Karim Wade n’est pas un ennemi, il est sénégalais déclaré coupable d’enrichissement illicite et n’est pas le seul à avoir profité de l’abject système d’accaparement des deniers publics. Contester la grâce qui lui est accordée au seul motif que d’autres croupissent encore pour des faits moins graves, c’est faire dans le populisme, c’est faire du nivellement gauchiste en comparant artificiellement des situations qui n’ont rien en commun. L’optimum de justice, amélioration du sort d’un individu sans détériorer celle des autres, commande en principe la décision de gracier un délinquant.
Tant qu’à faire, allons dire, à l’inverse, que toutes les personnes, quels que soient leurs niveaux de revenus doivent, par souci d’égalité, verser les mêmes montants en impôt. Combien d’actes de grâce sont pris chaque année au bénéfice de certains sans que l’argument comparatif ne soit targué en faveur d’autres qui restent incarcérés. De la même manière que nous comptons désespérément sur un messie pour nous délivrer, nous tenons, là aussi, à personnifier coûte que coûte les maux qui gangrènent l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics.
Si tant est que la condamnation demeure et que le recouvrement des biens déclarés illicites va continuer, cette grâce doit être considérée comme une possibilité offerte à Karim de vaquer librement à ses besoins. La vraie question est de savoir ce que son maintien ou non en prison changera dans la marche de l’État et dans la lutte contre les abus. Nada. Si l’élargissement de Karim Wade passe aux yeux de certains pour une demande sociale, c’est parce que ceux qui activent et incarnent la justice ne sont pas à la hauteur des attentes d’irréprochabilité. Macky Sall et la plupart de ses partisans ne se distinguent en rien du fautif désigné. Ils sont aussi du sérail et ont profité des mêmes folies et failles du système qui gratifient et ravitaillent l’élite politique.
Toute la confusion, toutes les hésitations, toute la résistance d’une partie de l’opinion contre la CREI et ses décisions d’autorité viennent du fait que les justiciers en chef sont tout aussi punissables et conservent encore les mêmes reflexes d’excès et d’escroquerie. Tant que le système se perpétuera par la mise à mort programmée de simples individus, le système politique oppressif s’en trouvera épargné tellement nos énergies et nos intelligences seront mobilisées pour éliminer des hommes et femmes qui nous ressemblent tant. À chaque fois que nous nous passionnerons et nous défoulerons par de vains acharnements sur des insignifiants éléments du grand système de prédation comme Karim Wade, jusqu’à les assommer, d’autres surgiront encore plus forts d’un cynisme toujours plus grand.
Cette logique de vengeance et de confrontation qui sous-tend l’initiative de la traque ne tient pas la route. En lieu et place d’un renouveau, la culture organisationnelle d’accaparement survit aux promesses renouvelées et tout aussi mensongères de rupture. Il ne peut pas en être autrement. Comment comprendre que Macky Sall, tout aussi responsable en grande partie du bilan des décadents, soit élu malgré tout ? Quid de ceux qui, aujourd’hui dans l’opposition hâbleuse ont tout le mal du monde à justifier raisonnablement leur fortune et le leur train de vie ?
« Lorsque la peine est sans mesure, on est souvent obligé de lui préférer l’impunité », a dit Charles de Montesquieu.
La force maligne du statu quo est de toujours inventer un bouc émissaire et de remettre une couche magique et envoutante qui nous impose appel et recours à un commis de l’establishment.
Birame waltako Ndiaye
waltacko@gmail.com
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