Le mois de Ramadan est le moment idéal pour les vendeurs de poison d’écouler leur stock. Vendredi dernier, le service départemental du commerce de Pikine a annoncé avoir retiré du marché près de 14 tonnes de produits de consommation. Deux semaines plus tôt, c’est la Brigade du service régional du commerce de Diourbel qui s’illustrait en mettant la main sur 2356 articles de produits périmés. Le 8 mai dernier, des éléments du service des Douanes en poste à Vélingara stoppaient un camion frigorifique transportant 75 cartons et 13 sacs de médicaments frauduleux. Seulement, ces saisies ne sont que l’arbre qui cache la forêt. Plus d’un an après le scandale « Public Eye », l’Occident, qui se gargarise d’écologie, déverse des tonnes de déchets plus nuisibles que le poison sur l’Afrique berceau de l’humanité, victime de toutes les avanies et poubelle du monde.
«Les sociétés suisses produisent en Europe des carburants qui ne pourraient jamais y être vendus. Elles sont par ailleurs responsables d’une part importante des exportations de diesel et d’essence à haute teneur en soufre entre la zone ARA et l’Afrique de l’Ouest. De nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, qui exportent vers l’Europe du pétrole brut d’excellente qualité, reçoivent ainsi en retour des carburants toxiques». Le document est accablant. Les nombreuses dénégations des autorités des huit pays ouest-africains concernés n’occultent en rien la consistance de son contenu. Bien au contraire, elles participent à décrédibiliser davantage les autorités tout en mettant à nu une pratique qui n’est guère une première dans le continent africain, dépotoir des Occidentaux.
La Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, entrée en vigueur le 5 mai 1992, a été fortement inspirée par deux scandales qui ont, dans les années 90, fortement secoué le continent africain. En juin 1988, plus de mille futs de déchets chimiques sont déversés par des Italiens sur la plage de Koko au Nigéria. La même forfaiture sera rééditée en Guinée-équatoriale où des centaines de futs contenant des déchets radioactifs ont été balancées dans l’ile d’Annobon. Le tollé suscité par ces deux scandales aux conséquences environnementales monumentales n’avait guère laissé le choix aux dirigeants africains. Malgré la signature de la Convention de Bâle, ils s’étaient débrouillés, comme des grands, pour mettre en œuvre la Convention de Bamako. Sous l’impulsion de l’Union africaine, alors Organisation de l’unité africaine (OUA), les Etats africains avaient décidé d’interdire l’importation dans le continent de déchets dangereux et radioactifs. Entrée en vigueur le 20 mars 1996, ladite Convention n’aura servi à rien du tout. D’une part, avec la délocalisation industrielle, les déchets générés par les usines occidentales n’avaient plus besoin d’être importés. Michelin s’était rapproché des plantations d’hévéas dans l’état d’Edo, au sud du Nigéria où sur des milliers d’hectares, la fabrique française produisait ses pneus, tout en rejetant sur place les déchets qui en résultaient. La même chose est notée avec la Compagnie Sucrière sénégalaise qui a fini de faire du Lac de Guiers, qui abreuve Dakar, un véritable dépotoir. D’autre part, incapable de surveiller ses côtes, l’Afrique est une destination favorite de bateaux pirates qui encaissent des milliards pour transporter des déchets en Afrique. Le scandale Probo Koala reste encore vivace dans la mémoire de nombreux Ivoiriens dont certains continuent à subir les conséquences du désastre. Les 581 tonnes de déchets toxiques déversées au port d’Abidjan, en aout 2006, ont occasionné la mort d’une vingtaine de personnes et intoxiqué des dizaines de milliers d’autres.
Nonobstant l’ampleur des dégâts, le commissaire européen à l’environnement d’alors, Stavros Dimas, repris par le journaliste Jean-Christophe Servant, déclarait que le Probo Koala « n’est que la partie émergée de l’iceberg ». Sur son blog, le journaliste au magazine Géo, allait plus loin : «Les plus de 100 millions de tonnes de déchets toxiques qui seraient produites chaque année, estiment les experts en environnement, 10% seraient ainsi exportés, souvent au mépris des lois internationales, et en partie à destination du continent africain. Pour l’Allemand Andreas Bernstorff, spécialiste de ce trafic et à qui l’on doit un rapport détaillé commis au début de ce siècle pour l’association Greenpeace, le continent abriterait près 80 sites recélant parmi les déchets les plus néfastes de la planète».
Les produits toxiques ne sont pas les seules calamités importées en Afrique. Chaque années, c’est des milliers de tonnes d’habits qui quittent l’Europe et les USA en direction du continent noir où ils sont appelés friperie. Appareils électroménagers, véhicules, ordinateurs…, tout ce qui est suranné et que l’Occidental n’utilise plus est déversé en Afrique.
Mais le plus inquiétant touche désormais la nourriture et les faux médicaments. «Comment un poulet surgelé d’Europe a-t-il réussi à chasser la volaille locale du menu d’un restaurant situé à l’intérieur d’un pays au milieu de l’Afrique ? », s’interrogeait Maurice Oudet missionnaire au Burkina Faso. Avant de répondre à sa question : « Pendant des années les restes servaient à nourrir nos vaches jusqu’à ce que la crise de « la vache folle » nous convainque que ce n’était pas une bonne idée. Vous ne pouvez pas simplement jeter des poulets morts, vous devez les brûler et cela a un prix. De toute évidence l’idée qui a suivi était de les exporter à des prix bradés, ce qui devient encore plus profitable quand l’Union Européenne vous paye un subside substantiel à l’exportation. Ainsi les poulets européens atteignent les marchés africains à la moitié du prix de la production locale. Les ménagères sont les mêmes partout, elles achètent au meilleur prix, d’autant plus qu’elles n’ont qu’un euro par jour pour nourrir leurs familles». Et progressivement, l’élevage de la volaille est abandonné au profit de cuisses de poulet venant d’Europe. Le même missionnaire, donnant l’exemple du Cameroun, note «En 1994 le Cameroun importait environ 60 tonnes de volaille. En 1996 le pays a rejoint l’OMC et a accepté de libéraliser le commerce. En 2003 les importations de poulets avaient atteint 22.153 tonnes. Suite à cela 92% des producteurs locaux firent faillite, 10.000 personnes perdirent leur emploi et le Cameroun a dépensé 15 millions d’euros pour importer ce qu’avant il produisait localement». Cet exemple peut être élargi à de nombreux autres pays africains. Le Sénégal participe grandement à ravitailler l’Europe en huile d’arachide. A l’inverse, des milliers de tonneaux d’huile de soja et/ou de tournesol quittent les ports européens en direction du pays de la teranga où l’espérance de vie s’amenuise d’année en année. « Nous avons fait deux jours d’action au niveau du marché Ocass de Touba, les 5 et 6 mai 2019, pour retirer 2356 articles pour 44 points de ventes visités pour une valeur monétaire 717.290 FCFA », avait déclaré Amadou Touba Niane, chef de la Brigade du service régional du commerce de Diourbel. Si les services du commerce sont en alerte maximale, se donnant un mal fou à inspecter les boutiques où les produits impropres à la consommation sont retirés, à Petersen, la pourriture est sur les étals. Dans certains coins, on se spécialise dans la vente de produits périmés. Lait en poudre, jus, sucreries, tout y est.
Avec la mondialisation, les usines et leurs déchets sont dans l’hémisphère sud au moment où les capitaux se trouvent au nord. Une implacable logique qui ne peut être imputée à la pauvreté qui n’est qu’une échappatoire. D’autres nations pas plus loties refusent systématiquement de se faire spolier et polluer en même temps. Une question de dignité.