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Gestion Des Ressources Pétro-gazières Offshore: Quelles Issues Pour L’etat Du Sénégal ?

Gestion Des Ressources Pétro-gazières Offshore: Quelles Issues Pour L’etat Du Sénégal ?

En 2004, le rapport d’Evaluation des Industries Extractives, commissionné par le Groupe de la Banque Mondiale (GBM), paru le 16 juin dans le Financial Times britanique précise en ces termes : « Non seulement les industries pétrolières, gazières et minières n’ont pas aidé les populations les plus pauvres des pays en voie de développement, mais elles ont appauvri davantage……Cela signifie-t-il que les industries extractives ne peuvent jamais jouer un rôle positif dans l’économie d’une nation ? Non cela signifie simplement que le seul cas d’un rôle positif que nous ayons pu trouver, concerne des pays dont le régime démocratique s’était à ce point développé que même les plus pauvres pouvaient en tirer certains bénéfices. Mais tant que les éléments fondamentaux constitutifs d’une bonne gouvernance- presse libre, système judiciaire opérationnel, respect des droits de l’homme, élections libres et justes- ne sont pas mis en place, le développement de ces industries ne fait qu’aggraver la situation des plus pauvres » (extrait de l’éditorial).

Dans ce cadre, je me permets d’orienter ma contribution sur les éléments suivants afin de mieux attirer l’attention des décideurs sur les risques liés au piège du paradoxe de l’abondance. Pour ce faire, nous commençons, d’une part à analyser les enjeux du principe de partage de ressources entre l’Etat et les contractants pour l’exploitation des hydrocarbures offshore et d’autre part, à approfondir la réflexion sur les défis clés qui peuvent soutenir un modèle de développement durable des ressources naturelles marines pour le Sénégal.

L’exploitation pétrolière se développe déjà en Afrique à partir des années 1950 dans le Golfe de Guinée, entre le Nigeria (1958) et l’Angola (1959). A cela s’ajoute les pays du Maghreb avec l’Algérie (1958) et la Libye en 1961. À partir des années 1980, l’exploration pétrolière offshore débute. Et rapidement de nombreuses découvertes ont lieu dans le domaine de l’offshore profond (à plus de 1 000 mètres de fond). Elle progresse au cours de la phase récente caractérisée par une augmentation de la demande et des prix élevés (fin 1990-2014), avec la mise en exploitation de nouveaux gisements en Guinée Equatoriale (1993) puis l’exploitation de nouveaux gisements dans les anciens pays producteurs (Angola, Nigeria, Congo Brazza, Gabon) et l’exploitation de gisements dans de nouveaux pays comme le Tchad (2003), la Mauritanie (2006), le Ghana (2010) et le Niger (2011).

Au Sénégal, une part significative des nouvelles découvertes concerne l’offshore ultra-profond (supérieur à 1500 m de profondeur (puits de SNE dans le bloc de Sangomar offshore profond et puits de Gueumbeul dans le bloc de Saint-Louis Offshore profond), 2014 & 2015.

Force est de constater que l’Afrique est ainsi un continent où les entreprises pétrolières peuvent acquérir des droits d’accès et d’exploitation des ressources dans des conditions intéressantes, soit une part élevée dans le partage de ressources et de positions dominantes dans les consortiums d’exploitation. Le Sénégal fait-il exception de cette réalité ?

Si nous interrogeons les contrats pétroliers déjà signés entre l’Etat du Sénégal et les contractants Cairn Energy, Timis corporation & Kosmos Energy et Total etc., la part affectée au recouvrement des coûts, appelé autrement « cost oil » ou « cost gas » est de l’ordre 75 %. Ce taux élevé, constitue un piège pour les pays africains producteurs de pétrole et notamment pour les nouvelles frontières ayant des réserves en hydrocarbures économiquement rentables dans leur sous-sol comme le Sénégal.

