«Gouverner, c’est prévoir.», disait Emile de Girardin. Cette assertion qui fait l’unanimité de tous nous pousse à nous interroger sur les pratiques de nos gouvernants et leur impact sociétal dans leur approche de résolution des crises que nous traversons en permanence.
«La personne humaine est sacrée. Elle est inviolable. L’Etat à l’obligation de la respecter et de la protéger». Telle est la mission fondamentale que la Constitution du 22 janvier 2001 modifiée par le référendum du 20 mars 2016 assigne, entre autres, à l’Etat du Sénégal. Au regard des dispositions de l’article 7 de la loi fondamentale, il apparaît clairement que toute l’action de l’Etat doit être centrée sur l’humain afin de garantir aux citoyens sénégalais la jouissance effective de leurs droits fondamentaux sur la base du sacro-saint principe de l’égalité devant la loi. Mais avec ce qui vient de se produire récemment à l’hôpital Aristide Le Dantec où l’unique machine de radiothérapie disponible dans tout le pays est à l’arrêt depuis plus d’un mois, suite à différents problèmes techniques récurrents, n’est-on pas en droit de s’interroger sur le respect de cette disposition fondamentale et de l’efficacité de l’action de l’autorité, en l’occurrence l’Etat, en matière de planification stratégique de la politique sanitaire du pays.
En effet, fonctionnelle depuis 1989, cette machine constituait un élément important du dispositif de traitement des malades atteints de cancer. Elle a survécu à plusieurs régimes politiques sans que les autorités sénégalaises ne sentent l’impérieuse nécessité de son renouvellement, encore mieux, de doter d’autres structures hospitalières de machines de radiothérapie de nouvelle génération en vue de garantir aux malades, le droit à l’accès aux services de santé, le droit à un traitement adéquat. C’est pourquoi, la mise à mort de cette machine longtemps à l’agonie a plongé dans le désarroi tout un peuple et plus grave encore, a fini d’hypothéquer l’ultime espoir de survie des milliers de nationaux et d’étrangers souffrant de cette horrible maladie. Ce qui est déplorable à tout point de vue, même si par ailleurs, les autorités sénégalaises ont annoncé qu’elles prendraient en charge le transfert des patients vers le Maroc ainsi que leurs soins sur place… Soit ! Face à une telle négligence, n’est-on pas tenté de dire qu’au Sénégal le pilotage à vue semble être érigé en mode de gouvernance. Tout porte à le croire au regard des nombreux faits similaires qui ne cessent d’émailler le parcours des différents gouvernements qui se sont succédé depuis l’indépendance. On peut citer notamment l’avarie de la conduite d’eau de la Sde (Société des Eaux) qui avait en son temps, profondément perturbé l’approvisionnement de la ville de Dakar et sa banlieue en eau pendant des semaines…les pénuries régulières de gaz des années passées. A cela s’ajoutent les tollés soulevés lors des déguerpissements multiples pour réaliser une route, construire un échangeur ou réaliser des ouvrages d’assainissement comme ceux de Mbour, de St Louis, de Louga… avec destruction de biens privés et dédommagements exorbitants à la clef… Comme si l’on ignorait qu’à partir d’une certaine densité, le système de fosses septiques devient désuet…
Hélas, au-delà de ces incidents qui peuvent être énigmatiques et qui constituent l’arbre qui cache la forêt, en observant de plus près les structures de nos Etats sous les tropiques, force est de constater que la planification est le parent pauvre de l’architecture de nos gouvernements. En effet, ce manque de vision et de distinction entre urgence et priorité, souvent source de cacophonie médiatique et de débats stériles, traduit tout simplement une planification inappropriée qui, à court ou long terme, ne peut qu’engendrer des résultats décevants donc en deçà des attentes des populations. Donc pour rendre efficace et efficiente l’action de l’Etat et répondre ainsi aux besoins et aux droits fondamentaux des populations, il apparaît nécessaire d’ériger la planification stratégique en mode permanent de gestion dans tous les secteurs d’activité, particulièrement dans des secteurs aussi stratégiques que la santé, l’emploi, l’éducation les approvisionnements en eau, énergie, intrants agricoles…
Au regard de la mission première de l’exécutif et de l’importance de l’objet de toute action politique visant le bien-être et l’épanouissement du Peuple, la planification devrait occuper une place plus importante ; être plus centrale car elle est transversale et surtout constituer le soubassement et le préalable à toute action. En effet, l’État doit placer la planification sous l’angle de la pertinence, de l’efficacité, de la durabilité et non plus sous un angle uniquement budgétaire et comptable. D’autre part, il y’a lieu de mettre en place un ministère du Plan devant conduire cette mission de planification et d’aide à la prise de décision stratégique pour rendre plus efficaces les actions de l’Etat. Certes, il existe au sein des départements ministériels qui s’acquittent aujourd’hui de ce travail domestique de planification (budgétaire), mais hélas, cela est loin d’être suffisant au regard des carences de personnel qualifié relevées dans les différents services étatiques et de la récurrence des nombreuses crises et pénuries qui secouent bon nombre de secteurs clé de la République. Donc pour plus de résultats probants, l’Etat doit également s’atteler au renforcement des capacités de son personnel à cet effet.
Un aspect primordial de la prospective pose également problème, à savoir, la maîtrise des chiffres et des effectifs pour quantifier les besoins présents et à venir. En effet, la prospective ou l’étude des diverses causalités en jeu, en vue de favoriser la prise en compte de l’avenir dans les décisions du présent, requiert l’existence de données sûres et fiables tirées de l’analyse minutieuse du contexte politique, économique, social et environnemental sujet à l’étude. La prospective doit être un outil au service de la gouvernance pour renforcer les dispositifs de prévention et de gestion des risques et de la sécurité. Sa fonction première est de synthétiser les risques et d’offrir des visions (des scénarii) temporelles en tant qu’aide à la décision stratégique et d’en affecter des ressources sur une longue durée. Elle acquiert ainsi une double fonction de réduction des incertitudes (et donc éventuellement de certaines angoisses) face à l’avenir, et de priorisation ou légitimation des actions à mettre en œuvre pour atteindre ses objectifs. La vérité est que les statistiques sont un enjeu certes de communication politique mais la responsabilité de l’Etat pour les générations futures devrait obliger les gouvernants à une gestion plus objective donc moins politique des structures comme l’Agence nationale des statistiques et de la démographie (Ansd).
Il apparaît dès lors nécessaire de mettre ce type d’organe sous la tutelle de la Primature et non du ministère des Finances, car plus globalisante, et surtout confier l’opérationnalisation du traitement des informations sous la conduite de l’enseignement supérieur (universités) pour améliorer leur crédibilité, s’assurer de leur véracité et garantir l’objectivité pour rendre l’action de l’Etat plus efficace et proche des préoccupations des populations.
Babacar BA
Président Alternatives citoyennes
babacarba200@gmail.com