Jacques Chirac, qui avait le sens de la formule mordante, disait un jour, excédé : «Je ne vais pas mettre ces trucs (écouteurs). J’entends très bien et cela me permet de ne pas entendre certains cons.»
Le fer de la Falémé en friche jusqu’à l’an 3019
Pierre Goudiaby Atépa a assurément du culot à revendre ou il considère ses compatriotes comme des gens «stupides, qui manquent d’intelligence» ? Tout le monde sait qu’il n’est candidat à rien du tout, mais profite de la tribune qu’offre l’ambiance de la course à la présidentielle de 2019, pour annoncer une candidature qui n’est que virtuelle. Il ne fait d’ailleurs pas grand-chose pour obtenir les parrainages nécessaires car il sait parfaitement qu’il ne pourra pas les avoir. Mais cela lui donne l’occasion de faire du spectacle, comme prendre l’initiative de réunir chez lui une dizaine de candidats déclarés comme lui, on dira «sans aucune illusion», pour chercher à prodiguer des leçons de patriotisme économique. Le 21 octobre 2018, ce groupe a sorti une déclaration mettant en garde le gouvernement du Sénégal, notamment le président Macky Sall, de ne pas conclure un contrat avec la société turque Tosyali, pour l’exploitation du fer de la Falémé, dans le Sud-Est du Sénégal. Pierre Goudiaby Atépa et son groupe affirment vouloir sauvegarder les intérêts du Sénégal ? Atépa est assurément le moins bien placé pour parler ainsi. Il n’y a pas encore cent ans ! Qui avait amené les sociétés Lithos et Kumba Resources au Sénégal pour bénéficier d’un contrat de concession de l’exploitation de ces gisements de fer de la Falémé ?
C’était bien Pierre Goudiaby Atépa. Avait-il fait preuve de transparence à l’époque ? Quelle était la posture de Atépa quand le président Wade avait retiré la concession à Kumba Resources au profit de Arcelor-Mittal, qui semblait offrir mieux et surtout quand Kumba Resources trainait le Sénégal devant les instances internationales pour obtenir finalement une réparation de quelque 75 milliards de francs Cfa, que le régime du président Sall a payé rubis sur ongle ? Les cosignataires de la déclaration ne peuvent l’ignorer, car nombre d’entre eux étaient présents autour de la table du Conseil des ministres du président Wade quand ces questions se discutaient. Au temps où le président Wade accordait ces concessions, Atépa demandait-il une large concertation et un consensus national sur la gestion des ressources minières du Sénégal ? Atépa avait-il demandé les mêmes concertations quand il s’était agi de donner des concessions pour l’exploitation des minerais de zircon à Diogo et en Casamance ? Qui avait «coaché» la société australienne MDL, pour obtenir une concession aurifère à Sabodala ? Atépa s’entend-il parler de transparence et de concertation nationale sur les ressources minières ? Est-ce seulement maintenant que cette question de la gestion des ressources minières du Sénégal devient un «enjeu de transparence démocratique» et que «les orientations stratégiques doivent faire l’objet d’une concertation à l’échelon national» ?
Avait-il préconisé des concertations et un consensus national quand il faisait dépecer les terres de l’aéroport de Dakar pour payer en datation les travaux de l’érection du Monument de la Renaissance africaine ? Avait-il songé à des concertations nationales ou à un consensus national quand il préconisait de lever la souveraineté nationale du Sénégal sur une partie du territoire pour ériger une Principauté à Karabane ? Avait-il préconisé la concertation quand il annonçait, en grande pompe, la création d’une industrie sucrière en Casamance, qui attend encore de voir sortir ses premiers paquets de sucre ? Last but not least, qui avait fait venir Franck Timis au Sénégal et suggéré qu’un certain Aliou Sall fût désigné représentant de Petrotim-Sénégal ? Pour ce qui le concerne, l’ancien Premier ministre, Abdoul Mbaye, avait-il eu cure de l’absence de concertation nationale et de consensus national quand il obtenait, avec sa société Sored-Mines, une concession aurifère en 2007, sur le site de Khossanto ?
