La campagne de commercialisation de l’arachide se déroule très mal dans le bassin arachidier en ce mois de janvier 2018. Malgré les autosatisfactions clamées par ci par là, il n’y a pas assez d’argent dans les points de vente. Cela est vérifiable in situ. Les paysans font la navette entre les seccos sans trouver un opérateur qui a des liquidités. Les fameux bons naguère délivrés aux paysans ont fait leur apparition dans le bassin arachidier et facteur aggravant, souvent les graines sont achetées en cachette à des prix inférieurs au prix officiels.
Dans le département de Birkelane, les arachiculteurs sont dans le désarroi total. Ils n’arrivent pas à vendre leurs productions. Partout le constat est le même, il n’y a pas d’argent dans les points de vente. Les informations qui viennent des autres localités du pays indiquent que les paysans, comme à Birkelane, n’arrivent pas à vendre leur arachide. Il y a actuellement un mécontentement généralisé en milieu rural arachidier. Les paysans sont déçus et déboussolés. Les pouvoirs publics ne doivent pas nier cette réalité vérifiable mais plutôt trouver la bonne solution rapidement pour soulager nos braves producteurs d’arachide.
Face à cette situation récurrente dans le bassin arachidier, il me semble qu’il est temps de réformer en profondeur le système de commercialisation de l’arachide. Il a montré ses limites depuis longtemps. Une production agricole aussi importante que l’arachide ne peut pas continuer à être commercialisée de façon informelle. Il n’est pas acceptable et c’est irrespectueux pour les paysans d’ouvrir la campagne de commercialisation alors que le budget dédié à l’achat des graines d’arachide n’est pas ficelé.
L’arachide est pour l’instant le pétrole du Sénégal. Beaucoup d’indicateurs le prouvent. C’est un produit intégrateur, le plus grand pilier de notre économie. Cette production est plus importante économiquement que toutes les autres spéculations agricoles du Sénégal. Les années de bonnes récoltes d’arachide avec une campagne de commercialisation satisfaisante sont des années d’intenses activités économiques dans tout le pays. Les années de mauvaise campagne de vente de l’arachide, quelque soit le tonnage récolté, sont des années de récession économique, d’augmentation de la pauvreté et de l’exode rural. La pauvreté ne quittera pas le bassin arachidier tant que la commercialisation de l’arachide sera informelle comme c’est le cas actuellement
L’Etat du Sénégal doit réhabiliter sans délai les unités industrielles de trituration des graines d’arachide. Aucun investissement n’est plus important que celui consacré à l’industrie. Le Sénégal ne sera véritablement émergent que lorsqu’il aura un tissu industriel dense et diversifié. Il n’est donc pas acceptable de laisser les usines de la Sonacos mourrir dans l’indifférence complice. La commercialisation de l’arachide ne se fera dans les meilleures conditions que lorsque les 4 unités de trituration seront réhabilitées et fonctionnelles. Exporter des graines d’arachide vers la Chine ou vers d’autres pays est un mauvais choix économique. Le bon choix pour nos paysans et notre pays est la trituration de nos graines d’arachide chez nous, sur place. Ce bon choix économique et stratégique permettrait à la Sonacos d’acheter toute la production d’arachide non auto consommée, produire de l’huile et la vendre au Sénégal et n’exporter que l’excédent. Pour l’intérêt de la filière, il faudrait aussi appliquer la vérité des prix et rendre l’huile d’arachide compétitive. Les subventions ont montré leur limite. Elles sont si mal pilotées au Sénégal qu’elles sont devenues des obstacles à l’émergence de l’agriculture. Elles n’ont pas de retombées significatives sur le secteur. Elles enrichissent plus les commerçants que les paysans. Il est temps de les évaluer et d’arrêter les autoglorifications avec des chiffres de production fantaisistes qui ne trompent plus personne.
Pour toutes les spéculations, les autorités doivent savoir qu’il ne sert à rien d’augmenter une production agricole sans un système de commercialisation fiable. C’est une règle générale d’une évidence élémentaire. Il ne sert à rien d’accélérer l’agriculture si on ne tient pas compte de tous les maillons de la chaîne.
Depuis les années 80, la commercialisation de l’arachide se fait de façon informelle. Aucun des partenaires impliqués dans le système n’est satisfait. Tout le monde se plaint sauf la tutelle qui semble ne rien y comprendre. Le système de commercialisation de l’arachide actuel est mauvais, il n’est pas adapté à la spéculation. Il n’y a que l’Etat qui est toujours satisfait. Les paysans sont toujours les plus lésés. Une réforme du système de commercialisation est incontournable pour relancer la filière arachidière. Depuis la nouvelle politique agricole des années 90 qui a fait tant de mal à notre agriculture, les paysans du bassin arachidier tirent toujours le diable par la queue.
Pr Demba Sow
Ecole Supérieure Polytechnique
Université Cheikh Anta Diop de Dakar