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Le Maire Et L’affaire D’une Caisse Perdue D’avance

Quand j’ai lu cet arrêté portant création de la caisse d’avance signé par le maire de Dakar, M. Khalifa Sall, j’ai compris pourquoi le procureur de la République s’est limité à la procédure d’utilisation des fonds en dépit de la proposition faite par l’Inspection générale d’Etat dans son rapport définitif d’ouvrir une information judiciaire sur les conditions de création et de fonctionnement, mais aussi sur les conditions d’utilisation des fonds. En effet, les conditions de création et de fonctionnement sont précisées par l’article 1 de l’arrêté dont le plafond est fixé à trente millions (30 000 000) renouvelables et devant faire face à des dépenses précisées par l’article 2 dudit arrêté. Cependant, bien qu’il soit à déplorer dans cette affaire des manquements tels que la violation de l’article 5 de la directive de l’Uemoa portant sur l’assistance d’un avocat, la violation du secret de l’enquête par le procureur et la présomption d’innocence qui, entres autres, sont des conditionnalités d’un Etat de droit. Qu’il soit accepté et reconnu par la communauté internationale que l’Etat de droit est un système institutionnel au sein duquel la puissance publique est soumise au droit, la hiérarchie des normes est respectée, la séparation des pouvoirs est établie, l’indépendance de la justice et surtout les droits de l’Homme sont consacrés, force est de constater que dans une affaire judiciaire, de l’enquête préliminaire jusqu’à la décision définitive, surviennent souvent des failles qui ne sauraient mettre en cause la question de fond. Et la question de fond dans cette affaire est que le maire de Dakar Khalifa Sall est coupable de faux et usage de faux en écritures. Aussi, son courage, son opiniâtreté et sa générosité lui valent une disculpation des autres charges telles que le détournement et l’escroquerie des deniers publics bien qu’il y ait eu bel et bien des faux qui ont été présentés pour percevoir des fonds en règlement de problèmes socio-politiques. Présentement dans cette affaire, nous sommes en présence de deux régimes juridiques distincts dont l’un porte sur une caisse d’avance de dépenses précises à justifier et l’autre sur une caisse de fonds politiques de dépenses imprécises qui ne souffrent d’aucune justification. En termes clairs, il s’agit d’une caisse d’avance utilisée suivant le régime juridique applicable à une caisse d’avance de fonds politiques. Certes le maire Khalifa Sall n’a fait que se conformer à la gestion de prédécesseurs fautifs qui du reste ne sont pas exempts de reproches. Ils sont aussi coupables que lui dans de faux et usage de faux en écritures, donc dans l’imprescriptibilité des faits, à savoir que les détournements de deniers publics ne sont pas couverts par la prescription. Telle est la première analyse sur le plan juridique. La seconde porte sur la défense du maire ; laquelle avec tout le respect que je lui dois, de ténors du barreau très distingués à bien des égards dans des affaires qui vous donnent envie de porter la robe. Et là de préciser que c’est de toute gaieté de cœur que j’ai préparé ma robe. Dans l’affaire Khalifa Sall où ils étaient chargés d’expliquer les faits et de soutenir ses droits et ses prétentions, j’ai aimé leur stratégie de défense. Cependant, si en évidence une défense varie suivant que l’on considère une affaire, je pars pour axer la mienne sur l’accusation de faux et usage de faux en écritures, en ramenant à la plus petite expression les accusations de détournement et d’escroquerie de deniers publics. Une stratégie qui consiste d’abord à reconnaître sa culpabilité dans les faux et l’usage de faux en écritures pour ensuite invoquer des circonstances atténuantes.

