Tant de personnes vous diront, avec détachement, qu’elles ont eues le paludisme à plusieurs reprises comme s’il s’agissait d’une grippe bénigne. Tant de personnes vous diront que leur quartier est infesté de moustiques, mais ne prendront aucune initiative pour protéger leurs familles. Tant de personnes ont certes survécu, mais ma fille Ami ainsi que les milliers de vies emportées, chaque année, par le paludisme en ont fait les frais. Ami a succombé à la maladie après 3 jours de fièvre et de convulsions. Un sac de pommes à la main, son fruit préféré qu’elle m’avait demandé de lui rapporter de Dakar lors de notre dernière conversation, j’écoutais silencieusement les circonstances de sa mort.
A l’époque, je travaillais à Dakar, car la capitale offrait de meilleures opportunités d’emplois pour subvenir aux besoins de ma famille. Je retournais certains week-ends au village voir ma famille. Cependant, ce vendredi de septembre 1999 était particulier : je rentrais enterrer ma petite fille. En 1999, les habitants de Thiénaba, une communauté rurale au Sénégal, en savaient peu sur le paludisme, même s’il était la cause de 40 % des décès dans notre communauté. La maladie faisait des ravages parmi nos enfants et femmes enceintes. J’étais très proche d’Ami et j’ai décidé de transformer ma douleur en un combat de vie. J’ai vendu tout mon équipement de photographe, démissionné de mon travail après 14 ans de service au sein d’une organisation internationale et me suis attelé à la tâche.
Responsabiliser et être à l’écoute des communautés sont des moyens efficaces de riposte contre le paludisme. L’approche communautaire m’a permis non seulement de comprendre leurs besoins et défis mais aussi d’éviter de reproduire vainement des méthodes propres à d’autres contextes. A la suite d’une rencontre organisée avec des techniciens de santé qui ont sensibilisé toute notre communauté sur les modes de transmission, les mesures à prendre et les traitements disponibles, j’ai développé des stratégies d’éradication spécifiques à Thiénaba. Les techniciens de santé avaient particulièrement insisté sur le maintien de l’hygiène de notre environnement. Un comité de salubrité, dirigé par les femmes, a été ainsi mis en place pour nettoyer les villages deux fois par semaine. De plus, nous effectuons un « set-setal » (grand ménage en wolof, une langue locale) tous les mois de septembre pour éliminer les eaux stagnantes et autres facteurs propices à la propagation du vecteur.
Le paludisme compromet le cursus scolaire de nos enfants. Ami était une élève brillante et nous a quittés 10 jours avant la rentrée des classes. Cette maladie est responsable du taux élevé d’absentéisme scolaire, met en péril l’avenir professionnel des enfants et nous enferme dans un cercle vicieux de pauvreté. L’adage « il faut tout un village » résume parfaitement notre crédo. Nous ne viendrons à bout du paludisme que si nous devenons tous des agents de changement. A Thiénaba, les membres du club « Faire reculer le paludisme » (Frp) s’assurent que tous les écoliers dorment sous moustiquaire durant l’hivernage.
De plus, chaque habitant veille à ce que son voisin dispose de moustiquaires et reporte tout symptôme. Cette technique a eu pour effet d’augmenter les taux de référence précoce et de protéger près de 200 familles contre le paludisme. Nos caisses de solidarité permettent de pallier les difficultés financières de certaines familles mais surtout d’acheter des moustiquaires supplémentaires pour les nouveau-nés, le meilleur cadeau de naissance que l’on peut offrir, à mon avis. Un Conseil des villages regroupant 83 villages est chargé du suivi et de l’évaluation des stratégies mises en place. Il se réunit 3 fois dans l’année, à savoir avant, pendant et après l’hivernage.
Grâce au soutien du Fonds mondial et du gouvernement du Sénégal, nous avons pu multiplier nos efforts d’éducation et de prévention dans les villages environnants. En 2009, on comptait déjà 20 villages libérés du paludisme avec un taux de mortalité et un taux d’absentéisme scolaire réduit à zéro. Ce nombre a, aujourd’hui, doublé pour atteindre près de 50 villages.
Il y a 15 ans, j’étais loin d’imaginer qu’une telle tragédie pourrait changer le destin de plusieurs enfants. Oui, Ami aussi aurait pu être sauvée et être l’une de ces jeunes femmes que je vois régulièrement flâner dans notre village, heureuse et épanouie. Je m’accroche au souvenir de notre relation père-fille pour chaque jour accomplir davantage le travail que je me suis assigné. Le paludisme continue à ôter la vie à un enfant toutes les deux minutes. Ma mission est de mettre fin au paludisme et d’offrir un avenir prometteur à tous.
Elhadj DIOP
Militant de la lutte contre le paludisme