Les populations et les élus locaux fulminaient alors qu’un permis avait été octroyé à Sored-Mines sans «la réalisation nécessaire et préalable d’une étude d’impact environnemental». Il peut être choquant de voir autant de complaisance et de se mettre à signer un document commun parce que simplement la déclaration se voulait être la manifestation d’une forme d’opposition à la gouvernance du président Sall. Mais le plus renversant, c’est aussi les argumentaires développés qui sont on ne peut plus puérils. On ne saurait en rire car le sujet est trop sérieux et le pedigree des signataires de la déclaration respectable. Mais comment peut-on mettre en garde le Sénégal de signer un contrat d’exploitation minière avec une société turque, pour éviter de fâcher d’autres pays ? Ils écrivent que le président Sall ne devrait pas signer le contrat «parce que le secteur de l’acier est au centre d’un enjeu géopolitique international qui oppose les USA, la Chine et l’Europe ; parce que le choix d’un partenaire turc pourrait mettre en péril nos partenariats en cours avec les autres et l’économie de notre pays, du fait des programmes en cours». On ne reconnait vraiment plus ceux qui prônaient l’indépendance nationale et les principes de souveraineté sur des questions essentielles comme la gestion du patrimoine national.
A en croire les signataires de la fameuse déclaration du 21 octobre 2018, il faudrait attendre d’engranger les ressources financières nécessaires pour développer, par nous-mêmes, le secteur sidérurgique. Ainsi, le choix judicieux serait d’attendre encore des décennies ou des siècles, avant de pouvoir exploiter le fer. Et puis, dans quel pays au monde démocratique et à l’économie de marché, voit-on encore l’Etat financer l’industrie sidérurgique ? Comment Cheikh Hadjibou Soumaré, ancien ministre du Budget et ancien Premier ministre, peut-il laisser croire que le Sénégal peut mobiliser, sur fonds propres, les financements nécessaires, à hauteur de 2 milliards de dollars, pour développer l’industrie sidérurgique avec les gisements de la Falémé ? Ils disent : «Parce que notre pays dispose avec nos richesses en pétrole et en gaz, d’un moyen exceptionnel d’être un acteur mondial du secteur de l’acier.» En d’autres termes, l’argent nécessaire sera tiré des revenus générés par l’exploitation du pétrole et du gaz. N’a-t-on pas déjà reproché au président Macky Sall d’avoir «fini de brader les ressources pétrolières et gazières du Sénégal» ?
En définitive, la question qui se pose est de savoir si le président Macky Sall devrait-il se montrer impuissant et laisser en friche les gisements de fer de la Falémé comme ses prédécesseurs. La solution peut être avec les Turcs de Toysali. Et alors ? On ne peut pas dénouer le dossier du contentieux avec Arcelor Mittal en obtenant pour le Sénégal, en 2014, un dédommagement de plus de 110 millions d’euros et surtout d’avoir finalement réussi à avoir les coudées franches sur la gestion du site de la Falémé, et ne pas chercher un nouveau partenaire pour la mise en valeur des gisements qui devront permettre d’extraire 25 millions de tonnes de minerais de fer par an et la création de quelque 10 mille emplois, sans compter des retombées fiscales et autres redevances pour l’Etat et les collectivités locales. Oui, le Sénégal devra signer et publier les contrats, comme il s’y engage dans le cadre de l’Initiative pour la Transparence dans les industries extractives (Itie). Et la meilleure réponse a été donnée la semaine dernière, en plein débat sur l’opportunité de conclure un accord avec Tosyali, avec la rencontre internationale tenue à Dakar et qui a regroupé les élites mondiales en charge des questions relatives à la transparence dans la gestion des ressources minières.
