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Plaidoyer Contre Le Xessal : Lettre Ouverte Sur Notre Patrimoine Génétique Visible

A Mme la Femme négro-africaine

Madame,

Je viens auprès de votre autorité identitaire vous faire part de ma consternation, de ma désolation, et de mes peurs face à cette conspiration tant masculine et fantasmatique que commerciale, contre ta noirceur légendaire, symbolique et identitaire. Je ne serai pas Senghor pour chanter ta couleur mais, j’aurai aimé que Fanon me soit utile à te rappeler que le « masque blanc » est un mythe qui te déconstruit, te dénature et te réduit à une hybride. Je ne reconnais plus Fatou, avec qui je jouais, ni Ndéye Khady qui me servait de rempart contre l’hostilité de la rue au parcours de l’école. Elles ont changé d’apparence, nées noires, elles sont devenues claires et même blanches pour Fatou. Quand elles me rendent visite, dans certains boulevards de mes rêves, elles se présentent en caméléons et je sursaute, en disant : «Oh non, nos filles ne seront pas victimes de cela ! Oh non, nos filles ne seront pas victimes de cela ! »

Mes nuits sont blanches, mes jours sombres ! T’adresser un verbe moralisateur, tant s’en faut ; j’accuse les mâles et les cosmétiques de te pousser dans les extrêmes limites de ton retranchement à ne vouloir paraitre que, comme ils te le font croire, belles et désirables sous une peau plus claire tendant vers la « sainte » blancheur. Je participais aussi à ce paradoxe de la femme claire. Plus d’une cinquantaine d’années de télévision m’a présenté, sous le coup de projecteurs, de « la chair blanche », ou mieux, des femmes claires symbolisant la beauté, l’intelligence et tous les autres attributs favorables ; au même moment où les femmes noires symbolisaient le dur labeur, et les taches socialement « ingrates ». Donc, j’avoue que nous tous sommes responsables d’une manière ou d’une autre. « Oh non, nos filles ne seront pas victimes de cela ! Oh non, nos filles ne seront pas victimes de cela ! »

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Mes nuits sont blanches, mes jours sombres !

Madame,

Fatou m’a confié que depuis toute petite, on ne cessait de lui dire « tu es trop noire, tu es trop noire ». Ses frères lui donnaient une définition de la beauté, contraire à la nature de son épiderme. Et cela a développé un complexe en elle. Entre le choix de se détester toute sa vie ou de rester naturelle, elle a préféré changé d’apparence pour « être à l’aise » ; car m’a-t-elle dit « si ta famille te dit que tu es vilaine, tu dois vraiment l’être ». Fatou est l’archétype de millions de femmes africaines blessées dans leur dignité lors de leur tendre enfance. Qu’avait elle fait pour mériter ce procès d’être née naturellement noire de peau ? Pourtant Modou, le frère de Fatou, a l’épiderme si foncé, mais cela ne l’empêchait guère de se moquer de sa sœur ; seulement, il disait à qui voulait l’entendre : « j’épouserai une femme belle, femme claire ».

Madame,

Je comprends que ce sont ces modou-modou qui sont d’une part à l’origine de cette dépigmentation, de ce désaveu de la couleur noire perpétré par ces fatou-fatou. Ces modou-modou sont l’esprit de ce sacrilége et ces fatou-fatou en sont les mains. Ndeye Khady, dont je parlais dans le contexte de ses présentations nocturnes dans mes rêves, je lui ai toujours vouée un amour, celui des enfants de quatre ans, qui ne reconnait que les personnes les plus aimables vis-à-vis d’eux. Oui, elle était d’une agréable nature ! Mais, mes souvenirs sont encore frais, concernant la blancheur de ses dents et de ses yeux, qui contrastaient poétiquement avec sa noirceur.  Il m’arrivait de pleurer, quand elle m’amenait de l’école vers chez moi, afin qu’elle use de ses yeux, comme pour me supplier de me calmer. Cette lueur si innocente, si profonde, si authentique est devenue vulgaire, pale et artificielle quand elle s’est dépigmentée.  « Oh non, nos filles ne seront pas victimes de cela ! Oh non, nos filles ne seront pas victimes de cela ! »

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Mes nuits sont blanches, mes jours sombres !

