Les évènements du samedi 15 juillet 2017 au stade Demba Diop ont provoqué des salves d’indignation. Huit morts et une centaine de blessés constituent une raison suffisante pour faire déferler des torrents et des vagues de discours émotionnels. Les uns ont accusé la police et les autres l’architecte et les organisateurs. Toutefois, il faut faire une analyse profonde de ces évènements tragiques même si on ne peut pas dédouaner les acteurs ci-dessus cités de leurs manquements.
Notre société contradictoire aux valeurs corrompues dérive de plus en plus vers la violence malgré notre environnement socioculturel religieux. La violence est présente partout. Elle est dans nos discours, elle est dans nos comportements et nos actes, dans l’arène politique, la lutte, le football, dans la haine, l’envie, la jalousie, dans toutes ces relations toxiques au sein des ménages, dans les lieux de travail, elle se pavane dans la rue sous forme de criminalité et de délinquance, etc. Il faut s’interroger ! Les causes des manifestations violentes de nos émotions sont profondes et diverses.
– Les adultes ont déserté les ménages pour courir derrière le salaire, le matériel, le luxe, les honneurs et la gloire. Les enfants sont livrés au pire à eux-mêmes et au mieux à la domestique. Une richesse matérielle dont ils n’ont même pas le temps de goûter le plaisir tant ils sont écrasés par la dictature du travail qui les use en ne leur laissant aucun espace de temps libre. Ils ignorent que la seule richesse des parents, c’est des enfants merveilleux qui réussissent leur vie en participant pleinement à la construction de l’histoire et de la société. Le développement d’un pays repose sur deux facteurs fondamentaux : des ressources humaines de qualité morale, intellectuelle, scientifique et technique avérée et leur organisation dans un espace géographique structuré.
Soyons fiers de contribuer à ce développement en préparant nos enfants à assumer vaillamment leur rôle citoyen. Nos enfants portent notre nom, notre histoire, notre immortalité. Mourir ce n’est pas un corps qui disparaît, mourir c’est la dignité d’un nom qui flétrit. Combien de milliardaires à la recherche de gloire et d’honneur ont laissé derrière eux des enfants ratés et des milliards qui ne les ont survécus que le temps d’une rose. Que de regrets et de rancœur ! Toute cette situation est doublée d’une éducation traditionnelle vivace qui interdit au fils ou à la fille de poser au père ou à la mère des questions qu’ils jugent indécentes. L’enfant inquiet et stressé doit s’enfermer dans son angoisse qu’il rumine de manière nerveusement solitaire.
– Les jeunes sont les premières victimes de la pauvreté du ménage, source de leurs frustrations, de leurs complexes, de leurs déviances, de leur stress et de leur échec scolaire. Une population d’apprentis de cars abrutis et abêtis victime d’une exploitation abusive, une criminalité et une prostitution de survie, une jeunesse droguée et agressive, etc. sont les uniques cadeaux qu’une société dépravée, déboussolée et misérable offre à ses enfants.
– Les maires accaparent tous les espaces pour le renforcement de leurs recettes financières au détriment des activités épanouissantes de la jeunesse. Les jeunes privés de lieux de divertissement et de jeux, de terrains de football déstabilisent le calme des quartiers en les rendant bruyants et agités. Ils n’ont nulle part où évacuer leur trop plein d’énergie qu’ils accumulent jusqu’au risque d’explosion.
– Les ministres de la famille et de la jeunesse semblent manquer de vision et de stratégie qui leur permettent de mettre en place une politique familiale qui renforce l’éducation des jeunes et une politique de jeunesse qui vise la gestion des émotions des jeunes en général et dans les stades et les arènes en particulier pour prévenir les risques de violence. Il faut une politique familiale et de jeunesse, au-delà des vacances citoyennes, du PRODAC et des dons de vivres, qui conduit à l’émergence d’une génération de jeunes conscients de leurs responsabilités citoyennes.
– Un système scolaire qui jette plus de la moitié (-50% de réussite au Bac) de sa jeunesse âgée de plus de 20 ans dans la rue. Il ne leur offre qu’une alternative : affronter la mer et la mort pour satisfaire une illusion d’émigration. Il faut remédier à l’absence d’une politique de promotion d’une école informelle attractive (garages de mécaniciens, électriciens, menuisiers, etc.) qui accueille tous les exclus du système scolaire et qui nourrit et entretient un nombre important de ménages. L’école informelle est une école socioculturelle basée sur une approche par compétence avérée et fondée sur le gout du travail manuel, sur nos valeurs de solidarité, de partage, d’entraide, de respect des hiérarchies sociales, d’endurance, etc.
– Nous sommes dans un monde globalisé qui fait de tous les systèmes socioculturels des systèmes ouverts. Les jeunes sont traversés et influencés par des courants socioculturels et des courants de mode auxquels ils n’ont aucun moyen de défense et de protection. Leurs esprits, leurs envies et leurs désirs sont fortement conditionnés par la dictature du marché et celle de la mode. Les réseaux sociaux, l’école, la rue deviennent leurs principaux lieux de rencontre. Leurs modèles deviennent des artistes et des sportifs en lieu et place de leurs pères et de leurs mères.
L’ingénierie pédagogique basée sur l’éducation verticale ne fonctionne plus. L’enfant n’écoute ni n’obéit à sa mère ni à son père encore moins au marabout, il n’écoute et n’obéi qu’à son modèle ou à ses pairs. La vieille ingénierie pédagogique des prêcheurs et des imams basée sur l’éducation verticale découvre ses limites. Les nombreuses conférences et émissions religieuses associées aux sermons d’imams du vendredi semblent impuissants et sans effets face à la perte des valeurs, à la dégradation des mœurs et à l’effondrement moral de toute la société. Le gouvernement doit imaginer une politique de gestion éducative des réseaux sociaux qui repose sur une approche pédagogique fondée sur l’éducation horizontale : les jeunes s’éduquent désormais entre eux.
En résumé, la jeunesse est livrée à elle-même à l’intérieur d’une société corrompue, contradictoire et sans repères. Elle dérive vers la violence, l’abandon, la démission, le désœuvrement et l’émigration suicidaire. Elle est victime de la défaillance de ses adultes qui, malgré tout, doit porter comme un carcan la responsabilité de son éducation. Les gouvernements, les ménages, les associations, les autorités religieuses sont interpellés. Il faut agir vite !
Là où l’éducation a échoué, la répression ne réussira pas, serait-ce la peine de mort.
Dr Abdoulaye Taye
Enseignant-chercheur à l’Université Alioune Diop de Bambey