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Suppression Du Poste De Pm : La Monarchie Présidentielle En Marche (par Magatte Diaw)

 

CONTRIBUTION

 

Supprimer le poste de Premier ministre répond souvent à trois ordres :

– La légitimation de son pouvoir

– La liquidation des barrons et dignitaires, membres fondateurs de son parti

– Le choix de son propre successeur

Ce procédé est souvent dissimulé sous le fallacieux prétexte de rapprocher l’administration des administrés, mais nous verrons qu’il n’est nullement en rapport avec une quelconque rationalité économique ou d’efficacité dans l’exécution de la mission au vu des résultats et performances économiques médiocres qui ont toujours suivi. Le Premier ministre, dans son allocution, parle «de mieux d’Etat et de plus d’impact pour nous les citoyens». La similitude ne laisse aucun doute avec le régime présidentiel de Senghor sans Premier ministre de 1963 à 1970, qui répondait plus à un souci de légitimation de son pouvoir, à travers la purge des barons du Bds et membre fondateur de l’Ups, après les évènements de 1962 et la dualité avec Mamadou Dia.

De 1963 à 1968, période sans Premier ministre, le régime avait tenté de contrôler et d’anéantir l’opposition au sein de son parti en emprisonnant Mamadou Dia, Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye etc. Le discours de Senghor ne laissait pas la place a un besoin de rationalisation économique et d’efficacité administrative : «A vrai dire, les structures de notre Etat, notre constitution, sont plus, responsables de cette douloureuse affaire que le caractère des hommes quoi qu’on dise. La fin d’une collaboration de dix-sept ans prouve qu’en Afrique, pour le moment l’exécutif bicéphale est impossible» (Senghor 1963). Plus tard, il choisira son successeur par une subtile dévolution institutionnelle avec Abdou Diouf en 1980.

La suppression du poste de Premier ministre en 1984, répondait aussi à une logique de légitimation politique après le coup d’Etat institutionnel de 1980. Avec le retrait de Senghor, le président Abdou Diouf sentait alors qu’il était temps d’asseoir son autorité sur les siens. Avec l’aide de Jean Collin, le secrétaire général du Ps n’avait eu aucun mal en 1984 à s’autoproclamer secrétaire national du parti et à imposer des hommes qui lui étaient dévoués. Il expliquait dans ce sens, qu’il désirait de meilleures relations entre le Ps et sa base et qu’il souhaitait écarter les personnes qui bloquent ses projets d’ouverture. Parmi les barons écartés du Ps de Senghor figuraient Amadou Cissé Dia, Maguette Lô, Alioune Badara Mbengue, André Guillabert, Assane Seck.

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Et pourtant voici le prétexte que nous avait servi le président Abdou Diouf à l’époque : «Le gouvernement, qui a la charge de conduire la politique du renouveau en cette période difficile doit être en mesure de remplir sa mission avec encore plus de rapidité et de simplicité. De ce point de vue, il s’avère nécessaire qu’il agisse sous l’autorité directe du chef de l’Etat.» Nous assisterons, par la suite, à la promotion rapide de son éphémère dauphin ou potentiel successeur Ousmane Tanor Dieng.

Aujourd’hui, à travers cet acte purement politique, Macky Sall va inéluctablement vers une logique de légitimation de son fauteuil hérité d’Abdoulaye Wade, dans un contexte politique particulier de son élection en 2012, avec une coalition hétéroclite et un parti désorganisé, voire même déstructuré. Macky Sall est dans l’optique d’imposer son autorité politique après les échéances électorales du 24 février dernier comme Senghor en 1963, et comme Abdou Diouf en 1983. Sa déclaration juste après les résultats prouve aisément que Macky Sall a toujours un souci de légitimité : «Il me fallait démontrer que je ne suis pas un président par défaut.»

Par ailleurs, il anticipe sur la préparation de son successeur ou la possibilité de rebattre campagne en 2024 sans l’obstacle d’une contestation interne, et ceci passera par une «desapérisation» des membres fondateurs et barons de son parti l’Apr, qui commence par la suppression du poste de Premier ministre comme toujours.

 

Les effets économiques négatifs d’une macrocéphalie présidentielle

Le constat d’un désastre économique suite à l’absence d’un Premier ministre prouve aussi que c’est l’effet inverse qui souvent se produit, avec de mauvais résultats économiques et des crises sociales très aigües au bout de cinq années. Entre 1963 et 1968, le gouvernement de Senghor était confronté à une médiocrité de la performance économique à la détérioration de la production agricole, la diminution du pouvoir d’achat des ruraux, l’inflation des prix des denrées et enfin des mouvements sociaux de grande ampleur dans les centres urbains ayant entrainer des émeutes faisant vaciller le régime en mai 1968 qui décrétera l’état d’urgence contre les barricades, les jets de pierres et les cocktails Molotov. Quatre à 5 000 personnes participèrent aux émeutes.

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La situation économique n’était pas aussi favorable à Diouf au cours de son quinquennat sans Premier ministre. Le climat social en 1988 était extrêmement pesant. Les nouvelles politiques menées depuis 1985 avaient apporté leur lot de licenciements et d’échecs. Les investisseurs sénégalais, appelés à investir dans le pays, ont été aux abonnés absents. Les initiatives entreprises par l’Etat, comme la création d’une Zone franche industrielle à Dakar, n’ont pas eu les effets escomptés. La dette du pays était évaluée à 800 milliards de francs Cfa, soit 60 – 70 % du Pib, la dette extérieure augmentait depuis 1981 annuellement de 15 à 20 %. On assiste à une crise universitaire, à la radiation 6 225 policiers après les affrontements avec les gendarmes. Le paroxysme a été atteint après les résultats des élections présidentielles avec un bilan des nuits d’émeutes assez lourd : 300 personnes arrêtées en flagrant délit, 90 autobus saccagés, 10 stations-services pillées, plusieurs villas de proches du pouvoir dépouillées, etc.

Les chiffres de croissance viennent confirmer que les périodes où le Sénégal n’a pas connu de Premier ministre, le rythme de croissance du Pib est demeuré faible. Dans la période 1962 – 1972 coïncidant avec l’absence de Premier ministre, il était de 2,2 %. Par contre, entre 1973 et 1979, le rythme a connu un relèvement jusqu’à 3,8 %, pour redescendre à 2,9 % dans la période où Diouf s’est dispensé de Premier ministre 1983 à 1989.

Que dire de plus que sinon la suppression du poste de Premier ministre est de très loin motivée par des intérêts purement politiques plutôt que la rationalité administrative ou l’efficacité gouvernementale. «Etrange destin que celui d’un grand pays le Sénégal, se trouvant en quelque sorte dans l’obligation de retarder de 35 ans la pendule de l’histoire, comme si rien ne s’était passé en 1968 et 1988 comme s’il n’y avait pas eu des tensions, qui n’existaient pas alors, comme si le Sénégal ne s’était pas affaibli à l’intérieur miné par le chômage et la précarité», pour paraphraser le président Chirac.

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Magatte DIAW

Responsable Rewmi Thiès-ouest

 

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