L’actualité de l’œuvre de Ousmane SEMBENE en écho des faits sociaux se dévoile au quotidien. La scène sur la permutation de cadavres d’un musulman et d’un chrétien décrit dans « Guelwaar » refait surface dans un village du Sénégal des profondeurs.
Dans « Le Mandat », Ibrahima DIENG vêtu d’un grand boubou bazin bien amidonné sous les dehors d’une pauvreté certaine est pris à partie en pleine rue par une mendiante arborant différentes tenues d’un moment à l’autre, qui le harcèle à maintes reprises afin de lui soutirer de l’argent. Ibrahima DIENG qui la démasque est accusé d’harcèlement sexuel par la même mendiante. Tout d’un coup une foule de personnes se rua sur Ibrahima DIENG et lui asséna injustement des coups.
DIENG apprendra à ses dépens qu’« Il n y a que la fourberie qui paie ; l’honnêteté est un délit de nos jours dans ce pays ». Et SEMBENE dans sa sagesse visionnaire nous dirait que « l’apparence est souvent trompeuse ».
Cinquante ans après « Le Mandat », l’histoire semble se répéter. Une scène de la vie courante ressurgit dans une société marquée par l’analyse superficielle de faits sociaux, préétablie, au point de condamner à mort par l’œil de la compassion irraisonnée tout ce qui touche à l’être humain visiblement fragile, défavorisé ou démuni. Une telle mentalité serait le motif qui gouverne l’incrimination populaire et spontanée de l’Agent de Sécurité de Proximité (ASP) qui est accusé d’avoir battu sauvagement et de manière délibérée une femme à mobilité réduite.
Que se serait-il passé entre l’ASP et la mendiante?
Un jugement populaire a condamné à mort sans appel l’ASP sans lui donner la possibilité de donner sa version des faits. Et voilà que nous apprenons que la vérité serait tout autre. En effet, selon un article paru dans le site d’information en ligne SENEWEB, l’ASP raconte les faits suivants « que la vidéo ne rend pas compte fidèlement de toute la scène ; elle ne montre pas le moment où les mendiantes le malmenaient, lui assénant des coups de bâtons et de béquilles, ce qui lui aurait causé une blessure au tibia qu’il a montré aux enquêteurs ( …) En outre, l’ASP, Guer Mamadou MBOW affirme que la vidéo polémique a été prise alors qu’il tentait d’échapper à la furie de ses agresseurs présumés dont l’une lui empoignait le sexe tandis que les autres tenaient sa jambe et sa ceinture ; il dut enlever celle-ci après que la boucle a sauté ; un geste qui a fait croire qu’il s’est emparé de sa ceinture avec l’intention de corriger les mendiantes. Il assure que c’était le seul moyen pour lui de se libérer de leur emprise ». Effectivement, en regardant de près la vidéo, on se rend compte que l’ASP essaie de se libérer de la femme handicapée qui lui tenait ses parties intimes ; ce qui expliquerait ses coups de pieds. Vu sous cet angle, l’ASP serait victime de cette arme redoutable de femmes handicapées ou pas qui consiste à s’agripper à des parties intimes de l’homme en cas de querelles. Un tel fait se produit dans les ménages, les services publics et administratifs et est souvent motivé par un souci d’humiliation extrême, dans la mesure où compte tenu de la pudeur qui caractérise notre société, la victime est poussée à taire sa souffrance au risque d’être jugée coupable à tort.
Que faut-il en tirer ?
Nous assistons à des jugements passionnels ou sensationnels qui peuvent détruire toute une vie d’une personne ou d’une famille. Face à de tels faits, il importe que les Sénégalais restent lucides et fassent preuve de retenue pour nous épargner des drames familiaux, ethniques, religieux, comme d’autres pays ont eu à le vivre d’une façon tragique.
Pour le maintien de la paix et de la cohésion sociale, nous devons réfléchir et chercher à avoir la bonne version des faits avant de nous adonner à des jugements imprudents. Attention aux dérives. La vindicte populaire, si l’on n’y prend garde, risque de se substituer au verdict éclairé de notre justice.