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« Douceurs Du Bercail » Ou L’eldorado Sous Nos Pieds

L’auteure, Aminata Sow Fall, fête ses 80 ans ce jour. Pour lui rendre hommage et lui souhaiter un joyeux anniversaire, ‘’EnQuête’’ publie cette note de lecture de la directrice d’Ejo éditions, Ndèye Codou Fall.

Le roman d’Aminata Sow Fall, ‘’Douceurs du bercail’’, publié en 1998 aux NEI, est une apologie du mouvement, car il « faut voir les gens et leur diversité pour comprendre le monde ». Il faut également revenir, car « l’Eldorado n’est pas au bout de l’exode, mais dans les entrailles de notre terre ».

Asta Diop, femme sénégalaise, envoyée par son ONG en mission en France, a tous les documents nécessaires pour son voyage. Pourtant, durant les trois contrôles au débarquement, elle subit toutes sortes de tracasseries et d’humiliations à l’aéroport, « parce qu’ils voient en chacun un futur immigré ».

Pour éviter des histoires, elle se laisse faire jusqu’à la fouille intime qui lui inspire « une rage bestiale ». L’auteur dit même qu’elle a l’impression d’être violée avec « des mains gantées qui remontent le long de sa cuisse ». Excédée, ni mot ni son ne pouvant traverser sa gorge, Asta s’agrippe au cou de la douanière qui crie et attire une meute de policiers. Asta est emmenée directement au « Dépôt » surnommé par les autres L’Escale. Début d’une souffrance extrême et l’occasion pour Asta de mieux saisir la douleur de l’exil par opposition aux Douceurs du bercail.

Anne, l’amie française d’Asta rencontrée pour la première fois sur le territoire fascinant d’une maternité, avec qui elle tisse les liens d’une amitié indéfectible, s’inquiète du fait de ne pas trouver celle-ci à l’aéroport d’autant qu’elle l’a toujours connue ponctuelle.

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Au Dépôt (espace rectangulaire où s’entassent hommes, femmes et enfants), il n’y a ni nuit ni jour, puisqu’étant éclairé en permanence. La seule mesure du temps, ce sont les repas : gobelets = matin, sandwich = midi, bol de soupe = soir, pour pouvoir compter les jours, à condition d’être vigilant. Comme c’est effarant de constater que « ces Toubabs ne nous supportent plus ».

Est-ce qu’être différents empêche de vivre ensemble ? Est-ce que l’essentiel n’est pas la culture, la Terre et le patrimoine immatériel, tout ce qui rend l’Homme meilleur ? N’est-il pas possible de rester soi tout en s’ouvrant à l’autre ?

Après ce drame, « Asta la Sénégalaise qui a failli tuer une douanière pour un simple contrôle de routine » (selon la rumeur) est perçue comme un monstre. Et même l’ambassade du Sénégal en France, qui est censée la représenter et lui venir en aide, l’abandonne à son sort.

Anne, quant à elle, réfléchit et rien ne peut dissiper le mystère de « l’horreur » qu’elle découvre plus tard dans le journal. Elle décide alors, avec son mari Didier, d’aller demander assistance pour Asta au niveau de l’ambassade. Là, ils ne reconnaissent plus les gens à qui ils « portaient des colis » ; ils ne savaient pas que ces gens font partie de ceux-là qui négocient tout le temps des plans de carrière et des honneurs par le truchement de compromissions avec les autorités françaises. Pour satisfaire leur ego ? Certainement. Vu que l’ambition et le confort priment.

Par ailleurs, au bercail, la simplicité des relations, la chaleur dans les sourires, la douceur dans le regard, la solidarité même dans la pauvreté font loi. Mais au bercail aussi, l’injustice, la corruption, les rêves brisés assombrissent le décor comme le montre le cas de Yakham.

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Yakham est né dans une famille indigente. Et on a l’impression que c’est un enfant béni, car tout lui réussit. Sa grande pauvreté ne l’empêche pas d’émerger du lot jusqu’à l’obtention d’une bourse après le Bac, pour poursuivre ses études à l’étranger. Malheureusement, sa bourse a été « vendue » ; ce qui le plonge ainsi dans un désespoir sans fin qui l’incite à vouloir « partir ». C’est au Dépôt que l’héroïne du roman le rencontre, tout comme Babou, expulsé, malgré tous ses papiers parfaitement en règle, et Séga, Dianor et Codé (décédée plus tard après le retour au bercail, déjà affaiblie par un viol au Dépôt).

La terre regorge de richesses au-delà de toute espérance. Asta achète un terrain de dix hectares et tentera l’aventure avec son fils Paapi, son ami Labba et ses compagnons de fortune Séga, Dianor et Babou qui deviendra par la suite son époux. Pourtant, après son divorce avec Diouldé qui lui avait fait vivre l’enfer, Asta avait juré qu’elle ne se marierait plus ; mais « tant que va la vie », tout peut arriver.

Portés par leur foi et l’espérance (« la conviction que la terre ne ment pas ») ils réussissent. La fête de la première moisson des Waa Reewu Takh a eu lieu après neuf ans de travail, d’endurance et de courage. C’est possible de réussir chez soi, d’où le label et la marque Douceurs du bercail qui justifient le titre du livre.

Malheureusement, à en juger par l’actualité quotidienne de l’immigration, ce livre publié depuis presque une vingtaine d’années n’a pas pris une seule ride.

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Ndèye Codou FALL

Directrice d’EJO-EDITION

« « Douceurs du bercail » », Aminata Sow Fall, NEI, 224 P, 1998

Entre autres œuvres d’Aminata Sow Fall :

‘’Le revenant’’, Nouvelles Editions Africaines, 1976

‘’L’appel des arènes’’, Nouvelles Editions Africaines, 1982

‘’La grève des Bàttu’’, Nouvelles Editions Africaines, 1979

‘’Le festin de la détresse’’, Ed. d’En Bas, 2005

‘’Le jujubier du patriarche’’, Ed. Khoudia, 1993

Aminata Sow Fall vient de recevoir (juin 2015) le Grand Prix de la Francophonie de l’Académie français







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