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De Quel Système Parle-t-on ?

Depuis que le mot «système» est véhiculé dans les discours politiques et les tentatives d’explication qui sont faites sur son contenu, des zones d’ombre persistent dans l’esprit de plus d’un Sénégalais. Il apparaît, à notre avis, une méprise certaine de la notion de système, si ce n’est une réelle volonté de brouiller les esprits dans le cadre de la propagande/communication politique. On pourrait concéder à ceux qui y font référence leur droit de mettre tout en œuvre pour attirer les sympathies ou, en ces périodes électorales, de parvenir à influer sur le choix des électeurs. Ne dit-on pas en marketing que le leader d’opinion est la personne ayant ou supposée avoir une expertise dans un domaine et dont les propos peuvent influencer une large audience ? C’est en cela que, sans passion, dans la lucidité de la raison, il est nécessaire pour la survie de notre démocratie et au-delà, de notre société, de méditer sur les discours desdits leaders d’opinion.

Aussi, comme à chaque fois que cela nous paraît utile, tenterons-nous ici d’apporter un éclairage sur le terme «système» qui est en passe de devenir une «marque de fabrique» d’un homme politique. Il reste évident que la recherche du sens d’un mot doit aller au-delà de son étymologie pour le considérer dans le texte et en tenant compte du contexte de son emploi.

Le dictionnaire Littré définit le système comme «Propre­ment, un composé de parties coordonnées entre elles». Dans les sciences dites exactes, on l’entend comme un ensemble d’éléments en interaction dans un cadre bien délimité par rapport à un environnement déterminé. On parlera de système solaire, de système nerveux, etc.

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Un acteur britannique du nom de John-Finch disait : «Si tous les mots ont un sens, c’est que tous les sens requièrent des mots.» Donner le sens d’un mot est fort aisé, pour paraphraser Jean de la Fontaine, dans les conditions que nous venons de définir. Le contexte est politique. En sciences politiques justement, ce terme a un contenu précis, que le langage de la rue au Sénégal ne peut noyer dans une mer d’interprétations. En effet, le système a, dans ce domaine, le sens de l’organisation d’un Etat. De la typologie des systèmes politiques de Platon et de Aristote, aux fonctions (pouvoirs) dans l’Etat de Montesquieu et des doctrinaires contemporains, on relève que les systèmes politiques sont différenciés par rapport à la résidence du souverain (le Peuple, un groupe, une seule personne) et à l’exercice des pouvoirs étatiques (séparation, collaboration ou cumul des pouvoirs). Le système politique englobe le régime politique, l’organisation économique et la structure sociale. On distingue principalement et du point de vue de leur fonctionnement :

– Le système démocratique : la légitimité des gouvernants découle de la volonté du Peuple. Le régime politique peut être parlementaire, présidentiel, fédéraliste, monarchie constitutionnelle etc.

– Le système totalitariste : il se caractérise par un parti unique, un chef d’Etat charismatique, une idéologie imposée, un contrôle strict de la population, un monopole des moyens de communication et des forces armées et le recours à la terreur. Comme exemple, on peut citer l’ex-Urss sous Staline, l’Allemagne nazie, le Cambodge sous Pol Pot et l’actuelle Corée du Nord.

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– Le système autocratique : il se différencie du totalitarisme par la participation citoyenne à la vie publique : le système autocratique y exclut le citoyen tandis que le système totalitariste l’asservit et l’instrumentalise.

– Le système théocratique : la légitimité du pouvoir politique découle de la divinité. Les dirigeants sont des leaders religieux qui détiennent à la fois le pouvoir spirituel et celui temporel.

La notion de «système» politique ainsi brièvement campée, ses chantres doivent mieux édifier les initiés en droit, sciences politiques et tout autre intellectuel sur «leur sens» de la deuxième proposition de John-Finch dans sa citation : celui de définir par des mots justes ce qu’ils entendent vraiment par «changer le (de) système».

Le Sénégal a hérité d’un passé colonial assumé par ses dirigeants depuis l’indépendance, et a adopté le système démocratique avec la forme républicaine de l’Etat. Il a accédé à l’indépendance dans un ensemble fédéral avant de déclarer en 1960 sa souveraineté internationale avec un régime politique de type parlementaire, auquel a succédé un régime de type présidentiel qui subsiste jusqu’à nos jours. Nous sommes à notre quatrième Constitution depuis, et avec les réformes constitutionnelles enregistrées, nos illustres constitutionnalistes ont fait le constat du paradoxe que le Sénégal, malgré cette instabilité constitutionnelle, est demeuré institutionnellement stable, tout le contraire de la quasi-totalité des pays africains ex-colonies ou protectorat. Le Professeur Ismaïla Madior Fall, dans un article publié par l’Université de Bordeaux, a relevé, non sans un brin de fierté, que «les Sénégalais se sont illustrés dans l’art de faire jouer à la Constitution des fonctions hétérodoxes, notamment celles de thérapeutique des crises politiques». En d’autres termes, les Sénégalais ont su maintenir stables leurs institutions républicaines par de subtiles adaptations de leurs textes fondateurs, quand intervient une période de tension politique, permettant ainsi d’éviter les crises qui ont déstabilisé les autres pays.

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Sommes-nous présentement dans une crise politique qui nécessiterait une véritable révolution que serait un changement de système ? Tout système autre que démocratique va certainement «chambouler» à la fois le régime politique, l’organisation économique et notre structure sociale. On peut toujours épiloguer sur le meilleur régime politique et sur la plus performante organisation économique, tant qu’on reste dans un système démocratique et une forme républicaine de l’Etat, mais penser à bouleverser la structure sociale qui a fait du Sénégal un exemple de convivialité ethnique et de tolérance religieuse serait un suicide collectif, un «Talata Nder» à l’échelle nationale.

Ce n’est certainement pas l’intention des tenants du changement de/du système ; en tout cas nous le souhaitons vivement, mais nous ne sommes ni devins ni divins pour aller au-delà des discours qui d’ailleurs soulèvent de plus en plus de critiques, allant jusqu’à assimiler leur démarche à celle des mouvements politico-religieux qui menacent notre sous-région. Il nous faut donc plus d’éclairage pour lever toute équivoque se rapportant aux entendus et sous-entendus du changement de «système».

Colonel (CR) Sankoun FATY

Juriste-Consultant

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