Madame,

J’ai parlé – la voix faible, le regard humble, le cœur triste – à Ndéye Khady. « pourquoi …..? » lui ai-je demandé.

« Une dizaine d’années de sacerdoce familial, de jeu de séduction, et d’auto-compétition culinaire ont disparu de l’esprit et du cœur de mon homme, quand une femme claire, Maelys, a tapé à son cœur » m’a-t-elle répondu.

Son homme, Félix a répondu à cet appel amoureux; Ndeye Khady tentait à comprendre les échos de cet appel. La seule compréhension qu’elle a eue était la suivante : « Félix a démontré qu’une femme claire est plus avantagée par la nature, n’est ce pas dit-on halé bou hess, amm rafetaayou djinné ». A partir de ce moment, Ndeye Khady a fait le choix de changer d’apparence et de perturber à jamais mes nuits en s’y présentant comme un caméléon.

Madame,

Vous êtes nombreuses à être des victimes qui aiment, comme Fatou et Ndeye Khady, leurs bourreaux. Et c’est là que se présente l’industrie cosmétique de la dépigmentation. Johnson que j’avais rencontré au Ghana m’avait appelé récemment au téléphone. Il me disait que les femmes enceintes prenaient un sérum pour que leurs enfants naissent avec l’apparence métisse. Il me répétait : « savent-elles que c’est au prix de leurs vies et de celles de leurs bébés qu’elles font cela ? » Je ne répondis rien, il n’avait pas besoin que je parle ; il voulait juste sortir le trop plein d’amertume face aux agressions contre cette peau que nous partageons, notre patrimoine génétique le plus visible.

Ces agressions menées avec des panneaux publicitaires, comme glaives, se passent pourtant au vu et au su de n’importe qui passe par les grandes artères des villes africaines. Leur violence n’a d’égale que l’ambition de violer l’esprit des plus faibles et de saigner le cœur des esprits forts, parmi vous, Madame Femme Noire. Cette violence contre notre empreinte génétique la plus visible se passe aussi au moyen des chaines de télévision. L’audience y est beaucoup plus vaste. En conséquence, il est facile de demander à Mireille ou Bineta le nom du produit éclaircissant qu’on passait, en guise de publicité, au cours de la pause commerciale de la série télévisée. Mes nuits sont blanches, mes jours sombres !

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Madame,

Tu m’as donné le sein au berceau. Tu t’es réincarnée, quand j’étais adolescent, et m’a fait découvrir le plaisir de ton intimité ; tu m’as promis de devenir mienne, en quittant la maison de ton père et de ta mère pour former chair de ma chair, en nous donnant une progéniture. Pour toutes ces raisons, je dois te dire que quiconque te demande de changer, ne t’aime pas si la condition est que tu changes de complexion.

Ma femme Noire, notre Femme noire,

Nous te présentons nos excuses les plus sincères de t’avoir fait développer le complexe adamique du paradis perdu. Le paradis est la noirceur de ta peau ; ta déchéance, dépigmentation. Un fantasme est fait pour rester idéel, il meurt quand on concrétise l’idée. Donner naissance à une progéniture qui s’identifie à une mère noire, puis qui grandit avec une mère devenue claire ou blanche ; c’est le meilleur moyen d’affaiblir ses potentialités d’assertivité et d’amour propre.

Dans l’espérance que ces mots te parviendront, je te renouvelle tout mon amour et ma disposition à t’accepter noire, Femme, sans dépigmentation ; oh si, la noirceur est la partie la plus visible de notre patrimoine génétique !

Je veux que mes nuits soient noires comme ta peau, et mes jours blancs comme ton cœur.

 

TRAORE Cheikh Tourad

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