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Libération De Karim Wade : Macky Pouvait-il Faire Autrement Que Ses Prédécesseurs?

Les Sénégalais n’ont jamais été autant divisés sur un dossier judiciaire que celui concernant l’incarcération et la libération de Karim Wade. Les raisons d’une telle situation découlent des conséquences de notre manière d’être, de penser et d’agir qui s’est emparée de ce dossier : i) ; la perception plus ou moins confuse que beaucoup de Sénégalais ont eu de la culpabilité de Karim Wade, entretenue surtout par l’utilisation de la loi sur l’enrichissement illicite, dont la compétence sur ce dossier a été contestée ; ii) le comportement versatile des Sénégalais qui savent bien exceller dans l’art de vouloir une chose et son contraire ; iii) ; le poids des pesanteurs sociales dans nos processus de prise de décision, particulièrement sur la gestion des affaires publiques. Tout ceci dénotant de la complexité de notre pays.

En effet, les Sénégalais en avaient assez de voir les maigres deniers de l’Etat dilapidés, voire détournés, pour servir les intérêts particuliers de certains hommes politiques ou de personnes dépositaires de responsabilités publiques, depuis les premières années de l’indépendance à nos jours. Aussi souhaitaient-ils, dès la première opportunité, voir ces pratiques déviationnistes combattues et jugulées le plus rapidement possible, au grand bonheur des populations orphelines de bonnes politiques sociales.

Après une première tentative de restaurer l’orthodoxie dans la gestion des finances, avec à la clé l’arrestation de quelques fonctionnaires soupçonnés d’avoir commis des détournements de deniers publics, par le biais de la création de la très polémique loi sur l’enrichissement illicite (Crei), sous le magistère du Président Diouf, les Sénégalais virent leur espoir déçu avec la suspension des poursuites. Depuis, ils en sont réduits à observer, impuissant, ces pratiques déviationnistes continuer de plus belle. Avec l’avènement de la première alternance, après une petite lueur d’espoir qui vit l’arrestation et l’envoi en prison de quelques lampistes, inféodés au régime déchu, les Sénégalais ont vécu une seconde et grande déception et se sont résolus à subir ces mêmes travers, en attendant des lendemains meil­leurs.

Fortement attendue, la seconde alternance n’a pas échappé à ce qui semble être la règle et non l’exception. En effet, les attentes relatives à l’éradication de ce fléau, qui appauvrit et précarise davantage les populations, furent pour la énième fois déçues. Des attentes si fortes qui trouvent leur fondement dans la foi en Dieu et la confiance exprimée dans les urnes en 2012, pour asseoir une seconde alternance.

La libération de Karim Wade, telle que décidée par le président de la République, usant de ses prérogatives constitutionnelles, vient sonner comme un enterrement de la loi portant création de la Crei. Avec cette décision du chef de l’Etat, il demeure certain dans l’entendement des Séné­galais, que la fin des poursuites est quasiment décrétée, apportant ainsi un bol d’air à ceux-là dont la délinquance notoire a été moult fois décriée par les organes de contrôle et vérification financiers de l’Etat. Cet état de fait est perçu par les populations comme la troisième grande désillusion, malgré quelques déclarations dont les auteurs tentent de convaincre quant à la détermination du régime actuel à aller jusqu’au bout de la traque contre les malfaiteurs.

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En considération du rappel historique ci-dessus, les Séné­galais peuvent se poser deux questions majeures qui résultent du traitement par lequel la Crei pourrait être extirpée de l’ordre juridictionnel.

  • Existe-t-il un seul Sénégalais capable d’agir autrement que Macky Sall et ses prédécesseurs sur la finalité de la Crei ?
  • Existe-t-il des mécanismes qui préserveraient nos deniers des détournements et de la dilapidation ?

En effet, mesurant les attentes sociales des Sénégalais qui ne sauraient être satisfaites sans une utilisation rationnelle et judicieuse des finances publi­ques, le Président Macky Sall a cru détenir les moyens d’y parvenir avec l’instauration d’une culture de reddition des comptes et de sanction. Ce qui est souhaitable et demeure même une condition sine qua non pour faire émerger un pays. Mais c’était sans compter avec les innombrables pressions, intérieures comme extérieures et les différentes condamnations (Organi­sations des droits de l’Homme, Groupe consultatif de l’Onu). Il s’y ajoute également la complexité du pays et son caractère empathique (celui du Président), qui met directement en conflit sa fermeté et son empathie. En atteste l’intérêt qu’il porte à la mise en œuvre des politiques sociales comme la Couverture maladie universelle (Cmu), les Bourses familiales, et tout dernièrement, la réforme annoncée sur les retraites. Cette complexité corrélée à la nécessité d’institutionnaliser le dialogue, apparaît pour les tenants du pouvoir, comme une raison majeure pouvant justifier une décision du président de la République de libérer Karim Wade et, au-delà, arrêter les poursuites engagées dans ce cadre. Au regard de la complexité de notre pays et de la nécessité d’instaurer un dialogue permanent, n’importe-t-il pas de préserver notre pays de ces situations d’imbroglios politico-judiciaires, en usant de nos mécanismes de sauvegarde des ressources basés sur le triptyque : suivi, évaluation et contrôle des budgets alloués aux structures décentralisées de l’Etat, plutôt que d’effectuer des contrôles ex-post ?