Des accusations de corruption, à l’emporte-pièce, noyées dans les eaux de Suez
La Sénégalaise des eaux (SDE) fait feu de tout bois. La concession qui lui avait été accordée pour la distribution de l’eau au Sénégal est arrivée à expiration depuis plusieurs années. L’Etat du Sénégal a alors naturellement lancé le processus de sélection d’une entreprise ayant les bonnes références pour remplir cette mission de service public. Un appel à candidatures a été ouvert et la SDE a manifesté son intérêt ainsi que deux autres sociétés, Suez et Veolia. On ne sait pas si la SDE a été désinvolte dans la préparation de son dossier technique, ayant peut-être la certitude de remporter la compétition, mais elle présenta la piètre offre technique. Il est de notoriété publique que la SDE a obtenu la plus mauvaise note lors de la phase d’évaluation des offres techniques. Une telle situation a eu à provoquer un certain charivari car le ministre de l’Hydraulique, Mansour Faye, a usé de ses prérogatives pour repêcher la SDE et lui permettre de continuer à participer au processus de sélection. La décision discrétionnaire du ministre Faye a eu à provoquer l’ire des autres concurrents. D’ailleurs, il se disait déjà que la SDE aurait soudoyé le ministre, pour qu’il prît une telle décision.
Dans les allées du gouvernement, la situation pouvait être gênante mais la position du ministre de l’Hydraulique était ferme. «On ne peut pas expliquer que la SDE qui s’est occupée de la distribution de l’eau pendant plus de 20 ans au Sénégal, se révèle incapable de poursuivre sa mission», ont rétorqué les services de Mansour Faye. Ainsi, la SDE, disqualifiée, est revenue dans le jeu, au grand dam des autres concurrents. A la dernière étape du processus de sélection, elle a pu présenter une offre financière avec un prix du mètre cube d’eau inférieur (286,9 francs Cfa) à ceux proposés par les autres concurrents (298,5 par Suez et 366,3 francs par Veolia). D’ailleurs le ministre Mansour Faye l’aurait révélé. Mais là où le bât blesse, c’est qu’il était apparu clairement que les données financières présentées par la SDE étaient manifestement erronées. La commission d’évaluation des offres s’en est rendu compte et a rejeté une nouvelle fois le dossier de la SDE. Le Directeur de l’administration générale et de l’Equipement (Dage) du ministère de l’Hydraulique, Mamadou Dioukhané, l’expliquera sans ambiguïté, soulignant «qu’il fallait une cohérence entre le compte d’exploitation prévisionnel, la technologie proposée et le fonctionnement de l’entreprise. L’offre financière seule ne fait pas la différence. Le choix est basé sur une combinaison des offres technique et financière».
Et puis, quelle sorte d’appel d’offres serait-ce que de permettre à un soumissionnaire d’aller corriger ses données erronées et de revenir ravir la vedette à ses concurrents ? Il demeure que la SDE ne pourrait garantir de maintenir le niveau de prix proposé, après avoir corrigé ses données financières.
Cette situation a pu être vérifiée par des responsables d’institutions financières internationales présentes à Dakar et auprès desquelles la SDE a eu à se plaindre. C’est pourquoi la Banque mondiale et d’autres, qui étaient saisis par des responsables de la SDE, s’en sont lavés proprement les mains, après avoir consulté les documents de référence. Ainsi, la société Suez est adjudicatrice du marché. La SDE et Veolia ont la latitude d’exercer leur droit à faire tous les recours pertinents. En attendant, les accusations de corruption pleuvent, même si elles restent à être prouvées.
La campagne médiatique est lancée et on voit bien des amalgames, comme l’allégation selon laquelle la DEe était détenue par des capitaux sénégalais à hauteur de 42%, contrairement aux autres concurrents. Un tel argument ne saurait prospérer car les conditions fixées par le gouvernement dans cet appel à concurrence est que la société adjudicatrice devrait être détenue par des nationaux sénégalais, à hauteur, au moins de 55% des parts de capital. La SDE aurait, elle-même, ouvert d’avantage son capital à des investisseurs sénégalais si elle avait gagné le marché. Quid du sort des travailleurs qui ont eu la présence d’esprit de refuser de porter un combat qui n’est pas le leur, pour reprendre le mot d’un responsable syndical ? Suez s’est engagée à reprendre tous les travailleurs sénégalais et à monter en puissance dans son recrutement de personnels, avec la mise en service des forages de Keur Momar Sarr 1, 2, et 3. Et puis, franchement, le consommateur sénégalais au nom duquel tout le monde prétend parler, n’a rien à cirer que ce soit Suez ou SDE ou Veolia qui lui distribue son eau. Pourvu que l’eau soit en quantité suffisante, de bonne qualité et au juste prix !