la doctrine peut être rébarbative aux non juristes mais, elle est une obligation pour les juristes, y compris celles et ceux qui exercent leur art dans les cours et tribunaux. C’est grâce à cela que les théoriciens et théoriciennes du droit participent à l’amélioration constante de la pratique du droit. De fait, en s’enfermant dans leur tour d’ivoire, les «cinq sages » s’exposent constamment à la remise en cause de leur capacité à correctement interpréter les dispositions de la Constitution.

Commentant la décision du 17 janvier 2012, un juriste s’interroge ainsi : « Et si les cinq sages ignoraient les règles de base du Droit ? »v . Il est vrai qu’ils ont commis une confusion totale, pourtant signalée par des juristes civilistes vi, entre les différents principes de résolution du conflit de lois dans le temps. Ces principes sont : la non-rétroactivité de la loi nouvelle, l’effet immédiat de la loi nouvelle et la survie de la loi ancienne en matière contractuelle. Sans la confusion opérée par le Conseil entre effet immédiat et rétroactivité, le mandat en cours ne pouvait échapper à la disposition limitant les mandats consécutifs à deux. Un juriste pose alors, avec justesse, l’accusation suivante : « La décision du Conseil Constitutionnel sénégalais de valider la candidature du Président de la République est une hérésie juridique. (…) Le Droit a été trahi et mal interprété. »vii

1.3 – Avis du 12 février 2016 : Le Conseil constitutionnel doit-il persister dans ses erreurs ?

Dans l’avis du 12 février 2016viii, les « cinq sages » invoquent le souci de sécurité juridique et de stabilité des institutions, puis la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour poser un principe constitutionnel d’interdiction de l’application aux mandats en cours des révisions constitutionnelles portant sur les mandats présidentiels. D’abord, le Conseil écrit : « Pour la sauvegarde de la sécurité juridique et la préservation de la stabilité des institutions, le droit applicable à une situation doit être connu au moment où celle-ci prend naissance. » C’est effectivement ce souci de sécurité qui, mis en balance avec le progrès que constitue la loi nouvelle – les réformes étant supposées apporter du mieux par rapport à ce qui est abrogé – explique, d’un côté, le principe de la non-rétroactivité de la loi nouvelle et, de l’autre, le principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle. Le premier principe empêche la loi nouvelle de retourner dans le passé pour défaire ce qui a été légalement créé, en l’espèce l’élection du Président de la République. Avec le second principe, il s’agit de permettre aux effets bénéfiques de la réforme de s’appliquer sans attendre aux situations en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.

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Ainsi, la combinaison de ces deux principes signifie que le Président demeure valablement élu (non rétroactivité), même si la durée de son mandat est réduite (effet immédiat). En imposant le maintien de la durée initiale du mandat en cours en application d’une loi abrogée, le Conseil met en œuvre la survie de la loi ancienne, un principe qui ne concerne que la matière contractuelle. Ce qu’il y a de saisissant, au-delà de la confusion des principes en cause, c’est que les « cinq sages » semblent oublier que les principes de solution du conflit de lois dans le temps ne s’imposent pas au législateur. Ils n’ont pas une valeur constitutionnelle. La seule exception est l’interdiction de la rétroactivité des lois en matière pénale. Hormis ce cas, le législateur est libre de régler par des dispositions transitoires les conflits de lois dans le temps.

Pour mettre de côté ces règles de droit, le Conseil se réfugie derrière sa très contestable et contestée jurisprudence en matière de mandat présidentiel, en considérant que : « s’agissant des modalités d’application dans le temps des lois de révision ayant une incidence sur la durée du mandat en cours du Président de la République, [que] des précédents se sont succédés de manière constante depuis vingt-cinq ans ». C’est peut être le lieu de rappeler aux « cinq sages » l’adage suivant lequel « Errare humanum est perseverare diabolicum » (« L’erreur est humaine, persévérer est le diable »). De surcroît, la règle du précédent ne s’impose nullement dans le système judiciaire sénégalais ; les revirements de jurisprudence sont parfaitement valables et même attendus en maintes circonstances.

Toutefois, les « cinq sages » changent mais le Conseil constitutionnel demeure et, persiste dans des erreurs qui font craindre pour la stabilité politique et la vitalité démocratique du pays.

II – Une jurisprudence dangereuse pour le maintien de l’Etat de droit

La très inquiétante pratique et alarmante jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité a déjà coûté au Sénégal une brève période de révolte populaire et de dure répression policière. Avec l’avis qui vient d’être rendu, ce sont les piliers de l’Etat de droit et de la démocratie qui se trouvent en danger d’être détruits. Car, expliquer que l’engagement pris auprès de ses concitoyens et concitoyennes par le candidat à l’élection présidentielle puis renouvelé par le président élu, de réduire la durée de son propre mandat, ne peut être tenu pour cause d’incompatibilité avec le respect de l’Etat de droit et de la Constitution revient à opposer la Charte fondamentale aux valeurs de droiture et d’honnêteté. Il est grave que ce soit le Conseil constitutionnel qui soumette un tel choix aux citoyens et citoyennes d’un pays où, l’éducation africaine prône l’attachement à la qualité valorisante de « gor » (terme wolof désignant l’être humain libre et responsable de ses actes, responsable car libre de ses choix !). Il faut alors le dire haut et clair, ce ne sont pas les principes constitutionnels et encore moins l’Etat de droit qui valident le « dédit » (« wax waxeet ») au sommet de l’exécutif mais, le Conseil constitutionnel !

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En conséquence, Il est indispensable et d’une urgence absolue de doter le Sénégal d’une cour constitutionnelle répondant aux standards d’une démocratie moderne, c’est-à-dire participative, inclusive, respectueuse des droits fondamentaux de la personne humaine.

III – Les éléments clés d’une Cour Constitutionnelle moderne

Le premier impératif est l’adoption d’un mode de désignation des membres de la Cour garantissant, autant que faire se peut, son indépendance et son efficacité. Pour cela, quel qu’en soit le nombre, la majorité des membres d’une juridiction constitutionnelle doit être désignée par des organes indépendants du pouvoir politique. Compte tenu du rôle de premier ordre que jouent certaines organisations de la société civile dans la défense et la promotion de la démocratie, de l’Etat de droit et des droits fondamentaux de la personne humaine, il est indispensable qu’elles participent à la nomination des membres de la Cour.

D’autres améliorations sont possibles telles que rendre la procédure contradictoire et les audiences publiques, accepter les mémoires d’amicus curiaeix, autoriser la publication des opinions dissidentesx. Quoiqu’il en soit, maintenant que le pays va vers des compétitions électorales majeures, le véritable combat est la mise en place d’une juridiction constitutionnelle au-dessus de tout soupçon.

 

Fatou Kiné CAMARA

Docteure d’Etat en droit

Enseignante-Chercheure

Faculté des Sciences Juridiques et Politiques

Université Cheikh Anta Dop

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