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Le Xessal, Ce Tueur Silencieux

Une de mes copines camerounaises est venue passer deux semaines de vacances chez moi cet été. En bonne parisienne, j’ai voulu partager avec elle mon mode de vie, les pique-niques au parc, les déjeuners ou apéro en terrasse ou juste le plaisir de flâner dans les rues ensoleillées de Paris. C’est l’été, il fait beau, il ne pleut pas, et il y a surtout du soleil.

J’ai été surprise, à la veille de son départ, quand elle m’a dit qu’elle devait se rendre à Château d’eau, le quartier de la beauté noire à Paris pour faire son stock de produits éclaircissants. Elle s’est plainte d’avoir un teint plus foncé en deux semaines car elle avait trop marché au soleil.

«Vois-tu, je ne peux pas retourner au bureau comme ça, mon visage a noirci, je rentre de vacances, de Paris de surcroît ».

J’avoue que j’ai eu du mal à comprendre ses propos. 

«Heureusement qu’en arrivant, j’aurai quelques jours pour arranger mon visage avec un traitement de choc. Mon teint actuel ne reflète pas du tout les excellentes vacances que j’ai passées à Paris».

Je venais seulement de comprendre à quoi elle faisait allusion. Je répondis en toute innocence «ma chérie, oui un teint lumineux, oui un teint éclatant, oui une peau saine, mais cela ne veut pas dire s’éclaircir la peau, et puis ce n’est pas has been de s’éclaircir la peau, je pensais qu’on en avait fini avec tout ça, j’avais espoir que la jeune génération ne reproduirait pas les mêmes erreurs que leurs ainées avec le Xessal» (au Sénégal, on emploie le terme Xessal pour désigner le fait de s’éclaircir la peau).

Ma copine, enchaîna «En tout cas, toi, garde surtout ta peau comme elle est, ne commence surtout pas à t’éclaircir la peau car le plus dur est de s’arrêter par la suite. Je n’aurai jamais dû commencer. Maintenant je ne peux même plus retrouver mon beau teint d’avant et je n’étais même pas si noire que ça»

Le Xessal, une pratique très répandue en Afrique

Je savais bien que ce n’était pas has been du tout d’utiliser des produits éclaircissants chez les femmes noires africaines. C’était bien au contraire trendy, même chez les jeunes filles et cela malheureusement dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne.

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Depuis quelques mois, je suis fan de programmes des chaînes de télé sénégalaises ou des web séries diffusées via la plateforme de diffusion de contenus vidéo YouTube. Je tiens à souligner au passage que certains programmes ont le mérite d’être bien faits et parfaitement en ligne avec l’évolution de la société sénégalaise d’aujourd’hui. Mais cela est un autre sujet !

En les regardant, je me suis rendue compte qu’une part non négligeable des femmes participantes à ces programmes s’éclaircissent la peau de manière «manifeste». Etant des personnalités publiques et icones pour certaines d’entre elles, et elles peuvent avoir une influence sur l’audience féminine.

Ah oui, s’éclaircir la peau, une tendance loin d’être spécifique au Sénégal. Lors de mes récents séjours en Afrique, à Dakar ou dans d’autres grandes villes : Kinshasa, Lagos, Abidjan, Yaoundé, Douala…, j’ai été frappée par la constance du Xessal dans les pratiques beauté de certaines femmes.

J’avais bon espoir que la jeune génération de filles modernes et émancipées signerait le coup d’arrêt de cette pratique, mais au regard de ce que j’ai pu constater, il semblerait que ce n’est pas demain la veille.

Pourquoi s’éclaircir la peau ? Est-ce de l’aliénation ? Est-ce un complexe ? Est-ce une volonté d’être en ligne avec les standards beauté de la mondialisation ? Est-ce pour être plus belle ? Est-ce pour plaire plus aux hommes ? Est-ce pour trouver plus facilement un mari ? Ou est-ce juste une coquetterie ?

Je ne fais aucunement de jugement de valeur sur le Xessal. Fierté d’avoir une peau noire ou pas, c’est un débat philosophique ou idéologique et tellement subjectif que je m’en abstiendrais.