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En effet, Khalifa Sall est un homme politique qui a fait plus de trente (30) ans dans les sphères de l’Etat où il n’a jamais été mêlé, ni de près ou de loin et tant soit peu, à des malversations financières ; un homme politique qui a fait une déclaration de patrimoine alors que rien ne l’obligeait ; qui n’a fait que se conformer à un système de gestion qui a fait plus de quarante (40) ans droit de cité alors qu’il était illégal et encore, la question fondamentale : Pourquoi l’Etat, durant toute cette période, n’a pas réagi ? Vous conviendrez que sur le plan juridique, un tel personnage bénéficie de sérieuses présomptions d’innocence mettant en cause l’accusation de détournement de deniers publics d’autant plus que rien n’a été démontré qu’il utilisait ces fonds à titre privé. Quant à l’accusation d’escroquerie de deniers publics, s’il est admis que les faux ont été à l’origine du décaissement des fonds, une question se pose : Khalifa Sall savait-il qu’il commettait une infraction ? En droit pénal, l’infraction est un fait visé, puni par la loi et pouvant être imputable à son auteur. Elle est constituée de trois éléments généraux coexistant (légal, matériel, intentionnel) si bien que l’absence de l’un d’eux équivaut à sa disparition.

Je ne m’étendrai pas sur les deux premiers éléments,  mais plutôt sur le troisième, c’est-à-dire le rapport psychologique qui existe entre Khalifa Sall et son acte appelé communément l’élément intentionnel, où le droit pénal a fait une distinction entre les infractions non intentionnelles et les infractions intentionnelles. Dans le premier cas, l’intention ne joue aucun rôle à l’instar du second où l’intention est constitutive de délit qui est l’élément indispensable pour punir de l’agent pénal. Khalifa Sall ne peut être puni que s’il est prouvé qu’il avait en toute conscience manifesté une volonté de commettre des actes interdits par la loi. Ma défense, à l’égard des éléments précités, dispose de sérieuses chances de prospérer bien que je ne remets nullement en cause celle de ses avocats. En effet, pour juger une affaire qui lui est soumise, le juge ne se limite plus au texte c’est-à-dire à la règle de droit, mais il va au-delà de la faute pour rechercher le motif, appelé le mobile ou les situations de droit ou de fait qui ont été à l’origine de la commission de l’infraction. C’est à partir de ces constats dont ceux de la défense du maire et nonobstant ses pouvoirs discrétionnaires que sa décision est prise. Une décision très attendue qui ne peut être que profitable au maire. Telle est ma seconde analyse sur le plan juridique et d’exposer cette affaire sur le plan politique.

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Ainsi, l’affaire du maire de Dakar a toujours été qualifiée de procès politique. A cet effet, je voudrais lever toute équivoque, à savoir que la politique est au cœur de tous les aspects de la vie, car tout est politique. Exemple : vous n’appartenez pas à une association politique, vous n’avez pas de carte d’électeur, vous ne suivez même pas les évènements politiques, alors un matin vous entrez dans la boutique du coin pour chercher une miche de pain et le tenancier vous dit qu’il y a une augmentation du prix, vous n’êtes pas content, ne serait-ce que vous ne l’avez pas prévu dans votre budget, vous réagissez en paroles sans savoir que durant tout ce temps vous faites de la politique, parce que vos intérêts ont été menacés. D’après Max Weber, je cite : «La politique peut être considérée comme l’ensemble des entreprises et des activités qui ont pour objet de participer au pouvoir ou d’influencer la répartition du pouvoir, soit entre les Etats soit entre les divers groupes à l’intérieur d’un même Etat.» Il reste entendu que participer au pouvoir ou influencer les rapports du pouvoir équivaut à la sauvegarde ou à la recherche d’intérêts. En effet, les Etats ou les groupes sont composés d’individus dont chacun à ses propres intérêts avant les intérêts communs aux Etats ou aux groupes. La politique, je cite, est : «Ce cadre spatial au sein duquel cohabitent et s’affrontent pouvoirs et libertés dans le but de sauvegarder ou de rechercher des intérêts.» Dans la vie, chacun défend ses intérêts, quitte à se regrouper pour le besoin de la cause. Le Président Abdou Diouf disait : «Je ne vais pas scier la branche sur laquelle je suis assis.» Et l’éminent Professeur et ancien directeur du Cesti, feu Oumar Diagne, de le conforter en ces termes éclairants : «On ne marque pas contre son camp…» Tout cela, pour dire que si Macky Sall aspire à un second mandat et qu’il a un adversaire souillé dans une affaire de faux et usage de faux en écritures, il n’a aucun intérêt à agir. L’affaire de l’ancien président du Conseil, feu Mamadou Dia, et autres dans le régime parlementaire de 1960-1962 en est une parfaite illustration. Tout comme celle des chantiers de Thiès où l’ancien Premier ministre, Idrissa Seck, s’est fait épingler. Et loin d’être un militant de l’Apr ou Bby, désillusionnons-nous un peu, le temps est venu d’accepter les règles du jeu de la politique si nous voulons être de véritables acteurs politiques ; que nous ne sommes que des adversaires politiques et non des ennemis. Tout un chacun (pouvoir et opposition) dispose d’un programme politique qu’il souhaiterait mettre au service de cette très aimable Nation qui est la nôtre et qu’en adviendrait-il si vos intérêts sont menacés dans le cadre de son exécution ? Encore que le moment est venu pour que nos hommes politiques prescrivent des remèdes de sortie de crise ou de conflit et qu’ils soient les premiers à les respecter ou les appliquer.

