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«nous, Francophones»

La francophonie moderne, voulue par le poète-président Léopold Sédar Senghor, est née il y a cinquante ans d’une idée simple : faire du français un outil de coopération internationale au service du développement. Aujourd’hui, les 300 millions de locuteurs et les 80 millions d’apprenants du français à travers le monde forment une communauté de langue et de destin qui n’a pas dit son dernier mot. Mais pour continuer à peser dans le monde, nous, francophones, devons être sans cesse à l’initiative. Cela commence par une question essentielle : que voulons-nous faire ensemble ?

La langue française est le fondement de notre communauté internationale. Habib Bourguiba l’avait compris : « la langue, disait-il, est un lien remarquable de parenté qui dépasse en force le lien de l’idéologie ». Être francophone, c’est être citoyen d’un espace sans frontières, d’une patrie immatérielle, et avoir la chance inouïe de pouvoir entrer en intercompréhension familière avec des millions de femmes et d’hommes, sur toutes les îles et les continents. 

C’est sur la base de cette langue en partage, relationnelle, que nous, francophones, devons organiser notre coopération et nos dispositifs de solidarité de manière à répondre ensemble aux grands enjeux contemporains. Même avec des moyens limités, des solutions pragmatiques et des projets mobilisateurs peuvent émerger d’une coopération renouvelée entre les sociétés civiles et les institutions de la francophonie, en matière d’éducation, d’emploi, d’environnement, de paix, de la culture et de médias.

Nous le disons avec force : l’éducation est la mère des batailles. La plupart des pays en voie de développement y consacrent des moyens insuffisants : 60 millions d’enfants ne sont pas scolarisés dans l’espace francophone. D’ici dix ans, il faudra recruter et former 27 millions d’enseignants, dont cinq millions en Afrique subsaharienne. Un défi considérable.

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L’Institut de la Francophonie pour l’Education et la Formation à Dakar peut aider à renforcer les compétences des enseignants, à les former à distance et à favoriser la réussite scolaire par l’enseignement bilingue au primaire dans les écoles rurales. Mais ces initiatives ont vocation à changer d’échelle. L’Organisation internationale de la Francophonie doit mettre sa force diplomatique au service d’une grande ambition pour l’éducation, dans les forums internationaux, auprès des bailleurs de fonds, avec le Partenariat mondial pour l’éducation, et en demandant un réengagement de ses gouvernements membres.

Cet effort concerne aussi l’enseignement supérieur et la recherche. Car comme le fait remarquer la directrice générale de l’UNESCO, « 80% des publications scientifiques sont en anglais ». L’Agence universitaire de la francophonie qui regroupe 909 universités, grandes écoles, réseaux universitaires et centres de recherche utilisant la langue française doit proposer une initiative forte pour repositionner français dans les publications scientifiques. Cela passe également à plus grande échelle par la diffusion d’une offre de cours et de séminaires en ligne, axés sur le savoir et le développement des compétences.

Trop souvent, dans les pays en voie de développement, on constate une inadaptation de l’enseignement avec les réalités économiques. L’Organisation Internationale du Travail prévoit en effet que dans les 10 ans à venir, seuls 100 millions d’emplois seront disponibles dans le secteur de l’économie formelle alors que ce seront 400 millions de jeunes qui chercheront un emploi. La mise en place de formations axées sur le renforcement des capacités entrepreneuriales, l’ouverture d’incubateurs de la francophonie, d’instituts techniques et technologiques, de coopératives d’emploi et de production : tout doit être fait pour éviter ce hiatus entre la surqualification et les besoins du marché, et préparer l’avenir des jeunes.

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Autrement, cette inadéquation est de nature à engendrer des migrations subies aux conséquences humaines parfois dramatiques. Cette préoccupation devrait logiquement trouver dans les instances de la francophonie, qui compte des pays de départ, de transit et de destination des migrations internationales, un cadre multilatéral privilégié de co-élaboration de mécanismes de mobilité légale, sécurisée et circulaire. À quand un Office francophone des migrations ?

De même, la sécurité et le développement durable sont indissociables. De plus en plus de migrations subies, d’entraves au développement et à la paix résultent de la raréfaction des ressources naturelles, de l’élévation des températures, de la désertification ou de l’érosion côtière.

Ce sont autant de phénomènes que connaît le Sahel, région peuplée d’un demi-milliard d’habitants dont les deux tiers vivent de l’agriculture et de l’élevage. La francophonie doit accompagner la mobilisation des pays de la région, soutenus par l’Alliance Sahel, et qui se sont réunis à Niamey le 25 février dernier pour convenir d’un plan d’investissement climatique ambitieux comprenant six projets de terrain. L’expertise de l’Institut de la Francophonie pour le Développement Durable doit être mise à contribution. Mais au-delà de l’indispensable appui technique, c’est l’énergie de sa jeunesse qui constitue le trésor de la francophonie.

Partant de ce constat, des programmes d’échanges et de mobilité autour de thématiques mobilisatrices (forêt, accès à l’eau, propreté des océans, citoyenneté…), aptes à partager des bonnes pratiques, à autonomiser les jeunes et à devenir des cas d’école sont requises ! Si un cultivateur burkinabé, Yacouba Sawadogo, est parvenu à planter seul une forêt de trente hectares dans la région sèche de Ouahigouya au Burkina Faso, imaginons ce qu’une cohorte de jeunes volontaires francophones dépositaires de son savoir-faire pourrait réaliser dans l’optique d’« arrêter le désert » ! Faire coopérer des jeunes parlants-français de tous les pays permet aussi de leur donner un but et de créer un sentiment d’appartenance à la francophonie.

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Enfin, sans prétendre à l’exhaustivité, nous, francophones, devons être à l’avant-garde des nouveaux combats pour la diversité culturelle et le pluralisme de l’information. Dans un espace géoculturel mondial bouleversé par les technologies, la bataille des plateformes, de l’accès et de l’attractivité des contenus et des œuvres d’expression française, ne sont pas des vains mots. Il s’agit d’offrir une offre culturelle et linguistique alternative au divertissement et à l’information de masse, en créant un espace médiatique commun au-delà de TV5 Monde et un programme de soutien fort à la diversité culturelle.

Aux quatre coins de la planète, de Montréal à Cotonou, de Kinshasa à Bucarest, d’Alger à Erevan, de Port-au-Prince à Nouméa, soyons fiers de promouvoir haut et fort la richesse et l’expressivité de notre langue, dans tous les espaces de création, d’innovation, d’économie et de savoir.







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