Le Sénégal, un pays complexe, difficile à diriger

En effet, c’est un secret de polichinelle que de dire que tous les foyers religieux de notre pays ont intercédé pour la libération de Monsieur Karim Wade. Si ce n’est publiquement qu’elle est sollicitée comme l’a fait le porte-parole du Khalife général des Tidjanes, c’est à travers des manifestations telles que l’organisation de réceptions (notre­ berndel national) qui sont synonymes de messages à décoder. A cela est venu s’ajouter le comportement versatile des Séné­galais qui, à l’origine de cette arrestation, n’ont pu résister à la tentation de la compassion pour réclamer la libération de Karim. Dans un tel contexte, comment un homme, fut-il le Président de tous les Sénégalais, investi d’une mission qu’il accomplit avec et pour eux, peut-il rester sourd à tous ces appels ? Le miracle serait de savoir comment il a pu résister tout ce temps, pour attendre d’avoir cette opportunité que lui offre la loi, pour accéder à une telle demande. Sous ce registre, il a été rapporté à l’époque que la volonté du Président Diouf d’appliquer avec toute sa rigueur et sans complaisance, la loi sur l’enrichissement illicite dont il est le père, a été freinée suite une insistance de ses proches tendant à le dissuader de continuer les poursuites, sous prétexte que des parents pourraient tomber sous le coup de cette loi.

Tout ceci témoigne de la complexité de notre pays, dont nous ne cernons peut- être pas, toute la profondeur et tous les contours. C’est tout cela le Sénégal, un pays où on ne fait jamais rien comme les autres.

Dialogue social sans libérer Karim Wade ?

La solution d’un problème dépend d’une bonne identification des causes. N’est-ce pas que c’est la traque de biens mal acquis et le traitement discriminatoire qui sont, selon la principale force de l’opposition (le Pds), à l’origine de la distanciation entre le pouvoir et l’opposition. N’est-ce pas que c’est cette même opposition qui qualifiait le Président d’homme autocratique au point de refuser le dialogue et fouler au pied ses droits ? Objectivement, au-delà des calculs politiciens et considérations partisanes, il faut admettre (c’est une évidence) qu’un dialogue sérieux et sincère tourné exclusivement vers les intérêts du Peuple, ne peut se tenir sans la libération du présumé candidat à la future élection présidentielle du premier parti de l’opposition. D’ailleurs, l’attitude de la Ld et du Pit, est difficilement compréhensible car les occasions de les voir sauter au plafond ont été nombreuses.

Le fait que Karim Wade soit le seul, sur une liste de 25 personnes ciblées, à croupir en prison depuis trois ans est une situation qui n’a pas manqué d’indigner plus d’un Sénégalais. Les alliés qui se voient comme les gardiens du temple de gauche, ne pouvaient-ils pas se saisir cet état de fait, pour manifester l’attitude qu’ils ont aujourd’hui ? A moins que ce ne soit un calcul politicien pour ne pas être sacrifiés à l’autel des retrouvailles ou recomposition libérales, à travers ce dialogue et une libération de Karim, leur comportement vis-à-vis de l’allié Macky Sall ne peut se justifier. Le réalisme politique leur aurait dicté de se garder d’avoir une telle attitude car on verrait mal Macky Sall troquer le poids politique des foyers religieux avec le leur. Ce qui semble être le cas au regard du mutisme qui s’est emparé d’eux depuis lors.

Pour l’instauration de mécanismes de suivi, évaluation et contrôle des budgets alloués aux structures décentralisées de l’Etat.

A priori, les rôles et missions de nos corps de contrôle sont moins d’arrêter des fautifs que de les dissuader des tentatives de détournements des fonds pu­blics. Sous ce rapport, au-delà du renforcement des corps de contrôle, il faudrait mettre en place des mécanismes d’élaboration de budgets à partir d’expression de besoins dûment justifiés, de suivi, d’évaluation, de contrôle et de correction en cas d’écarts constatés, plutôt que d’un contrôle a posteriori. Ne faudrait-il pas, dans le cadre de ce renforcement, faire appel aux cabinets d’audit privés. L’enjeu n’en vaudrait-il pas la chandelle ? Les résultats obtenus dans la gestion de l’argent dans le secteur privé prouve à suffisance qu’il s’agit moins d’un problème de Sénégalais dans ses rapports avec l’argent que celui de méthodologie dans la démarche de contrôle et d’absence de culture de sanction. Il n’existe pas deux types de Sénégalais : un pour le privé et un autre pour le public. Bienvenue à la Gestion axée sur les résultats (Gar) qui vise à instaurer les mêmes mécanismes de gestion des budgets que ceux du privé ; mécanismes qui devraient être mis en œuvre en 2017 par le Gouvernement.

Malgré la complexité du pays et la nécessité de l’instauration d’un dialogue national permanent, le président de la Répu­blique ne peut en aucun cas se soustraire de ses responsabilités relativement aux missions qui lui sont confiées par le Peuple sénégalais. Tout comme les Sénégalais devraient être conséquents avec eux-mêmes. L’ap­pro­fondissement de la démocratie ne saurait être de la seule responsabilité du chef de l’Etat, mais de tous les Sénégalais.

 

Mamadou FAYE

Grand-Yoff

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