Avant d’en arriver aux détails, on peut souligner la logique du fonctionnement du principe du contrat de partage de production (CPP) ou celui du contrat de recherche de partage de production (CRPP). A ce niveau, l’idée de ce type de contrat indique tout simplement que la production doit être partagée entre l’Etat et le contractant de la manière suivante :

  • une part fixe, intitulé « cost oil » dont la vente sert au remboursement des coûts supportés par la compagnie ;
  • le complément, intitulé « profit oil » est partagé entre l’Etat Hôte et la compagnie, suivant une clé de répartition fixée par les termes du contrat.

De cette formule, découle la question suivante : si le « cost oil » ou « cost gas » disponible est supérieur aux coûts, compte-tenu de la volatilité des cours du baril sur le marché mondial, quelle serait la règle spécifique applicable pour le partage de la ressource disponible ou de la manne financière ?

Aussi, la révision du code pétrolier pendra-t-il en compte le volet du « excess oil » ou « excess gas », c’est-à-dire le surplus. Les maitres du droit nous disent souvent qu’en droit : « ce qui n’est écrit n’est interdit », juste pour dire que ce qui se négocie de gré à gré peut encore favoriser la corruption ou l’opacité.

Je note également que le fait de sous-estimer 1 % de plus dans le « profit oil », peut faire perdre l’Etat des millions de dollars. Dans ce cas, j’invite à ceux qui signent les contrats pétroliers d’être accompagnés à des différents services d’expert non seulement pour mieux défendre les intérêts du Sénégal mais surtout pour bien prendre en compte les pertes et dommages situés dans le secteur de l’environnement marin notamment la pêche et la biodiversité marine.

Le tableau suivant, illustre l’exemple du CRPP entre l’Etat du Sénégal et le contractant (Pétrosen 10 %, Timis Corporation 30 % et Kosmos Energy 60 %), après la cession des parts de Timis Corporation le consortium est maintenant composé de pétrosen 10 % Kosmos energy 30 % British Pétroleum 60 % de la part des actions. Cette analyse nous permettra de mesurer à qui profite réellement sur les contrats pétroliers ?

Tableau : Partage du « profil oil », soit les 25 % de la production restante

Production/j (Barils ou gaz équivalentEtatContractant
Inférieur à 30 00035 %65 %
30 001à 60 0004060 %
60 001à 90 0005050 %
90 000à 120 0005446 %
Supérieur à 120 0005842 %

Après la répartition des valeurs relatives entre 75 % pour le « cost oil » et 25 % pour le « profit oil », la part de l’Etat est définie principalement sur la rubrique « profit oil » L’Etat occupera 35 % si la production journalière est inférieure à 30 000 barils ou gaz équivalent ou 58 % si la production journalière est supérieure à 120 000 barils ou gaz équivalent. L’Etat a encore intérêt à étudier minutieusement ce que cette formule lui apporte réellement en termes de bénéfice. Le jeu d’intérêt des contrats se situe principalement à ce niveau. A moins qu’il accepte de signer des clauses de renégociation et non de stabilisation. De plus, l’Etat bénéficie également des outils fiscaux que le droit (code pétrolier 98) lui autorise (Impôt & taxe, etc.). De même, il bénéfice encore des dividendes provenant du compte de la société nationale Pétrosen et d’autres avantages portant sur des primes et bonus, etc. C’est pour cela on peut déduire qu’il a principalement trois sources de revenu : Impôts & Taxes, bonus ou prime ; part du « profit oil » et dividende au niveau de Pétrosen pour ses 10 % d’action supportées ou plus. Mais ses principales sources de revenu ne lui permettent pas toujours de maximiser ses intérêts à cause d’une forte asymétrie sur le rapport entre le « cost oil » 75 % et le « profil oil » 25 %. Il est fort probable que la rentabilité de la pêche maritime diminue quand la production des hydrocarbures va prendre forme, raison pour laquelle une évaluation environnementale stratégique semble toujours nécessaire pour mieux négocier avec les multinationales dans le jeu des contrats. L’écart sur les taux de pourcentage est considérable et cela est encore plus profitable pour le contractant qui peut non seulement récupérer sans soucis toutes les dépenses effectuées mais avec des possibilités d’exagération sur la présentation des factures relatives aux coûts d’investissement portant sur le bilan de explo1, capex2 et opex3. La nature de ces dépenses est difficile à contrôler et à vérifier par les Etats Africains d’où l’intérêt de faire une inclinaison sur la notion de transparence pour mieux prendre en compte l’ensemble des considérations et des processus d’extraction liés notamment à la transparence extra-financier de la chaine de valeur de l’industrie pétrolière.