Enjeux de santé publique

Je m’intéresse et interpelle l’opinion sur les conséquences que cette pratique pourrait avoir sur notre population, notre système de santé et in fine sur notre économie. Et c’est là que je pense que l’Etat a un devoir de sensibilisation, de prévention… C’est à l’image des campagnes sur la conduite avec le téléphone portable, la cigarette etc.

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Cette tendance du Xessal m’a beaucoup peinée et m’amène à cette interrogation : que font les autorités compétentes au Sénégal à grande échelle pour avoir de l’impact avec des campagnes de conscientisation sur les risques de cette pratique ?

Il est fréquent que certaines filles expérimentent dans leurs salles de bain des mélanges hasardeux de différents produits pour booster les résultats sans aucune connaissance chimique ou des réactions chimiques de substances qu’elles utilisent. Certains produits bien qu’étant manufacturés ne respectent pas les bons dosages ou utilisent des substances interdites.

Ces substances «caustiques» contenues dans ces produits éclaircissants passent dans le sang et bouleversent l’équilibre naturel de la peau, la fragilise et peuvent faire que celle-ci ne puisse plus jouer son rôle protecteur. Cela pourrait avoir comme conséquence de favoriser des problèmes de cicatrisation, des nouveaux cas de maladies de la peau voire même des cancers de la peau. Imaginez seulement qu’on ne puisse plus recoudre la peau de ces adeptes du Xessal suite à une opération ?

Les risques encourus sont nombreux : acné, vergetures, hyperpilosité, atrophie de la peau, cancer, infertilité, … Cette longue liste, peut aller jusqu’à des complications telles que l’insuffisance surrénalienne, l’hypertension artérielle et le diabète…

Il va s’en dire que la pratique du Xessal de façon effrénée est déjà ou sera une cause certaine de façon directe ou indirecte de nombreux problèmes de santé publique et nos systèmes de santé n’auront pas la consistance, ni les moyens d’y faire face.

En France, pour le compte d’anciens clients de l’agence de communication dans laquelle je travaillais notamment l’INPES (Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé), j’ai eu à traiter ces problématiques. Ces actions remontent à plus de 10 ans, et le sujet était déjà une préoccupation. Les migrantes ayant la peau noire et qui pratiquaient le Xessal augmentaient en nombre. Malgré la réglementation sur la fabrication et la distribution sur ces produits incriminés, des filières clandestines prospéraient et les adeptes n’avaient aucun mal à se fournir leurs produits hors norme et dangereux. Le but de ces campagnes était de mettre l’accent sur la prévention en conscientisant sur les nombreux dangers encourus, de favoriser des comportements et pratiques beauté responsables pour in fine faire baisser le nombre de personnes s’adonnant au Xessal.

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Prévention is better than care !

Qu’est ce qui pourrait être fait au Sénégal pour adresser ce fléau de manière idoine ?

De grandes campagnes choc de sensibilisation et de dissuasion supportées par les ministères de la santé et de la femme en partenariat avec d’autres institutions et organisations ? Des leaders d’opinion pourraient servir d’ambassadeurs pour porter un message impactant et dissuasif ?

Une loi pourrait être votée à l’assemblée et mise en application efficacement pour réglementer la fabrication des produits de Xessal ?

Une chose qui me choque le plus c’est le placement des produits de Xessal dans beaucoup de séries et programmes de divertissements. Ne pourrait-on pas mettre en place un cadre réglementaire pour limiter leur visibilité dans certains programmes ? Ne pourrait-on pas interdire leur publicité sur les grands panneaux publicitaires ? Ne serait-il pas utile d’avoir des allégations santé obligatoires sur tous les emballages et supports publicitaires ?

Stop au placement de produits « xessalisant » à la télé !

Stop à la publicité des produits de Xessal sur les grands panneaux publicitaires.

Si rien n’est fait pour changer les mentalités sur le Xessal, nous allons vers un problème de santé publique d’envergure majeure et nous n’aurons pas les moyens d’y faire face. Aucun doute que cette situation affectera notre économie et le bien-être des populations.

Cette catastrophe qui nous pend au nez pourrait être évitée ou amoindrie par de la prévention…

Carton rouge au Xessal !

 

Cécile Thiakane

Activiste du développement social

Cecile.thiakane@humanbet.com

Cécile THIAKANE
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