L’embastillement tous azimuts d’opposants, le bâillonnement de journalistes ou de citoyens par un pouvoir politique en place sont toujours des signes d’un manque de confiance flagrante en ses capacités de résoudre les problèmes du peuple par des moyens pacifiques et démocratiques.Plus un régime est conscient de ses carences en matière de gouvernance ,plus il a des choses pas du tout nettes à se reprocher , plus il est moins sûr de sa légitimité et de ses acquis,plus il a tendance à réprimer toutes velléités ou toutes contestations qui se dressent devant lui par la confiscation des libertés .
Certes il n’est pas question de faire l’apologie du laxisme , de l’injure ou de l’insolence,encore moins de laisser libre cours à des attaques inappropriées sur nos institutions sacrées en particulier celle présidentielle , de cautionner la parole débridée ou anarchique dans une société qui se veut civilisée ou dans un État de droit; mais il n’est pas non plus tolérable de faire régner la tyrannie ou la censure au sein d’un peuple libre dont la seule volonté est de chercher à traduire son exaspération concernant la façon nébuleuse dont les affaires de la Cité sont gérées , la manière peu transparente dont les entreprises nationales sont administrées et les ressources naturelles sont exploitées.
Il faut le dire sans langue de bois, un peuple plongé dans une frustration insoutenable consécutive à une demande sociale loin d’être prise en charge et qui subit une injustice de plus en plus soutenue est en droit de trouver une forme d’expression ou une soupape pour manifester son profond ressentiment au risque de sombrer dans une névrose collective aux conséquences imprévisibles . Toutes les révolutions populaires qui se sont déroulées dans l’histoire ont eu pour terreau fertile une frustration débordante d’un peuple opprimé face un pouvoir autoritaire.
C’est un secret de Polichinelle, au Sénégal,la distance qui sépare les gouvernés et les gouvernants est de plus en plus abyssale.L’extrême opulence de la classe dirigeante, l’arrogance indécente des caciques du régime envers les citoyens au point d’acheter leurs voix comme de la vulgaire marchandise,la mainmise des proches du Président dans la gestion du pouvoir,le recasement et l’immunité éhontés des transhumants de l’ancien régime déchu,les reculades et les dédires du candidat Sall devenu Président sur la durée de son mandat, le reniement de la gestion sobre par le pouvoir(réduction du nombre de Ministres, des Députés, la suppression des institutions budgétivores),les promesses non tenues sur la réduction du chômage des jeunes, la non transparence dans l’octroie des marchés publics ou la recrudescence du gré à gré pour parer dit-on à des investissements urgents, des élections législatives calamiteuses marquées par la corruption des électeurs et des manquements graves dans le processus électoral sont autant de facteurs qui justifient le ras-le-bol d’une bonne frange de la population qui, faute de moyens d’expression orthodoxes et d’une éducation civique ou citoyenne adéquate , a fini par s’emparer des réseaux sociaux tel un exutoire pour déverser sa colère sur le pouvoir et ses collaborateurs avec une violence verbale inédite et inouïe.
L’escalade verbale d’une population appauvrie et désemparée ou d’une jeunesse meurtrie par le désespoir,le sous emploi et une perte de confiance en ses dirigeants n’est au fond qu’une forme d’expressions des frustrations qui se sont accumulées des années durant.
Sous le régime de Abdoulaye Wade des individus comme Abdou Latif Coulibaly(journaliste d’investigation),Souleymane Jules Diop (journaliste d’investigation), Alioune Fall(journaliste),Yakham M’baye(journaliste) ,Alioune Tine de la RADDHO, Jacques Habib Sy de Transparency International , maître Sidiki Kaba de la FIDH , Abdoul Aziz Diop (Politologue) des groupes comme le »Mouvement du 23 juin » communément appelé »M23 », »Y’ a en marre » avaient plus ou moins dénoncé les dérives du régime de Wade et avaient réussi a porté la colère populaire au point de faire vaciller le pouvoir d’alors; mais tous ces individus ou groupes ont perdu leurs crédibilités soit pour avoir collaboré avec le régime actuel soit pour avoir montré moins d’ardeur dans la défense des intérêts du peuple .
La nature ayant horreur du vide ou pour être plus dans le contexte politique, la démocratie ayant horreur du conformisme et de l’unanimisme consécutifs au phagocytage mortel de grands partis tels le Parti Socialiste(PS), l’Alliance des Forces Patriotiques (AFP) par l’Alliance Pour la République(APR),à la déliquescence du Parti Démocratique Sénégalais lequel refuse d’admettre que l’ère de Wade-père est révolue et que la posture inconfortable de Wade-fils compromet sérieusement sa candidature aux présidentielles , l’inconstance et les absences intempestives d’ Idrissa Seck leader du Parti Rewmi,l’incarcération arbitraire du Maire de Dakar et prétendant sérieux de la Présidence ont fini par transposer l’opposition hors du cadre des partis ou des mouvements citoyens vers les réseaux sociaux devenus le médium contestataire des mécontents du pouvoir dont la majorité est constituée par les Sénégalais de la Diaspora qui sont paradoxalement loin géographiquement parlant de leur pays mais sont très préoccupés par son devenir et par son avancée démocratique.