Je ne puis terminer sans rassurer les partisans de l’instrumentalisation du juridique par la politique pour qu’ils se détrompent, car bien avant la naissance de l’Etat qui se situe au 16ᵉ siècle, la politique a toujours eu la mainmise sur le juridique. D’ailleurs, il convient de rappeler que c’est la politique qui a été à l’origine de la naissance du juridique ; d’où les propos du Professeur Robert Charvin, je cite : «La politique est la matrice du juridique et le juridique est l’expression idéologique de la politique.» Ces deux concepts sont intimement liés du fait que l’ordre (le droit) a été proposé et établi par les hommes politiques en fonction de la conception qu’ils ont du type d’Etat qu’ils veulent. Le général de Gaulle disait : «La France n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts.» Et cette déclaration attribuée à Lord Palmerston, un homme politique anglais, je cite : «L’Angle­terre n’a pas d’amis ou d’ennemis permanents, elle n’a que des intérêts permanents.» Le Professeur Mamadou Yaya Diallo de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Ucad, un redoutable spécialiste du droit international public, a rappelé que l’Assemblée générale des Nations unies, par la résolution n° 685 du 5 décembre 1952, avait demandé à la Com­mission du droit international d’étudier en priorité la codification de la question des Relations et immunités diplomatiques qui a abouti à la Convention de Vienne du 18 avril 1961, portant sur les relations diplomatiques. Mais cette convention, bien qu’elle ait repris la structure générale du régime coutumier, a introduit de nombreuses nouvelles dispositions pour répondre aux exigences de nouveaux Etats. Ainsi, on peut comprendre qu’exigences d’Etats laissent entendre intérêts d’Etats ; ce que témoignent les propos du Professeur Serge Sûr, pour qui : «Les Etats ont davantage une vision instrumentale du droit que légaliste.» Dès lors, il apparaît que le droit international comme tout corpus juridique et normatif, à l’instar du droit national, n’échappe pas au risque d’instrumentalisation. C’est-à-dire transformer les ambitions politiques en règles de droit comme le fait brillamment le Président Macky Sall. Ce qui justifie l’étanchéité de la frontière entre le droit et la politique que l’on retrouve dans les propos du doyen Rivers lorsqu’il considère que «le droit a la politique dans son sang». Et pour le combattre, il faut attaquer la Constitution, les lois constitutionnelles, les lois ordinaires et autres… et non la personne du Président.

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Certes au Sénégal la Constitution a donné trop de pouvoirs aux institutions de la République, mais le seul combat qu’il faille porte intégralement sur une réforme des textes. Levons-nous ensemble et combattons ces textes ! Et encore que Macky Sall a posé les jalons devant aboutir à cette solution qui certes concerne un aspect de la vie par la création récente du comité de concertation sur la modernisation de la magistrature présidé par le Professeur Isaac Yankhoba Ndiaye de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Ucad, un féru du droit à qui je souhaite une bonne continuation.

Nalla NDIAYE 

Masters 2 / Ressources Humaines

Sciences Politiques/Ucad

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