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Notre Ami De Ryad

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Pourquoi l’exécution du journaliste Jamal Khashoggi a-t-elle tant choqué l’opinion publique à travers le monde ? L’Arabie Saoudite est pourtant connue pour ses décapitations régulières d’opposants et de militants des droits de l’homme. L’AFP a établi qu’en 2016 parmi les 90 personnes exécutées, tout à fait officiellement, figurent de simples « opposants au régime » ou des « manifestants laïcs ».

En outre, la traque et l’exécution d’adversaires politiques, d’espions et de détenteurs de secrets d’Etat particulièrement sensibles, relèvent, malheureusement, de ces pratiques dont les Etats à travers le monde, ont toujours utilisé. Nombre d’assassinats d’hommes politiques arabes, palestiniens et même de simples militants de la cause palestinienne ont ainsi été commis par Israël à travers le monde sans conséquence majeure.

« Depuis la Seconde Guerre mondiale, Israël a eu davantage recours aux meurtres et assassinats ciblés que tout autre pays occidental, mettant souvent en danger la vie de civils », confiait le journaliste israélien Ronen Bergam, auteur d’un livre sur la question au journal français L’Obs. On se souvient encore de l’enlèvement en plein Paris et de l’assassinat subséquent de Mehdi Ben Barka, le principal opposant du roi Hassan II du Maroc, en 1965. On n’a à ce jour pas retrouvé le corps. Ainsi que de l’assassinat en 2014, à Johannesburg, de l’opposant rwandais, Patrick Karegeya, un ancien chef des renseignements extérieurs de son pays.

Ces assassinats ciblés émeuvent certes les opinions publiques mais ne provoquent pas l’indignation et l’horreur que « l’affaire Khashoggi » a suscité à travers le monde. Ce n’est pas seulement parce que le sort de la victime en tant que journaliste, mort pratiquement dans l’exercice de son métier, a suscité la compassion et la solidarité de la profession, au Washington Post, dont il était un collaborateur, et dans toute la presse aux  Etats-Unis et en Europe.

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Il y a aussi que la « communication » du Royaume saoudien, basée d’abord sur le déni pur et simple, puis sur la dénonciation de comparses et enfin sur le demi aveu, relève du trouble de l’assassin pris pratiquement les mains encore dégoulinantes de sang.

Si l’assassinat de Jamal Khashoggi  a tant  choqué l’opinion publique c’est surtout parce qu’il a mis à nu le vrai visage du royaume wahhabite : son arrogance, son mépris des convenances diplomatiques et son intolérance de toute opposition fut elle aussi modérée que celle de cet éditorialiste du quotidien de la capitale américaine. Si ce sont là les traits caractéristiques de la maison des Saoud, ils sont devenus plus grossiers depuis l’avènement du jeune prince Mohammed Ben Salman, promu héritier du trône.

Ainsi à l’injonction de ce dernier, l’Arabie Saoudite s’est engagé dans la guerre civile du Yémen contre la rébellion Houthi, créant une situation que le Secrétaire de l’ONU, Antonio Guiterres, décrit comme « la pire crise humanitaire dans le monde ». Il y a aussi l’arrestation de dizaines de princes, ministres et autres notables qu’il a ordonné sans autre forme de procès, dès sa prise de pouvoir.

Et encore, cette incroyable immixtion dans les affaires intérieures d’un pays étranger : la convocation à Ryad du Premier ministre du Liban Saad Hariri, dont il a exigé et obtenu la démission de son poste séance tenante et qu’il a placé en résidence surveillée. Le Premier ministre libanais n’a été libéré a n’a pu reprendre ses fonctions dans son pays que grâce à l’intervention de la communauté internationale.

On se souvient aussi de la rupture brutale des relations diplomatiques et commerciales prononcée par le prince en 2017 entre l’Arabie saoudite et le Qatar, sommé de s’appliquer des mesures humiliantes et mis sous embargo du jour au lendemain.

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La manœuvre n’aboutira qu’à scinder la Oumah islamique : certains pays, notamment l’Egypte, Bahreïn, les Emirats Arabes Unis et notre pays s’alignant derrière l’Arabie saoudite alors que d’autres sous l’égide de la Turquie prenaient fait et cause pour le Qatar. Puis ce fut le tour de l’Espagne, de l’Allemagne et du Canada qui avaient osé critiquer « la politique étrangère de Ryad » ou demander la libération d’une activiste des droits de la femme. Le royaume wahhabite de rappeler alors ses ambassadeurs, rapatrier ses étudiants et interdire « toute nouvelle transaction concernant le commerce et les investissements » avec ces pays. L’Espagne et l’Allemagne ont dû, tour à tour, toute honte bue, sous la pression leurs industriels privés des juteux contrats saoudiens, subir l’humiliation de présenter de plates excuses.

C’est que la maison des Saoud, est forte de son statut de capitale de la Oumah islamique, gardienne des Deux Saintes Mosquées, de son rang de premier producteur de pétrole au monde, de son arsenal dernier cri et d’un budget militaire parmi les plus élevés au monde. En plus son alliance stratégique avec les USA s’est renforcée avec l’élection de Donald Trump et la passation d’un contrat d’armement de 100 milliards de dollars.

Aussi, avec l’ascension de Mohammed Ben Salman, comme la grenouille de la fable, l’Arabie Saoudite s’est rêvée aussi grosse que le bœuf. D’autant que son ambassadeur auprès des Nations-Unies a quand même été nommé le 22 septembre 2015 à la tête du panel du Conseil des droits de l’Homme, malgré les protestations des organisations des droits de l’homme à travers le monde. Avec l’affaire Khashoggi, la grenouille a éclaté !

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C’est que dans la configuration géopolitique actuelle, la puissance des nations ne découle plus de la force militaire et diplomatique, ni même de la seule puissance économique et du soft power mais aussi, et de plus en plus, du respect des autres nations et des conventions internationales.

La diplomatie sénégalaise gagnerait à intégrer ces valeurs dans son analyse des situations internationales, à cesser de s’aligner systématiquement derrière l’Arabie (ou tout autre pays du reste) et à cautionner sa politique au Yémen et en Syrie notamment.

abathily@seneplus.com

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