Avant de quitter nos pays, les colonisateurs nous avaient mis des chaines dans nos mentalités, à la racine de nos têtes, maintenant les Libyens veulent les placer à nos pieds, comme des esclaves enchaînés pour de bon.
Ce qui se passe en Libye ne fait que traduire une perception en acte, là où il y a absence totale de « l’aperception transcendantale » (une conscience pure) pour emprunter l’expression de d’Emmanuel Kant (Kant, critique de la raison pure, p. 205).
Déjà le président Sarkozy nous faisait comprendre avec un mépris total de l’histoire des peuples africains et de leurs réalisations que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». « Le colonisateur est venu, il a pris, il s’est servi, il a exploité mais je veux dire avec respect qu’il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles » (Cf. l’Afrique réponds à Sarkozy contre le discours de Dakar, 2008). C’est comme si on disait aux peuples exterminés durant la seconde guerre mondiale que leur extermination a quelque chose de positif puisqu’elle a fait progresser l’humanité. En effet « les scientifiques nazis ont fait des expérimentations sur des victimes sans défense, dans les camps de concentration, qui ont fait avancer la connaissance scientifique. Mais leur science étaient, malgré les résultats techniques positifs qu’elle produisait parfois, une activité purement criminelle qui ne méritait que châtiment et mépris » (Cf. Jean Ziegler, retournez les fusils, 1981).
Cette absence d’aperception peut amener à justifier des « aspects positifs de la colonisation » ou à légitimer le rabaissement d’un peuple, à le réduire à l’esclavage. Dans son fameux Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire affirme : « on me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer. Moi je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur survie, à la danse, à la sagesse. Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. »
L’esclavagisme n’est donc possible que lorsqu’il y a le mépris, le complexe de supériorité, la négation de l’être en tant qu’être humain. Et Cheikh Anta Diop l’explique clairement lorsqu’il affirme que « la négation de l’histoire et des réalisations intellectuelles des peuples africains noirs est le meurtre culturel mental qui a déjà précédé et préparé le génocide ». Pour conforter cette thèse de Cheikh Anta Diop, il suffit de lire l’ouvrage de Lucien Lévy-Bruhl publié en 1922, intitulé « la mentalité primitive ». Et l’on ne sait toujours pas sur quels critères fiables il s’est basé pour classer la plupart des sociétés africaines parmi les « peuples inférieurs » ayant une mentalité primitive.
Il y a une tentative non seulement de falsification de l’histoire des peuples noirs africains, de les rabaisser, de les chosifier mais de les emprisonner dans leur couleur de peau ; et à ce stade ultime de normalisation tout devient légitime. C’est pourquoi Frantz Fanon considéra la couleur de la peau comme une prison pour l’homme noir.
Dés l’instant qu’on considère la couleur de la peau comme problématique, on assiste à ce qui se passe en Lybie par la normalisation de la déviance, la banalisation de la vente d’êtres humains. N’oubliez pas que le code noir institué en 1685 assimilait l’être humain, particulièrement l’esclave à une marchandise.
Dans le monde où nous vivons, le sujet social ne semble plus être le dépositaire des valeurs sociales, la valeur humaine est désacralisée au profit de quelques opportunistes vénérant le business, adorateurs du dieu-Argent et grands corrupteurs. Leur business est fondé sur le véritable malheur des autres. La chosification de l’être humain anime leur fonds de commerce. Charognards de première heure, spectateurs de la souffrance d’autrui, ils n’ont aucune humanité. Dès que l’occasion se présente, ils sautent sur leurs proies pour les dévorer.
L’homme avec un grand « H » est entier, corps et esprit, capable de sentiment, quelle que soit sa race, sa couleur, sa religion, son origine et son rang social. Il doit être traité avec beaucoup de dignité. Qu’il soit riche, pauvre, heureux, triste, instruit ou illettré, il ne doit jamais être réduit à ce que son apparence nous dicte ou ce que nous croyons savoir de lui.
Cette traite est abominable, il faut le condamner jusqu’à la dernière énergie et lutter avec tous les moyens nécessaires pour combattre cette vente aux enchères de nos compatriotes migrants.
L’appel d’Alpha Blondy et d’autres personnalités ne doivent pas rester lettres mortes. La réaction des populations africaines est d’une timidité maladive. Aucun président africain ne s’est prononcé avec fermeté sur ce qui est entrain de se dérouler. Imaginons que des français, allemands, belges soient capturés en Afrique pour servir de vente. La réaction de leurs autorités ne se ferait pas attendre. La vente des migrants est une chose et le traitement qui leurs est réservé en est une autre. Le traitement d’une personne par le mépris et le rabaissement peut être plus grave que l’acte de vente lui-même. Depuis le départ de Kadhafi les noirs sont traités en Lybie comme des moins que rien, ils sont devenus des étrangers dans leurs propres pays.
El Hadji Séga GUEYE – Docteur en sociologie
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