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Analyse Critique Du Nouvel Attelage Gouvernemental

Après l’annonce-surprise de la suppression du poste de Premier ministre, la troisième fois dans l’histoire politique du Sénégal, après celles de 1963 et de 1983, la gestation du nouveau gouvernement aura été longue et douloureuse, l’enfantement pénible. A la fin, l’accouchement aux forceps du nouveau gouvernement est intervenu le dimanche 7 avril 2019, à 22 heures. Le suspense aura tiré en longueur, pendant un Vsd (Vendredi-Samedi-Dimanche) interminable tout au long duquel le Sénégal est resté sans gouvernement et qui boucle une semaine non-stop. Il aura fallu tout un travail de peaufinage et de dosage pour trouver les profils adéquats, maintenir les équilibres régional, religieux, ethnique et de genre. Si l’on remonte le temps, la chronologie des faits pendant laquelle le Président Macky Sall a carburé sans répit, est à couper le souffle. Le 2 avril : prestation de serment, le 3 avril, discours à la Nation, le 4 avril : Fête nationale, le 5 avril : démission du Premier ministre, le 6 avril : reconduction du Premier ministre, le 7 avril : formation du gouvernement.

Pourtant, rien ne présageait au départ d’une si longue attente, dans la mesure où, de retour de son séjour à Abu Dhabi, pour le repos du guerrier et héros de la bataille électorale, le Président Macky Sall avait bifurqué au Maroc où, à partir du Royaume chérifien, il aurait envoyé aux services compétents, une liste d’une cinquantaine de noms, triés sur le volet, pour que des enquêtes de moralité les concernant soient menées au plus vite. On pouvait alors subodorer qu’au retour du Président Macky Sall au Sénégal, la liste du nouveau gouvernement était déjà prête. Que nenni !

Avant l’annonce de la composition du nouveau gouvernement par son Secrétaire général du gouvernement, le ministre Maxime Jean Simon Ndiaye, le Premier ministre, ministre d’Etat et Secrétaire général de la présidence de la République, Mahammed Boun Abdallah Dionne, a tenu à revenir sur les grands axes de la nouvelle équipe. C’est ainsi qu’il a précisé que le nouveau gouvernement a été remanié à 50% ; de 20% dans la précédente cuvée, le taux de femmes ministres est passé à 25%. Le resserrement de l’effectif a consisté à une réduction de la taille du gouvernement, qui passe de 39 ministres et 3 ministres-délégués à 32 ministres et 3 secrétaires d’Etat. Chaque région du Sénégal sera représentée au Conseil des ministres. Main­tenant, on n’a pas vu ce grand lifting attendu car entre 32 et 39, c’est presque du pareil au même. Pire, on s’attend, dans les tout prochains jours, à de nouvelles nominations. En effet, au rythme où iront les contestations voire les rébellions ouvertes chez les frustrés et les non-appelés, il est fort à parier qu’en véritable papa-poule, pardon…président-poule, Macky Sall ne va pas laisser «ses enfants» (le président turc Erdoğan dixit) galérer trop longtemps, pour leur trouver, un à un, une belle planque où ils vont reverdir et retrouver le sourire. Les décrets de nomination vont tomber à profusion pour restaurer «les bannis» d’aujourd’hui dans «leurs droits» de rester aux affaires. De nouvelles agences seront créées par ci et par là, des postes de ministres d’Etat, ministres-conseillers, conseillers spéciaux (avec rang de ministre) et chargés de mission seront distribués à tour de bras, en veux-tu en voilà, pour allonger la liste des collaborateurs du président de la République, et nous ramener à la situation d’avant, avec un cabinet présidentiel hypertrophié, pour ressusciter le mammouth de la présidence de la Répu­blique qu’il fallait pourtant dégraisser. C’est le «gouvernement du Palais» qui va renaître. Ainsi, tout le monde sera réhabilité, tout le monde sera content. On reprend les mêmes et on recommence. Diantre ! Quand est-ce qu’on sera sérieux pour une fois dans ce pays et arrêter de prendre les Sénégalais pour les dindons de la farce politique ? On est très loin de l’équipe-choc, du gouvernement fast-track annoncé à cor et à cri. Et ce ne sont pas les 32 ou 35 intermittents du spectacle qui sont à l’honneur aujourd’hui, qui vont aider le Président Macky Sall à entrer dans l’histoire. Au regard des erreurs de casting, avec des profils discutables et des incohérences, nombreuses, il n’est pas risqué de penser que ce remaniement ne sera pas le dernier du mandat en cours du Président Macky Sall. Des réaménagements vont intervenir tôt ou tard pour corriger les impairs et, pourquoi pas, ajouter quelques ministères, histoire de calmer les esprits qui se sont chauffés entre-temps et qui l’auront bruyamment manifesté. Et comme l’histoire nous l’a montré à plusieurs reprises, le Président Macky Sall n’est pas du genre à supporter longtemps les mouvements d’humeur dans son propre camp. Les frustrés ne souffriront pas trop longtemps leur amertume. La traversée du désert sera de courte durée. Un petit tour à la blanchisserie, et les voilà tous immaculés et recyclés. Tout ça pour ça !

