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Penser Les Enfants Des Rues !

Le Gouvernement du Sénégal a donné feu vert au Ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance à travers sa Direction des Droits et de la Protection de l’Enfance et des Groupes Vulnérables (DDPEGV) pour commencer le « retrait » des enfants de la rue. Je salue cette initiative car cette situation qui concerne près de 30 000 enfants – rien qu’à Dakar – n’a que trop duré. Cependant, je voudrais partager mon expérience en tant que psychologue à l’écoute de ces enfants des rues rencontrés, aussi bien en rue que dans différents centres d’hébergements.

Je voudrais commencer par lever une équivoque, une confusion courante; les talibés ne sont pas des enfants de la rue mais des enfants dans la rue, on pourrait dire que la rue est “le lieu de travail “ des talibés alors qu’ils sont censés être dans les écoles coraniques et sous tutelle d’un enseignant. Ils sont exploités (certains doivent apporter jusqu’à 1000 fcfa/jour) et réduits à des sujets de torture. Bien souvent, ils viennent se réfugier dans la rue, de façon plus ou moins transitoire, quand ils n’en peuvent plus de prendre des coups, d’être enchaînés ou alors d’être enfermés dans des prisons au sein des daaras.

Les enfants de la rue recouvrent plusieurs situations et les professionnels les distinguent en fonction de leur temps de présence dans la rue et des causes qui expliquent celles-ci. Selon une étude réalisée en 2012 par des chercheurs sénégalais, près de 95% des enfants sont dans la rue pour cause de maltraitance et contrairement à une idée répandue, les enfants qui viennent de la sous région représentent un faible pourcentage des enfants des rues. Ces enfants sont bien les nôtres, ils viennent de Dakar, de Thiès, de Kaffrine, de Kaolack, de Kolda, de Touba … de tout le Sénégal.

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Les enfants à la rue ce sont ces enfants, filles et garçons, accompagnés de leurs parents, que l’on croise à chaque carrefour. La rue est le lieu de vie de toute la famille et certains sont même parfois scolarisés. Les enfants de la rue, ce sont tous ces adolescents et jeunes adultes, des garçons principalement, qui viennent se réfugier dans la rue parce que victimes d’une maltraitance physique et/ou verbale et des pires sévices, soit dans les daaras soit dans la famille. Se réfugier veut dire vivre jour et nuit dans la rue exclusivement, aux abords d’endroits stratégiques qui leur permettent d’avoir de quoi manger et une facilité de circulation. Et là, ils entrent dans un processus de « suradaptation » parce que pour vivre dans un tel chaos, il faut vite grandir et recourir à des techniques de survie très coûteuses. La « suradaption » est une exigence de survie, un moyen de défense.

Ces enfants vivent dans une grande exclusion, souvent en bande, ils s’adonnent aux petits commerces ou aux petits larcins pour vivre. Ils sont dans une logique de survie, marginalisés par une société qui les exclut et qui les prive de leurs droits fondamentaux : accès à l’éducation, aux soins, de l’amour des parents, et un foyer stable. Quand on leur prête attention, on peut entendre leurs souffrances, on peut encore voir les traces des coups reçus sur leur corps et les conséquences de ceux-ci sur leur façon d’être. Ces enfants sont le syndrome d’une société qui ne donne pas assez de place, ni assez de voix aux jeunes. Ils sont surtout victimes d’une certaine façon d’être parents.

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La prise en charge de ces enfants est souvent très difficile car ils n’ont plus confiance dans les adultes et une fois dans la rue, les verrous sautent, ils expérimentent la liberté dont on les a tant privés, ils flirtent avec les limites et se guinzent au diluant pour supporter les angoisses de la vie en rue.

Modou est un jeune adolescent de 12 ans qui a l’air d’avoir 16 ans rencontré en rue et après plusieurs entretiens, il accepte de venir se ressourcer au Samu Social. Modou raconte une situation familiale chaotique, issu de parents divorcés, il a vécu avec son père qui s’est remarié mais la belle-mère ne supporte pas de voir Modou, elle va même jusqu’à le priver parfois, de repas. Modou se rebelle et commence par faire de petites fugues pour fuir l’ambiance familiale. Le père, lui, est souvent absent. Modou décide d’aller vivre chez sa mère mais là-bas aussi, on lui fait savoir qu’il n’est pas le bienvenu. Des jeunes comme Modou, nous en rencontrons tous les jours, des jeunes à peine sortis de l’enfance qui n’ont pas de place dans leur famille; c’est moins une place physique qu’une place symbolique dont il s’agit ici.

Issa est un jeune originaire de la région de Kaolack, envoyé dès l’âge de 6 ans par ses parents, dans un daara à St Louis. Issa a passé 7 ans dans ce daara entre mendicité et maltraitance quotidienne. Le marabout l’a une fois enfermé 6 mois dans une petite pièce, qui fait office de prison, parce qu’il avait tenté de fuir. Issa profite d’un voyage du marabout pour fuguer et venir à Dakar car s’il va chez ses parents, ils vont le renvoyer au daara car selon eux qui ne ne lui ont jamais rendu visite en 7 ans , “c’est comme ça qu’on apprend, la souffrance est passagère et tout le monde est passé par là, personne n’en meurt”. Une fois à Dakar, Issa dort dans la rue et quand on lui parle de rentrer en famille, il répond: “je ne veux plus rien savoir de ma famille, ils m’ont abandonné”.

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Ces tranches de vie montrent que les situations sont très complexes. Les intervenants mettent souvent des mois voire des années à accompagner ces enfants dans un processus de réinsertion. Pour ces enfants et jeunes qui ont fui la maltraitance, les liens avec la famille sont au cœur de leur rupture. Ils se heurtent souvent à des parents rigides, incapables d’entendre les appels à l’aide, à des parents maltraitants, pas porteurs et pas sécurisants.

Parler de retrait progressif, c’est nier la singularité de chaque enfant et ne pas entendre leurs appels à l’aide. Les enfants « retirés » de la rue seront ainsi mis dans un centre d’accueil avec une injonction servie aux parents de venir les récupérer sous peine de tomber sous le coup de la loi. Bien sûr que l’idéal est de ne plus voir les enfants se réfugier dans la rue mais pour y arriver, les vraies mesures consistent à s’attaquer aux causes qui conduisent ces enfants dans la rue comme la maltraitante éducative. Ce qu’il faut surtout, c’est offrir à ces jeunes des moyens d’hébergement alternatifs et des centres de formation opérationnels leur garantissant une bonne insertion socioprofessionnelle. Il faudrait aussi penser à un centre d’éducation ou de soutien à la parentalité !

 

Aminata Libain Mbengue

Psychologue Clinicienne au Samu Social Sénégal

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