Le jeu d’acteurs autour de l’exploitation des ressources extractives de manière générale et celle d’hydrocarbure en particulier est complexe. Souvent les Etats hôtes sont largement dominés dans les processus de négociation. Pour parvenir à avoir une meilleure compréhension de la logique des intérêts entre acteurs, je vous propose une adaptation d’une typologie, proposée par le géographe Claude Raffestin dans son ouvrage de 1980, « Pour une géographie du pouvoir ». Son modèle d’analyse est utile pour comprendre les relations contemporaines entre acteurs autour de l’exploitation des ressources naturelles notamment pétro-gazières. Dans son analyse, Raffestin dégage quatre types d’acteurs :

Acteur A désigne des pays qui n’ont pas des ressources naturelles stratégiques comme le cas du Bénin ou de Lesotho.

Acteur AM renvoie à des acteurs, disposant sur leur territoire de matière, mais pas de la capacité à la transformer en ressource. Dans ce cas, on peut citer le Sénégal et beaucoup d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest. Certains ont du pétrole, du gaz et des minerais mais sans l’implication des multinationales, ces ressources extractives continueront de rester dans leur sous-sol.

Acteur R définit les acteurs qui ont eu la capacité à transformer la matière en ressource, ce qui suppose une capacité technique, financière, organisationnelle, de mise en relation et, donc, de mise en mouvement. En effet, la France en est un bon exemple. Elle n’a presque pas de pétrole, pas d’uranium non plus sur son sol, mais elle a des entreprises comme Total, Areva, capables d’extraire ces matières dans les autres pays, de les transporter et de les transformer jusqu’à leur mise en consommation.

  • (EXPLO) : COUTS D’EXPLORATION. Ils correspondent aux dépenses liées à l’exploration d’un permis de recherche
  • (CAPEX) : COUTS D’INVESTISSEMENTS. Ils correspondent aux dépenses liées au développement des installations requises pour la production
  • (OPEX) : FRAIS D’EXPLOITATION. Ils correspondent aux dépenses liées à l’exploitation des installations

Acteur AMR, la catégorie ARM, désigne des acteurs qui disposent de quantités de matières importantes sur leur territoire, d’une part, mais également de la capacité à les mettre en mouvement et à les transformer en ressources, d’autre part. Les meilleurs exemples sont les Etats Unis, le Canada, l’Arabie Saoudite et l’Australie qui disposent de grandes quantités de réserves de pétrole, de gaz, de charbon et des minerais variés et qui peuvent également assurer l’auto-exploitation pour entrer dans la logique de nationalisme pétrolier.

A travers ce cas de figure, il est permis de dire que les relations qui associent ces différents acteurs sont des relations asymétriques, donc déséquilibrées et très souvent les pays africains sont les grands perdants à cause des insuffisances liées à plusieurs facteurs et surtout d’ordre politique et réglementaire.

Pour pouvoir bien relever les défis face à ce contexte particulier et original, le Sénégal doit d’ores et déjà promouvoir des débats de solution et surtout faciliter les exercices de dialogue politiques mais surtout de prêter l’oreille aux jeunes sénégalais qui s’y connaissent. Il est constaté quelque part que la gestion des ressources pétro-gazières offshore nécessite une conduite collective réunissant tous les acteurs impliqués à savoir l’Etat et ses communautés impactées, les sociétés pétrolières contractantes et la société civile, en vue d’une planification et d’une gestion mieux intégrées des ressources naturelles marines et d’une prise en considération des conséquences environnementales, géopolitiques, politiques, économiques et sociales des changements planifiés.