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Au chapitre des constats sur les individualités, on aura noté que pas moins d’une vingtaine de ministres ont sauté. La grande purge. Augustin Tine, premier dans l’ordre protocolaire dans le précédent gouvernement, où il dirigeait les Forces armées, est maintenant nommé directeur de cabinet du président de la République. Promotion ou rétrogradation ? Sidiki Kaba, avocat de formation, est condamné à porter une muselière et ramollir sa faconde parce qu’il est maintenant le patron de «la grande muette». Le départ de Ismaïla Madior Fall, «le tailleur de la Constitution» est une bonne nouvelle pour l’opposition. Le scandale du Prodac a sans doute emporté Mame Mbaye Niang. La commune d’arrondissement de la Médina perd ses trois ministres : Papa Abdoulaye Seck, Maïmouna Ndoye Seck et Seydou Guèye. Abdou Ndéné Sall ne pilotera pas la mise en service du Train express régional (Ter). Diène Farba Sarr, un cadre historique de l’Apr, qui avait même pondu un livre en hommage à Macky Sall, au plus fort de la disgrâce de ce dernier par le régime du Président Abdoulaye Wade, était en sursis depuis l’investiture du Président Macky Sall. En effet, quand les observateurs futés et avertis ont entendu le Président Macky Sall, à l’occasion de sa prestation de serment, se plaindre publiquement du manque d’hygiène et de salubrité au Sénégal, avec «la saleté à Dakar», devant un parterre de chefs d’Etat dont Paul Kagame, Président du Rwanda, qui s’illustre avec une capitale, Kigali, dont on dit que c’est la ville la plus propre en Afrique, ils ont vite compris que le sort du ministre en charge du Renouveau urbain et du cadre de vie était scellé. Abdoulatif Coulibaly a été finalement limogé par un Macky Sall dont il disait, dans une autre vie, qu’il n’avait «ni l’envergure politique, ni l’envergure intellectuelle» pour diriger un jour le Sénégal. Cheikh Kanté, pourtant autoproclamé «Baye Fall de Macky Sall», continue sa descente aux enfers. Malgré l’activisme débordant de son épouse, Madjiguène Mangara, plus connue sous le nom de Magui, dans ses actions de soutien à Macky Sall, Birima Mangara a été défenestré. C’est peut-être que cette fois-ci la Première dame n’est pas intervenue au profit de Mbagnick Ndiaye, qui avait révélé que Matar Bâ et lui sont redevables de leurs postes de ministres à Marième Faye Sall, que l’ex-patron de «Ndef Leng» a été sabré. Serigne Mbaye Thiam doit son éjection du secteur de l’Education nationale aux rapports très tendus qu’il a toujours entretenus avec les syndicats d’enseignants, avec des conflits perlés qui ont fait frôler, tous les ans, l’année blanche à l’Ecole sénégalaise. Mary Teuw Niane n’a pas survécu à la mort de l’étudiant Fallou Sène à l’Ugb de Saint-Louis, et bien avant, à celle de l’étudiant Bassirou Faye de l’Ucad de Dakar. Malgré la «cabale» qu’il a subie en étant cité récemment dans une affaire de corruption, Oumar Guèye a été reconduit dans le nouveau gouvernement.