Un pouvoir stratège et visionnaire ne devrait en aucune manière étouffer manu militari la grogne populaire au risque d’amplifier le ressentiment des citoyens pouvant exploser violemment à tout moment sans donner le temps aux autorités de prévoir et de contenir les impacts dommageables; il devrait plutôt être à l’écoute du cri strident ou de détresse populaire et y apporter une réponse adaptée.Il ne faut en aucun cas oublier que les discours discordants participent à la vitalité d’une démocratie,ils sont même essentiels au dynamisme d’une société moderne et libre.
Monstesquieu avait si bien compris l’importance du débat contradictoire dans une société démocratique au point qu’il n’avait pas pu s’empêcher de dire: »Si à l’intérieur d’un Etat vous n’entendez le bruit d’aucun conflit , vous pouvez être sûr que la liberté n’y ait pas ».
En réalité définir l’homme comme un »zoon politikon » ou comme »animal politique » à l’instar d’Aristote , c’est justement reconnaître son besoin irrépressible d’évoluer dans une société ordonnée , organisée selon des lois et capable de favoriser l’expression de ses droits les plus élémentaires et les plus fondamentaux. Or,il faut l’admettre les Sénégalais semblent de plus en plus exaspérés par les impairs du régime en place et surtout ils ont le sentiment que leurs droits sont bafoués . Ainsi on a beau vouloir brider la volonté de contestation d’un peuple donné par une force arbitraire celle-ci finira toujours par rejaillir comme une sorte de volcan en éruption pour sauvegarder sa dignité et pour restaurer sa souveraineté .
Du changement, des réformes en profondeur voire tout simplement une Révolution, le Sénégal en a besoin afin de sortir de la torpeur dans laquelle ses élites l’ont plongés par un manque de patriotisme chronique , par manque d’éthique ou par irresponsabilité et surtout par une absence de vision.Cette rupture doit commencer par une abolition de l’hyper-personnalisation du champ politique qui se traduit par l’éloge d’un leader incarné par le chef du parti ou » le locataire du palais » lequel enivré par les délices du pouvoir fini par oublier les véritables raisons de son élection.
Cette subite amnésie du candidat devenu Président est un symptôme que nos gouvernants sont plus préoccupés par les privilèges que leurs confère le pouvoir qu’à servir les intérêts de leurs mandataires tellement on remarque chez eux une absence criarde de projet politique qui se manifeste par des changements récurrents , des remaniements gouvernementaux incessants ou des tatonnements de toutes sortes. Or, un homme d’État digne de ce nom ne doit en aucune manière agir selon l’urgence des prochaines échéances électorales ou sous le coup d’une quelconque pression allant à l’encontre du pacte le liant au peuple, mais il doit avoir une solide vision politique consistant à être capable d’avoir une compréhension synthétique de la marche de sa société en rapport avec l’évolution du monde et mettre en oeuvre des décisions adéquates éclairées par des principes, des valeurs dans le cadre d’une action cohérente et durable.
Les lacunes qui se sont accumulées des décennies durant dans la gestion de la Cité montrent une véritable absence de vision politique ,ces erreurs d’orientations ne sont pas uniquement imputables à la génération de politiques en vigueur, elles sont aussi consécutives à des manquements ou à des fautes de planification des générations politiques pionnières lesquelles avaient mis en place une façon de faire de la politique dépouillée de toutes considérations éthiques ou axiologiques, car étant fondée sur l’opportunisme froid et la prédation sans scrupule des ressources du pays . La nouvelle classe politique a non seulement continué à adopter le paradigme d’une politique d’accaparement des ressources publiques, mais elle ne cesse de faire croire au peuple une rupture des pratiques politiciennes néfastes qu’elle est loin d’abandonner,
Une nouvelle donne est apparue avec la démocratisation de l’accès aux réseaux sociaux, les citoyens de tout statut social, de tout niveau intellectuel, de toute culture civique arrivent à faire entendre leur voix avec plus moins de maladresse ou de pertinence au point de troubler le sommeil des pouvoirs publics. Une nouvelle catégorie d’opposants pour ainsi dire »numériques » s’affirment de plus en plus en réussissant à véhiculer leurs messages subversifs à une population désireuse d’un changement profond de ses conditions précaires d’existence. Ces »activistes des réseaux sociaux » apparaissent ainsi comme les voix des sans voix et sont quasiment élevés au rang de héros tellement ils sont parvenus à sortir les pouvoirs publics de leurs léthargies supplantant ainsi les partis d’oppositions classiques qui ,en dépit de leurs nombreuses manifestations, ne sont pas parvenus à bousculer le pouvoir en place .
Ce qui est sûr est certain ,c’est qu’on ne peut plus gouverner comme avant , c’est-à-dire les autorités étatiques ne peuvent plus se contenter d’expédier les affaires publiques à coup de propagande en s’appuyant sur les médias d’État ou en se fondant sur une presse privée indulgente et complaisante.La seule et unique issue salvatrice pour un pouvoir qui veut perdurer à l’ère du numérique et de l’émergence des médias sociaux est de comprendre que son existence ou sa survie dépend largement de la prise en charge démocratique et durable des aspirations du peuple qu’aucune répression ou intimidation ne pourrait anéantir.
Ciré Aw
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