En l’absence d’une bonne compréhension des enjeux, le secteur pétrolier risque de devenir un terrain d’affrontement entre les intérêts locaux et les investisseurs étrangers, entre l’Etat et sa population, entre l’Etat et les contractants, mais également entre l’Etat et les pays voisins, voire entre les contractants de l’Etats et la société civile notamment les ONG et les associations, ou encore entre le contractant et ses associés. De même, l’absence de dialogue institutionnalisé avec la société civile et les responsables du gouvernement et/ou le pouvoir et l’opposition peuvent fragiliser davantage la cohésion nationale en favorisant les fléaux de la malédiction des ressources naturelles ou du syndrome hollandais.

Les efforts pour gérer de manière transparente les ressources naturelles sont à saluer et à encourager. En mars 2016, la constitution a adopté de nouvelles lois portant sur la reconnaissance de nouveaux droits aux citoyens. A cet effet, 25 prévoit que « les ressources naturelles appartiennent au peuple » il s’y ajoute dans 25.3 que « Tout citoyen a le devoir de préserver les ressources naturelles et l’environnement du pays et d’œuvrer pour le développement durable au profit des générations présentes et futures ». De même la création du Cos-Pétro-gaz voit le jour quelques temps après les découvertes importantes en hydrocarbure en espérant que cela soit un outil efficace et pertinent pour suivre plus ou moins les pas de l’initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) et celui du publiez ce que vous payez (PCQVP).

Avant de pouvoir sauter sur les opportunités tant attendues par le peuple sénégalais et particulièrement par le régime actuel, il faudrait à l’Etat et les autres parties prenantes clés de jouer pleinement leur rôle et de relever les défis suivants.

D1 : Concilier la pêche et les hydrocarbures dans le secteur de l’environnement marin. C’est vrai que ce n’est pas une tâche facile à réussir mais avec la volonté politique et le sens de la responsabilité des compagnies à respecter les conventions et les bonnes pratiques, l’espoir sera bien permis.

D2 : Transformer la future manne financière en une opportunité de développement bénéfique aux populations notamment locales et d’éviter le risque de potentiel conflit : le spectre du Nigeria.

D3 : Adopter des réformes législatives ayant trait à la gestion des ressources pétro-gazières en suivant le pas des pays qui ont connu un succès sur la gestion optimale des ressources extractives notamment pétrole et gaz. Par exemple au Ghana, « le parlement a voté à l’unanimité en mars 2011 une loi sur les revenus du pétrole répartissant les fonds de la manière suivante : 60 % consacrés au budget de l’État, 30 % au Fonds de stabilisation et 10 % réservés aux générations futures, copiant en cela le modèle norvégien. Mais le Sénégal peut encore faire mieux.

D4 : Renforcer le mécanisme contractuel garantissant la part de revenus de l’Etat du Sénégal

D5 : Prendre bien en compte les préoccupations environnementales car la protection des ressources renouvelables offshore est essentielle en milieu offshore. Elle permet de préserver la pêche, la biodiversité marine et l’intérêt des pêcheurs locaux. La durée de vie des projets pétroliers est limitée surtout pour la zone géographique de l’écorégion marine ouest africaine contrairement au contexte de la mer du Nord. Les durées estimées par Kosmos et Woodside pour l’exploitation successive du gaz naturel et du pétrole brut peuvent ne pas dépasser les 50 ans à venir en entendant de trouver d’autres découvertes supplémentaires dans les autres blocs tel que celui de Total. En faisant une analyse sur l’effet miroir, le bloc de Rufisque Offshore peut être très abondant en terme de réserve d’hydrocarbure. Mais jusqu’ici n’oublier pas que le risque zéro n’existe pas et les cas d’accident ne sont pas rarissimes. Si ça nous arrive de subir les mêmes erreurs survenues le 17 mai 2010, lors de l’exploration du puits de Macondo dans le golf de Mexique, mandaté par British Pétroleum (BP), cela peut être très fatal pour le devenir du pays car le secteur de la pêche maritime constitue une importance capitale pour le Sénégal (devises, revenus, nourritures, emplois et stabilité sociale etc.). Donc l’intervention rapide du plan d’urgence du niveau 3 doit être bien assurée et garantie en cas de catastrophe non désirée.

 

Abdou GUEYE

Spécialiste en hydrocarbures

Email : abdourahmangueye@gmail.com

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