Pour les promotions, c’est un retour aux sources pour Abdou­laye Daouda Diallo, qui avait occupé le poste de ministre-délégué chargé du Budget dans le gouvernement du Premier ministre Abdoul Mbaye. Les performances de Makhtar Cissé à la Direction générale de la Douane, puis à la Direction générale de Senelec ont été récompensées par son élévation au poste de ministre du Pétrole et de l’énergie. Aminata Assome Diatta, ancienne directrice du Commerce extérieur, et patronne du mouvement Jappo ak Assome, en soutien à Macky Sall, a eu une belle promotion. L’étoile de Néné Fatoumata Tall continue de briller, avec son passage du poste de Pca de la Lonase à celui de ministre de la Jeunesse, pour la première fois qu’une femme se voit confier ce ministère.

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Les autres lectures à faire sur le design du nouveau gouvernement renseignent qu’il y a des bizarreries comme l’éclatement ou la séparation de l’emploi et du travail qui se retrouvent dans des ministères différents. Idem pour l’économie et les finances. De là à craindre des risques de chevauchements et de conflits de compétences, avec des ministres qui se marchent, les uns sur les plates bandes des autres, il n’y a qu’un pas que d’aucuns franchiront allègrement.

Une chose qui n’aura pas échappé aux observateurs, c’est la promotion de beaucoup de directeurs généraux qui ont été bombardés ministres. Il s’agit de Cheikh Oumar Hanne (ancien Dg du Coud), Aminata Assome Diatta (ancienne Dg du Commerce extérieur), Makhtar Cissé (ancien Dg de Senelec), Moïse Sarr (ancien Dg du Service de Gestion des étudiants sénégalais à l’étranger (Sgee) à Paris), Dame Diop (ancien Dg du Fonds de financement de la formation professionnelle et technique « 3fpt«), Abdou Karim Fofana (ancien Dg de l’Agence du Patrimoine bâti de l’Etat), Abdou Karim Sall (ancien Dg de l’Artp), Samba Ndiobène Kâ (ancien Dg de la Saed), Moussa Baldé (ancien Dg de la Sodagri), Ndèye Tické Ndiaye Diop (ancienne Dg de l’Anam). S’y ajoutent Oumar Youm (ancien directeur de cabinet du président de la République), Amadou Hott (ancien Dg du Fonsis, puis vice-président de la Bad) et Néné Fatoumata Tall (ancienne Pca de la Lonase).

Le jeu de chaises musicales concerne dix-huit (18) ministres : Sidiki Kaba, Aly Ngouille Ndiaye, Abdoulaye Daouda Diallo, Aminata Mbengue Ndiaye, Serigne Mbaye Thiam, Mansour Faye, Samba Sy, Mariama Sarr, Amadou Bâ, Abdoulaye Diouf Sarr, Ndèye Sally Dieng Diop, Oumar Guèye, Moustapha Diop, Sophie Gla­dima, Mamadou Talla, Alioune Sarr, Matar Bâ et Abdoulaye Diop.

Globalement, le gouvernement garde son ancrage politique. A noter également qu’aucun ministère dit de souveraineté n’a été confié à une femme. Mais, la jeunesse est au pouvoir, avec les belles promotions de la frange juvénile de l’Apr, à l’image de Abdou Karim Fofana, Moïse Sarr, Zahra Iyane Thiam, Néné Fatoumata Tall, Mamadou Saliou Sow et Aminata Assome Diatta.

