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La Compétitivité Dans Un Monde En Perpétuel Changement

Dans son livre La 6ème extinction, Elizabeth Kolbert évoque un fait que je trouve particulièrement pertinent dans le monde aussi changeant que celui d’aujourd’hui. A telle période, telle structure adopte telle stratégie qui lui permet de dominer le marché et de prospérer. Quelques années plus tard, les conditions changent, les besoins des consommateurs évoluent. La stratégie d’alors ne sied plus à ce nouveau monde. La structure refuse d’accepter ce nouveau paradigme : elle refuse de changer de stratégie et reste cloîtrée dans son confort – ce qu’elle sait faire – et refuse de procéder à la destruction créatrice.

Dans le chapitre «La malchance des ammonites», Elizabeth Kolbert écrit : «…Des traits avantageux deviennent tout à coup fatals.» Observons des entreprises, des contrées autour de nous ! Ce que décrit Kolbert à propos des ammonites s’applique à beaucoup d’entre elles.

A son apogée, Kodak em­ployait 145 mille employés. Elle était le leader de la photographie argentique et une des entreprises les plus prospères au monde. Dans un monde où l’ordinateur personnel, les téléphones intelligents n’étaient pas des biens communs, Kodak pouvait prospérer. Cependant, le paradigme changea. La démocratisation des ordinateurs personnels, le développement des téléphones intelligents rendirent désuète la possession d’un appareil photo argentique. Excepté pour les professionnels, les appareils argentiques n’étaient plus indispensables, les téléphones pouvant aisément les remplacer. Kodak refusa ces changements de circonstances et périclita. Ironie du sort, Kodak développa les premiers appareils photos numériques, mais parce qu’elle refusa de sortir de sa zone de confort, elle fit faillite.

Héraclite écrivit que «rien n’est permanent, sauf le changement». Les humains ont tendance à croire que le changement est périodique, qu’il est rare, mais si nous observons la nature, nous nous rendrons compte que la seule chance de survie est de nous réinventer sans cesse, d’oser sortir de notre zone de confort, de ne pas avoir peur d’embrasser le changement et d’y être proactif.

Je l’écrivais plus haut, le monde est fluctuant. Les paradigmes changent et peuvent rendre obsolètes nos anciennes stratégies qui marchaient fort bien. Nous devons intégrer cela dans notre vie quotidienne. Au­jourd’hui, la technologie permet d’automatiser les tâches routinières, les robots peuvent remplacer les hommes dans les chaînes de montage des usines. Cependant, ils ne pourront remplacer un homme créatif qui sort du moule et développe des idées neuves.

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Dans leur livre Le deuxième âge de la machine, Erik Brynjolfsson et Andrew Mcafee développent l’idée que pour rester compétitif dans le monde d’aujourd’hui où les robots sont capables d’accomplir le travail des hommes dans les usines, où beaucoup de tâches sont automatisées et ne nécessitent plus une présence humaine, «il ne faut pas se borner aux ‘’trois R’’ (reading, writing, arithmetic), mais il faut œuvrer à améliorer ses compétences en matière d’idéation, de reconnaissances des formes dans un cadre élargi et de communication complexe».

Nous aurons toujours besoin d’un coach pour nous motiver et nous pousser à donner le meilleur de nous-même ; un robot ne pourra jamais jouer ce rôle. Le monde aura toujours besoin d’une personne créative, qui est capable de développer des idées qui amélioreront le monde et la vie de tout un chacun. Ces compétences ne se démoderont jamais et font l’essence de l’homme.

Comme l’écrivent Brynjolfsson et McAfee, nous devons développer ces compétences. Nul besoin de voir en ces robots, voire généralement en la technologie, des concurrents, ils ne le sont pas. Au contraire, ils permettent à l’homme de donner le meilleur de lui-même, de développer sa créativité, d’innover. Qui a envie d’être un ouvrier comme le voulait Frederick Taylor qui se contente d’une seule tâche routinière ? Une telle personne verra son cerveau devenir atrophié et ses capacités créatrices mourir lentement. Au contraire, la technologie permet de se libérer de tout cela et de pouvoir réfléchir sur ce qui peut améliorer le monde, développer nos compétences.

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N’en déplaise aux luddites modernes, quand l’homme invente un outil, il en est d’abord maître, puis devient son esclave. Marshal Macluhan le résume par ces mots : «Le médium est le message.» Je prends un exemple personnel : quand je commençai à porter des lunettes, je pouvais facilement m’en passer, les lunettes n’étaient pas une nécessité. Aujourd’hui, c’est moi qui ne peux plus m’en passer : elles sont devenues mon maître.

La marche vers la technologie est irrémédiable. Aussi, devons-nous accepter cela et surtout nous évertuer de développer ces compétences qu’un robot, un logiciel, un ordinateur ne pourront acquérir. Google dispose de toute la connaissance humaine, mais ne peut l’exploiter : prendre par-ci, par-là et sortir quelque chose de plus original encore. Pour écrire, je dois consulter des livres, je dois faire des recherches, je dois m’inspirer d’auteurs qui ont déjà écrit sur le sujet. J’en fais une synthèse pour sortir une idée qui semble neuve, mais ne l’est pas. Une machine ne peut pas le faire, mais elle nous facilite la tâche. Google m’aide à trouver plus facilement les informations dont j’ai besoin et me permet ainsi d’être plus efficace dans mon travail. Mais Google ne peut écrire à ma place. Les correcteurs automatiques ne se retrouvent plus quand un auteur utilise une prose qui semble incorrecte, mais l’est parce que l’homme est créatif et innovant, tandis que ces correcteurs automatiques sont figés. C’est ce dont nous avons besoin pour prospérer dans le monde d’aujourd’hui. Si nous nous contentons de la routine, les machines prendront notre place et nous serons aussi frustrés que les luddites.

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Le «leapfrogging» désigne le saut vers le développement sans passer par les étapes intermédiaires. Un exemple : la démocratisation de l’accès à internet dans les pays pauvres par les téléphones intelligents sans passer par les ordinateurs portables. Notre situation désavantagée d’aujourd’hui est peut-être une chance, nous pourrons passer directement à l’étape supérieure. Au contraire, si notre stratégie marche aujourd’hui, attention au changement de paradigme. En effet, avec le monde si changeant d’aujourd’hui, elle est peut-être désuète et nécessite que nous l’abandonnions pour en adopter une autre. Tel est le dilemme du monde actuel : embrasser le changement ou péricliter, mais aussi sa chance : rien n’est plus insurmontable.

Moussa SYLLA

moussasylla@live.fr

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