Pour ce qui concerne les alliés de Macky Sall dans Benno bokk yaakaar, le Parti Socialiste (Ps) de Ousmane Tanor Dieng gagne finalement au change après avoir bénéficié d’un quota de trois postes ministériels dans le premier gouvernement du régime dit de la deuxième alternance, avec un Ali Haïdar qui émargeait dans le quota du Ps. Mais depuis le limogeage du patron de l’Oceanium, le Ps n’avait pas retrouvé son troisième poste ministériel et avait vu son quota au gouvernement réduit à deux unités. Pire, Aminata Mbengue Ndiaye avait été même rétrogradée car le sous-secteur de l’élevage ne peut être, tout au plus, qu’une direction, plutôt que d’être érigé en ministère. Là, avec le nouveau gouvernement, Aminata Mben­gue Ndiaye a hérité d’un ministère plein, ce qui restaure les deux postes ministériels du Ps. L’Alliance des Forces de Progrès (Afp) de Moustapha Niasse, garde son seul poste de ministre au gouvernement avec le maintien de Alioune Sarr. Avec le Pr Abdoulaye Bathily et Mamadou Ndoye qui ont pris leurs distances avec Macky Sall, et la création de la «Ld debout», le président de la République a sans doute estimé que ce qui reste des «Jallarbistes» est quantité négligeable pour mériter un ministère. Résultat des courses : Khoudia Mbaye out ! Le sort du Parti de l’Indépendance et du Travail (Pit) de l’historique Amath Dansokho est différent, avec le maintien de Samba Sy. La coalition «Macky2012» s’est bien fait entendre, depuis le coup de gueule de Jean-Paul Dias, avec l’adoubement de Zahra Iyane Thiam.

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Sinon, il y a que l’Alliance pour la République (Apr), parti au pouvoir, maintient ses positions fortes dans le gouvernement. Les transhumants ont été zappés. Maintenant, avec le maintien de Aly Ngouille Ndiaye au ministère de l’Intérieur, c’est le statu quo avec un message clair de Macky Sall à l’opposition, comme quoi il est prêt à la confrontation (encore) sur la question du profil du chargé de l’organisation des élections. Cela dit, la nomination qui apparaît comme une pilule amère à avaler, c’est celle de Cheikh Oumar Hanne au ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. En effet, l’ancien Directeur général du Centre des Œuvres Universitaires de Dakar (Coud) a été épinglé par le rapport 2016 très salé de l’Office national de la lutte contre la corruption (Ofnac) de Nafi Ngom Keïta, assorti de recommandations à ne plus être nommé à un poste de responsabilité dans l’Adminis­tration. Sa nomination est un très mauvais signal pour la gestion saine, sobre et vertueuse et la bonne gouvernance, d’autant que Cheikh Oumar Hanne va siéger au Conseil des ministres avec un secrétaire d’Etat, auprès du Garde des sceaux-ministre de la justice, chargé de la promotion des droits humains et de la bonne gouvernance, Mamadou Saliou Sow.

L’attelage gouvernemental d’après-réélection du Président Macky Sall dès lors constitué, c’est la délivrance pour les uns et la déception pour d’autres. Il reste maintenant les décrets de répartition des services entre les ministères, pour établir les compétences des uns et des autres, et la remise de sa feuille de route à chaque ministre ou secrétaire d’Etat, afin que le gouvernement se mette enfin au travail, sous la houlette d’un Macky Sall, président de la République omnipotent et plus que jamais décidé à être seul maître à bord. A quelles fins ? L’avenir nous le dira. En attendant, gageons que son ambition de terminer ce mandat, le dernier, de la meilleure des manières, reste intacte. Mais, le meilleur cadeau qu’il puisse faire aux Sénégalais, sera de quitter le pouvoir, en 2024, auréolé de gloire, mais surtout de leur laisser un pays debout, réconcilié avec lui-même, qui nage dans le bonheur de la bénédiction du pétrole et du gaz et qui sera fier de sa classe politique imbue des grandes valeurs qui sous-tendent tout projet de développement et d’aspiration à l’émergence.

Pape SAMB

papeaasamb@gmail.com

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